L’UNITE DES HEBREUX EN QUESTION (2/3) – Par Rony Akrich

Elle reconnaĂźt que les gens ont des croyances, des cultures et des opinions politiques diffĂ©rentes. Cela envoie le message que, mĂȘme si nous sommes diffĂ©rents Ă  bien des Ă©gards, nous pouvons travailler et vivre ensemble de maniĂšre avantageuse pour nous deux. L’homogĂ©nĂ©itĂ© authentique est basĂ©e sur les valeurs dĂ©mocratiques, l’ouverture d’esprit et le concept de multiculturalisme. La cohĂ©sion est un environnement stimulant oĂč tous cohabitent harmonieusement et reposent sur les principes d’égalitĂ© et de respect mutuel.

Etre totalement dĂ©possĂ©dĂ© du sentiment d’unitĂ© humaine interpelle un sujet essentiel, la lĂ©gitimitĂ© de l’altĂ©ritĂ© pour l’altĂ©ritĂ©. Il s’agit d’une rĂ©ponse contre toutes les hĂ©gĂ©monies, la raison actuelle parvient lentement Ă  reconnaĂźtre que la conscience d’autrui se fonde sur l’obligation de vivre mon prochain et sa diffĂ©rence.
Mis face à face avec notre ordinaire, avec les maux du racisme, du communautarisme, de la religion et du politique, nous sommes devenus trÚs irascibles quant à la déférence due à cette différence.

L’autre, sous couvert de couleur, de formes, de croyances, doit pouvoir s’exprimer parmi nous. Refusons d’émettre toute sorte de sentence vindicative. Sinon les effets seront terribles et la sĂ©cession engendrĂ©e par la couleur de peau, la foi, l’accent, la culture, les maniĂšres de vivre
 source de violence. La diversitĂ© doit ĂȘtre accueillie pour ce qu’elle est, reçue comme un fait, de la mĂȘme maniĂšre que nous admettons les rĂ©alitĂ©s de notre univers, aussi plurielles soient-elles, au sein de la Nature. Par la seule variĂ©tĂ© des instruments, des sons et des accords, le concert devient l’Ɠuvre harmonieuse par excellence.

Ce sont les contrastes qui offrent Ă  l’image, au tableau, le reflet d’un ensemble soutenant le beau la richesse, la densitĂ©, la gaietĂ© et la vie.

Or, dans le monde humain, il semble que la diversitĂ© fasse problĂšme, d’emblĂ©e. Il nous est Ă©trangement difficile d’accepter la diversitĂ© humaine, comme telle.
Il est certes naturel que nous Ă©tablissions, plus facilement, des liens avec des personnes d’horizons similaires, nous hĂ©sitons souvent Ă  frĂ©quenter, ou Ă  travailler, avec des communautĂ©s culturelles trĂšs diffĂ©rentes des nĂŽtres. Cela conduit inĂ©vitablement Ă  une situation dans laquelle nous sommes ignorants de ce qui se passe au-delĂ  de nos propres murs, dans d’autres communautĂ©s, d’autres rĂ©gions de ce pays oĂč nous rĂ©sidons.
En consĂ©quence, et tout naturellement, nous commençons Ă  nous mĂ©fier de tout ce qui est diffĂšrent, la crainte par insuffisance, la peur par mĂ©diocritĂ©, servent la bĂȘtise, la malveillance et les rivalitĂ©s.

L’unitĂ© ne peut aboutir sans abandonner nos mauvais penchants, sans cesser de rechercher l’unicitĂ© rassurante et cesser de vouloir imposer l’uniformitĂ©.
Cela concerne tout d’abord la cellule familiale, source premiĂšre de l’éducation intime, puis la citĂ© ouverte vers l’ĂȘtre social et enfin mon pays dans son ensemble. Partager les mĂȘmes valeurs, la mĂȘme culture, la mĂȘme origine, les mĂȘmes us et coutumes, n’a jamais empĂȘchĂ© les conflits et les drames. Toutefois, nous ne pouvons pas ignorer la rĂ©alitĂ© : dans notre pays, nous ne partageons pas tous les mĂȘmes valeurs, nous ne suivons pas une seule et mĂȘme pratique religieuse et nous venons, pour beaucoup, de cultures diffĂ©rentes.

Pour jouir de la paix, de la prospĂ©ritĂ© et de la dĂ©mocratie, nous devons d’abord reconnaĂźtre que nous ne sommes pas tous identiques, mĂȘme si Juifs.

Nous pouvons alors nous efforcer de dĂ©velopper l’unitĂ© par le respect mutuel et la tolĂ©rance pour nos diffĂ©rences. L’un des moyens de rĂ©aliser l’unitĂ© consiste Ă  interagir avec des personnes d’origines diffĂ©rentes des nĂŽtres. GrĂące Ă  cela, nous pouvons comprendre et respecter les cultures de chacun. Progressivement, nous commencerons Ă  comprendre les joies, les difficultĂ©s et les griefs des autres.
Pour moi, vivre dans une société uniforme serait plutÎt ennuyeux.
Pour ma part, je choisirai toujours de vivre parmi des personnes appartenant à des systÚmes sociaux différents, aux opinions politiques et aux appartenances religieuses différentes.
Cet environnement est nettement plus passionnant, avantageux et profitable.

Mais changer notre façon de penser, de nous comporter et d’interagir avec les autres n’est pas une entreprise facile.

Nous devons changer radicalement notre maniĂšre de faire.
Cela nous oblige Ă  nous interroger.
Cela nous oblige Ă  ĂȘtre plus conscients de notre environnement.
Nous devons ĂȘtre assez courageux pour nous mĂȘler Ă  des groupes inconnus et explorer de nouveaux domaines. Ainsi, la prochaine fois que nous prononcerons le mot « unité », rĂ©flĂ©chissons d’abord si nous le pensons vraiment ou non.
Si le problĂšme n’est pas un manque de terrain d’entente, si nous sommes toujours unis par notre hĂ©ritage, par notre destin, alors peut-ĂȘtre que le problĂšme se trouve ailleurs ?
Peut-ĂȘtre est-ce un problĂšme d’idĂ©ologie ?
Cela conduit Ă  une seconde objection :
Les Juifs orthodoxes ne pensent pas que les autres Juifs sont authentiquement Juifs.
Les Juifs conservateurs, réformistes, reconstructeurs et postmodernes ne pensent pas que les orthodoxes soient éthiques ou ouverts.

Il est vrai que nous, Juifs, nous empressons de nous stéréotyper.
Des porte-paroles orthodoxes accusent des rabbins non orthodoxes d’ĂȘtre des « clowns » et affirment que les autres mouvements ont abandonnĂ© la Torah ou l’ont ajustĂ©e pour l’adapter Ă  leurs fantaisies prĂ©fĂ©rĂ©es.
Les leaders des mouvements sĂ©culiers, eux, affirment que ces derniers sont des superstitieux mĂ©diĂ©vaux (est-ce vraiment une si mauvaise chose ?) Et qu’ils ne se prĂ©occupent que de la minutie rituelle plutĂŽt que des glorieux mandats Ă©thiques qui animent la tradition juive.
Dans ces accusations, nous jetons l’un sur l’autre l’opprobre, il y a juste assez de vĂ©ritĂ© des deux cĂŽtĂ©s pour nous mettre tous mal Ă  l’aise. Mais il n’est pas difficile de percevoir la voix lĂ©sĂ©e de la victime, qui cherche Ă  panser ses propres blessures en faisant du mal Ă  d’autres. Le ‘cliché’ n’est finalement pas utile : cela ne renforce pas notre JudaĂŻsme et n’aide pas les autres Juifs Ă  mieux nous comprendre.

Soyons clairs sur un point. Les Juifs ont toujours argumentĂ© : n’est-il pas vrai que, tout au long des millĂ©naires, diffĂ©rents Juifs se sont accusĂ©s de dĂ©naturer la vĂ©ritable essence de la Foi ? Durant la pĂ©riode du Premier Temple, les rois, les prĂȘtres, les prophĂštes et le peuple s’éloignĂšrent les uns des autres, dĂ©finir qui Ă©tait un « mĂ©crĂ©ant d’IsraĂ«l » dĂ©pendait beaucoup de la position sociale ou religieuse, avantageuse ou non, occupĂ©e. Les HĂ©breux de cette Ă©poque fondatrice n’étaient guĂšre de fervents combattants pour l’unitĂ© et la paix nationale. À l’époque du Second Temple, les choses n’avaient guĂšre changĂ© : les Pharisiens, les SadducĂ©ens, les ZĂ©lotes, les EssĂ©niens et la plĂšbe dĂ©fendaient, chacun, des conceptions trĂšs diffĂ©rentes de la maniĂšre dont l’HĂ©braĂŻsme se concevait.

Observer la Loi, suivre les Commandements, rendre Justice et faire le Bien Ă©taient source de commentaires et d’apprĂ©ciations diffĂ©rentes. L’intransigeance et la raideur furent Ă  l’origine d’un niveau d’animositĂ© et de violence inimaginable.
À l’époque talmudique et gaonique, les Juifs de Babylone et d’Eretz Yisrael se disputaient avec force, de mĂȘme les rabbins et les karaĂŻtes. Ces fractures se poursuivirent Ă  l’époque mĂ©diĂ©vale. De nombreuses communautĂ©s, entre autres celles de Provence et du Languedoc, prononcĂšrent, contre les Ă©crits philosophiques de MaĂŻmonide, l’anathĂšme et la peine du feu. On s’excommunia rĂ©ciproquement, sans misĂ©ricorde ni sans mansuĂ©tude, allant mĂȘme Ă  en appeler Ă  la justice des ‘gentils’! Ce fut un vĂ©ritable schisme qui s’étendit, peu Ă  peu, Ă  toutes les synagogues pendant un siĂšcle entier.

L’époque moderne n’est pas en reste. Elle a, Ă©galement, rĂ©vĂ©lĂ© de profondes divisions, dont beaucoup n’avaient rien Ă  voir avec nos substantifs actuels : le Gaon de Vilna excommuniait les Hassidim qui Ă©taient en guerre contre les Mitnagdim (refus du hassidisme). Sionistes et Bundistes, libĂ©raux et nĂ©o-conservateurs, tous se dĂ©chirent !

Notre peuple, fidĂšle Ă  lui-mĂȘme, demeure capable du meilleur et du pire, un peuple contentieux.

La controverse fait partie intégrante de la prise au sérieux des idées.
Malheur Ă  nous si jamais nous considĂ©rons nos idĂ©es et nos opinions comme caduques et ne valant plus la peine d’ĂȘtre argumentĂ©es. La vĂ©ritĂ© est que nous avons de profonds et sĂ©rieux points de dĂ©saccord dans le domaine de la thĂ©ologie et de la pratique.
Quel état voulons-nous ?
A quelle société aspirons-nous ? (A SUIVRE)


RĂ©daction francophone Infos Israel News pour l’actualitĂ© israĂ©lienne
© 2025 – Tous droits rĂ©servĂ©s