« Si Facebook avait existĂ© dans les annĂ©es 1950, IsraĂ«l et l’Allemagne n’auraient pas signĂ© l’accord de rĂ©parations »

Le film documentaire « Soul Calculation » revient sur l’histoire de l’accord de rĂ©paration. Dans une interview avant sa projection au Festival du film juif Ă  la CinĂ©mathĂšque de JĂ©rusalem, la rĂ©alisatrice Roberta Grossman explique pourquoi l’accord Ă©tait nĂ©cessaire pour le jeune pays, et pourquoi il n’y aurait eu aucune chance qu’il se concrĂ©tise ces jours-ci.

Bande-annonce du film « Soul Reckoning » (Katahdin Productions)

En septembre prochain, le monde cĂ©lĂ©brera le soixante-dixiĂšme anniversaire de l’accord de rĂ©paration, en vertu duquel l’Allemagne a transfĂ©rĂ© des milliards de marks Ă  l’État d’IsraĂ«l et aux Juifs de la diaspora. Au cours de cette pĂ©riode, la ConfĂ©rence des rĂ©clamations a Ă©galement Ă©tĂ© créée, qui reprĂ©sentait les survivants de l’Holocauste Ă  l’étranger dans les nĂ©gociations avec les autoritĂ©s allemandes. Elle est active Ă  ce jour, et dans le cadre de ses activitĂ©s, elle a Ă©galement produit un documentaire intitulĂ© « Mental Account ».

Ce docu prĂ©sente l’histoire fascinante derriĂšre les accords, et a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© par Roberta Grossman – l’une des principales rĂ©alisatrices de documentaires dans tout ce qui concerne l’histoire du peuple juif, qui est responsable, entre autres, de « Blessed the Match » sur Hana Senesh et « Qui Ă©crira notre histoire » sur le soulĂšvement dans le ghetto de Varsovie. Sa premiĂšre locale aura lieu  (mercredi) lors d’un Ă©vĂ©nement spĂ©cial dans le cadre du Festival du film juif de JĂ©rusalem.

L’accord de paiement a Ă©tĂ© enregistrĂ© comme l’un des moments tumultueux de l’histoire du pays. Selon un sondage publiĂ© par « Maariv » Ă  l’époque, 80% du public s’y oppose. Et la protestation n’a pas Ă©tĂ© tranquille. Les foules ont pris d’assaut la Knesset et « Yediot Ahronoth » a dĂ©fini les sites comme un « champ de bataille ». Des centaines de policiers ont Ă©tĂ© blessĂ©s ainsi que plusieurs hommes politiques, ce qui ne les a pas empĂȘchĂ©s d’approuver la signature de l’accord.

Tout cela s’est passĂ© il y a soixante-dix ans – c’est-Ă -dire bien avant Facebook et Twitter et avant l’ùre des « machines Ă  poison », et on ne peut qu’imaginer ce qui se serait passĂ© s’il y avait eu les mĂ©dias sociaux de nos jours.« C’était un dĂ©sastre », dĂ©clare la rĂ©alisatrice Roberta Grossman dans une interview avec Walla ! Culture en prĂ©paration de la projection du film en IsraĂ«l. « Pourtant, il y a eu une tempĂȘte d’émotions autour de cette histoire, et les rĂ©seaux sociaux l’auraient encore intensifiĂ©e. Une bataille aurait commencĂ© pour savoir qui crierait le plus fort sur les rĂ©seaux, et ceux qui Ă©taient contre l’accord crieraient trĂšs fort ». bruyamment. Je suppose que les nĂ©gociations pour l’accord auraient Ă©chouĂ© Ă  un stade prĂ©coce. »

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Combine des images d’archives, des interviews contemporaines et la dramatisation d’évĂ©nements historiques. Extrait de « Soul Account » (Photo : Katahdin Productions)

Pouvez-vous comprendre ce qui a motivĂ© le gouvernement israĂ©lien Ă  aller de l’avant avec l’accord, mĂȘme si ceux qui s’y sont opposĂ©s l’ont dĂ©fini comme un pacte avec le diable et une honte morale, et bien sĂ»r vous pouvez les comprendre aussi ?

« Je ne peux que rĂ©pĂ©ter les propos des historiens avec qui j’ai parlĂ©. IsraĂ«l Ă©tait au bord de la faillite, et sans les accords de rĂ©parations, il n’aurait pas Ă©tĂ© en mesure de rĂ©tablir sa situation Ă©conomique. L’argent allemand a eu un impact Ă©norme sur le marchĂ© israĂ©lien dans les annĂ©es 70 et 80, et c’était toujours ironique de voir des voitures Mercedes fabriquĂ©es en Allemagne sur ses routes. »

L’initiative du film est venue de la Claims Conference et du gouvernement allemand, et « Soul Calculation » est dĂ©finitivement positif envers ces deux-lĂ . « Je ne connaissais rien Ă  l’histoire, et justement parce que je voulais faire le film, parce que le sujet me passionnait et que j’étais curieux d’en savoir plus », avoue le rĂ©alisateur. « C’est assez Ă©tonnant : Ă  peine sept ans aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, des reprĂ©sentants des tueurs et des victimes se retrouvent dans la mĂȘme piĂšce et parviennent Ă  surmonter l’hostilitĂ© pour parvenir Ă  un accord qui a aidĂ© les survivants de l’Holocauste et leurs familles. Autant de problĂšmes ces jours-ci semblent insolubles, il est donc inspirant de revenir Ă  l’histoire oĂč les ennemis se sont assis l’un en face de l’autre et en ont tirĂ© quelque chose de positif. »

Quel a été le plus grand défi pour vous dans la réalisation du film ?

« J’ai travaillĂ© avec le gouvernement allemand d’une part et avec la Claims Conference d’autre part. Le grand dĂ©fi et par la suite ma plus grande rĂ©ussite a Ă©tĂ© de les amener Ă  intĂ©grer les enfants et Ă  dĂ©cider d’un rĂ©cit. Comme vous le savez, la façon dont vous racontez l’histoire est tout aussi important que l’histoire elle-mĂȘme. Il y a eu de nombreux obstacles sur le chemin pour trouver le rĂ©cit commun, mĂȘme si j’admets que c’était moins difficile que prĂ©vu.

À quel point le film vous a-t-il interpellĂ© personnellement et Ă©motionnellement ? Je suppose que ce n’est pas un grand plaisir de faire un film sur l’Holocauste.

« Ce n’est pas un film sur l’Holocauste. C’est un film sur ce qui s’est passĂ© aprĂšs l’Holocauste. J’ai fait des films sur l’Holocauste dans le passĂ© et ils Ă©taient en effet difficiles. ‘Soul Reckoning’ est en fait l’un de mes films les moins difficiles.  ».

On peut dire que le film a deux hĂ©ros. D’un cĂŽtĂ© de la barricade, Konrad Adenauer, qui Ă©tait chancelier allemand Ă  l’époque, et du moins selon ce document, a vu l’accord comme une nĂ©cessitĂ© morale et a tout fait pour le faire passer. D’autre part, Nahum Goldman – le prĂ©sident du CongrĂšs juif mondial qui a créé le ComitĂ© des rĂ©clamations.

Bien que strict dans sa dĂ©finition, « Mental Reckoning » utilise des reconstitutions dramatiques et des acteurs pour illustrer les conversations entre les deux. Habituellement, le cinĂ©ma prĂ©sente les Allemands comme des athlĂštes talentueux et les Juifs comme des attardĂ©s, mais ici c’est l’inverse qui se produit. Adenauer est prĂ©sentĂ© comme un homme peu impressionnant et Goldman ressemble Ă  une combinaison de Paul Newman et Robert Redford.

« Goldman était une personne adorable », dit Grossman. « Il était le gentleman européen classique et a réalisé beaucoup de choses grùce à son charme personnel. »

Le personnage de Goldman joue dans le film, mais ne joue pas dans les cours d’histoire du lycĂ©e en IsraĂ«l. Pouvez-vous comprendre pourquoi le rĂ©cit israĂ©lien l’a quelque peu oubliĂ© ?

« Peut-ĂȘtre parce qu’il ne correspondait pas au rĂ©cit, parce qu’il n’a pas immigrĂ©. J’ai dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ© un film intitulé » Over and Over « , sur des pilotes juifs amĂ©ricains qui sont venus en IsraĂ«l pour combattre dans la guerre d’indĂ©pendance, et ils Ă©taient Ă©galement effacĂ©s du rĂ©cit sioniste parce qu’ils sont retournĂ©s en AmĂ©rique aprĂšs la guerre. »

Le film prĂ©sente des entretiens avec un certain nombre d’historiens chevronnĂ©s, par exemple le professeur Ron Zweig, et leur accorde beaucoup de temps d’écran. C’est agrĂ©able de voir un film qui donne autant de respect Ă  l’AcadĂ©mie.

« Je suis un peu ‘vieillot’. Je sais qu’aujourd’hui beaucoup de gens sont contre l’idĂ©e des ‘tĂȘtes parlantes’, mais Ă  mon avis les chercheurs sont les gens les plus fascinants au monde. Je fais des films historiques , et les chercheurs Ă  qui je parle ont la capacitĂ© de mettre les choses en contexte. Ce sont mes merveilleuses histoires – c’est leur travail. Tous mes films ont des entretiens avec des universitaires. Le plaisir est pour moi.

« Si Facebook avait existĂ© dans les annĂ©es 1950, IsraĂ«l et l’Allemagne n’auraient pas signĂ© l’accord de rĂ©parations » - Infos-Israel.News

La polémique qui ne finira jamais. Extrait de « Soul Account » (Photo : Katahdin Productions)

Le film montre Ă©galement votre conversation avec le prĂ©sident Yitzhak Herzog. Je pense que c’est sa premiĂšre apparition dans un documentaire international depuis son entrĂ©e dans la Maison du PrĂ©sident.

« J’ai dĂ©jĂ  interviewĂ© Shimon Peres pour un autre film, et maintenant j’ai eu l’opportunitĂ© d’interviewer Herzog, et il est remarquable pour moi que j’ai eu l’opportunitĂ© d’interviewer deux prĂ©sidents diffĂ©rents Ă  deux occasions diffĂ©rentes. Herzog a Ă©tĂ© trĂšs gĂ©nĂ©reux avec moi. Il est une personne Ă©loquente qui a aussi beaucoup de connaissance personnelle des Ă©vĂ©nements Ă  cause de sa lignĂ©e familiale. »

D’autre part, le film ignore presque complĂštement le personnage de Menachem Begin, qui a menĂ© la protestation contre l’accord. Est-ce une dĂ©cision politique ?

« La manifestation en IsraĂ«l contre l’accord est une histoire Ă©norme, bien sĂ»r, mais le film se concentre sur les pourparlers qui ont conduit Ă  l’accord et sur l’histoire de la confĂ©rence sur les revendications. Il y a une limite Ă  la quantitĂ© de matĂ©riel que je pourrais inclure dans le film. , et j’ai dĂ» trouver des Ă©quilibres et dĂ©cider quoi abandonner. »

Êtes-vous excitĂ© pour la projection du film en IsraĂ«l ?

« Je suis curieuse de connaĂźtre les rĂ©actions, car je sais que l’accord de paiement Ă©tait controversĂ© Ă  l’époque et l’est toujours aujourd’hui. »

« Soul Calculation » sera projetĂ© demain (mercredi 21.12) Ă  la CinĂ©mathĂšque de JĂ©rusalem Ă  19h00 dans le cadre du Festival du film juif. Les billets peuvent ĂȘtre achetĂ©s sur le site officiel de la CinĂ©mathĂšque. Le mois prochain, le film sera Ă©galement projetĂ© sur HOT 8.