Nous, habitants de Tel-Aviv, nous poussons un soupir de soulagement. Après avoir été accusés, pendant des années, d’hédonisme et d’apathie, détestés au prétexte que nous vivions dans une «bulle» et que nous prônions un gauchisme naïf,nous avons eu enfin le privilège d’entendre les hurlements des sirènes d’alerte, et nous nous sommes rués aux abris.Enfin,nous connaissons la peur, letumulte, le grondement des missiles. Désormais–du moins est-ce le sentiment d’une partie de nos compatriotes, nous ne nous hâterons plus de condamner les attaques surGaza; nous ne fustigerons plus la droite nous rejoindrons toute honte bue, nos frères israéliens et nous comprendrons, une fois pour toutes, que «nous n’avons pas de partenaire de paix », ainsi que le serinent nos dirigeants depuis une décennie.
C’est vers le soir que la sirène a retenti. Depuis la première guerre du Golfe, en 1991, Tel-Aviv n’avait pas connu une telle alerte. En ces temps lointains, j’avais 14ans, et je m’étais précipité dans la pièce protégée qu’avaient préparée mes parents.Nous avions tous enfilé nos masques à gaz (à l’exception de mon grand père et de ma grand-mère originaires de Syrie, qui, eux, avaient traversé nombre d’épreuves durant leur vie et avaient refusé d’étouffer sous ces masques), et nous
avions attendu les missiles. Tandis que, cette semaine, quand la sirène a hurlé à Tel-Aviv, je me suis levé, j’ai emporté mon téléphone portable et les clés, et nous sommes sortis, mon compagnon et moi,nous réfugier dans la cage d’escalier de notre immeuble de style Bauhaus.
C’est ainsi que nous avons découvert que nous avions de charmants voisins (au cours des dernières années, Tel-Aviv est devenue une véritable métropole, la preuve: nous ne connaissons plus nos voisins). Et, du coup, nous avons bavardé avec ces aimables personnes et fait des connaissances. Tous les réseaux téléphoniques avaient succombé, mais, par bonheur, Internet continuait à fonctionner.
Ensuite, un voisin est retourné chez lui, après nous avoir salués d’un «à bientôt ».Certes, ce ne serait pas l’unique occasion de nous rencontrer là. En effet, le sujet le plus brûlant qui animait les conversations àTel-Aviv était :«Où étais tu pendant l’alerte?» Celui-ci se trouvait au café à siroter son expresso, celle-là, dans son club d’escalade murale, et celui là, aux toilettes. Tandis que moi, je me morfondais dans ma chambre à me couper les ongles. Je ne pensais pas que nous aurions des raisons de nous réjouir aussi vite de l’élection du président américain Barack Obama, sans doute le dernier rempart contre la folie guerrière des dirigeants israéliens et la guerre apocalyptique qui nous menace.
Mais nous n’oublions pas, un seul instant, que le président américain ne gouverne pas Israël. Après l’alerte, nous sommes allés manifester devant Metsoudat Zeev [la citadelle de Zeev Jabotinsky (1880-1940), inspirateur de la droite nationaliste], le bastion du Likoud. Les rues étaient déjà bondées de gens, certains se promenaient, d’autres faisaient leur jogging, quelques-uns se dirigeaient vers la manifestation. Là, nous avons aperçu de nombreux policiers barrant le passage pour nous séparer des militants du Likoud. Ces derniers brandissaient des drapeaux aux couleurs d’Israël, nous faisaient un doigt d’honneur et insultaient nos mères sans nous épargner nous-mêmes.
Nous, nous arborions des pancartes contre l’attaque de Gaza, nous criions des slogans contre la «guerre électorale» de Benyamin Nétanyahou et de Barack Obama, de même que celui-ci : «A Gaza et à Sdérot, les fillettes veulent vivre » (en hébreu, croyez-moi, cela rime…). Mais nous n’étions pas nombreux. Je suis un peu dépité de l’avouer, mais nous étions tout au plus deux cents personnes. Pas terrible. Juste à côté de moi, se tenait Dov Hanin, l’un des chefs du parti Hadash [Parti communiste], flanqué de son garde du corps. Un policier passait dans nos rangs pour nous filmer avec une caméra vidéo, un à un, avec une persévérance digne d’éloge.
Certains affirment que l’instinct de survie prime en l’être humain. Je commence à en douter. Il y a une semaine, nous sommes revenus d’un séjour d’un mois en Provence,en résidence pour écrivains. Et je dois confesser que je ne voudrais pour rien au monde me trouver en France en ce moment,malgré la situation dangereuse en Israël. Il va de soi qu’il ne s’agit pas de fièvre patriotique, Dieu m’en préserve, mais du sentiment que ma maison est ici et de solidarité avec des gens qui veulent vivre en paix dans ce pays où je suis né et que–malgré tous les graves problèmes–j’aime.
Mais le fait de me trouver là améliore-t-il la situation? Je serais candide de le croire. Je tremble en lisant qu’il y a eu des bombardements sur Gaza. Je souffre de voir des missiles lancés sur Israël et de la douleur des populations, des deux côtés de la frontière, qui paient de leur vie les agissements cyniques de dirigeants assoiffés de sang.
Dans la soirée, j’ai envoyé une photo de la manifestation à une poétesse palestinienne, rencontrée jadis, et qui vit en exil. Peu de temps après mon envoi, elle a écrit sur Facebook:
«Je n’éprouve pas le besoin de condamner la guerre à cause de l’attaque terrible sur Gaza. Toutesles guerres du Proche-Orient font rage sous ma peau. Toutes les villes du Proche-Orient sont mon foyer.Toutes les âmes des victimes assassinées en Irak, en Syrie, en Egypte, au Yémen, en Palestine, tous ceux-là font partie de ma famille. Tous ceux qui exercent leur violence sur le corps de ceux qui revendiquent la liberté sont mes ennemis. La dernière semaine n’est pas différente des deux dernières années en Syrie, ni des dix dernières années en Irak, ni des soixante-cinq dernières années en Palestine. Mettez fin à la haine.»
Tandis qu’un autre Palestinien, titulaire d’un passeport israélien, vivant à Jaffa avec un compagnon juif, a évoqué sur Facebook sa grand-mère sortie danser sur le toit de son immeuble, au bruit des missiles s’abattant sur la ville. Voici ce qu’il écrit avec une bonne dose d’humour noir (ces jours-ci, tout le monde a besoin d’humour):
Moi: «Maman, sais-tu où se trouve la chambre protégée?» Maman:«Bien sûr, c’est ma chambre à coucher. Je l’ai déjà remplie de vivres de Kalkiliya [au nord-ouest de Jérusalem dans les territoires palestiniens]. » Moi: «Tout le monde va bien?» Maman: « Tout le monde, sauf ta grand-mère. Elle danse sur le toit.» Moi: «Faites descendre cette dingue!» Maman: «Pourquoi la faire descendre? Espérons qu’un missile va la descendre…»
En quittant la manifestation, nous avons pris soin de ne pas croiser des militants de droite, dont certains guettent, dans des ruelles isolées, la fin des rassemblements pour donner une bonne leçon aux manifestants de gauche. Nous nous sommes promenés dans les rues de Tel -Aviv en nous éloignant prudemment des vitrines. Pendant tout ce temps, je pensais à l’endroit où je me réfugierais en cas d’alerte.
Mais il n’y a pas eu d’autre sirène. Nous avons continué jusqu’à la rue Allenby du nom du général Edmund Allenby, qui a chassé les Ottomans de la terre d’Israël et a franchi les portes de la première ville hébraïque, avec pompe et gloire. De là, nous avons gagné le marché Lewinsky et nous nous sommes attablés dans un restaurant pour manger du hareng à la juive et boire une bière. Car, après tout, on ne pourra plus désormais nous faire grief de l’hédonisme typique de Tel-Aviv.
Traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche
de la gauche caviar qui pue!!qui a rien a voir avec les vrais israliens des cons quoi!!!!!!!!!