« La vie sans examen ne vaut pas la peine d’être vécue », a déclaré Socrate.
Cela ne signifie pas examiner la vie des autres. Cela signifie penser à ce que nous faisons, à notre relation, à nos réactions. Être humain signifie par définition s’efforcer d’être rationnel, si vous ne le faites pas, vous ne pouvez être une personne en harmonie.
Les Grecs considéraient que c’était un signe d’immaturité lorsque des personnes réfléchies donnaient des réponses instinctives et automatiques à des devoirs ou des concepts sans analyser ni remettre en question leur teneur. Ils sont venus au monde téléologiquement. Il y avait un but à tout, développer ses capacités rationnelles.
Sinon, en quoi êtes-vous unique par rapport aux animaux ?
Être humain, c’est être critique sur ce que nous faisons et comment parvenons nous à nos propres conclusions.
Nous sommes invités à utiliser ce qu’on appelle la cohérence logique.
Nous ne pouvons pas penser clairement, nous ne pouvons pas écrire clairement sans fournir des sources crédibles à nos affirmations et nous ne devons jamais croire que quelque chose est vrai ‘juste parce que c’est sur le Web’. Les étudiants ne doivent pas les prendre comme des données mais analyser les concepts de base.
Tout est fondé sur ceux-ci, alors comment nous développer sans eux?
Nous aimerions voir nos enfants davantage se fier à l’Encyclopédie de philosophie en 10 volumes et moins à Google. La pensée critique était principalement utilisée au Moyen Âge pour distinguer les arguments faibles et erronés des bons, c’était un outil de tri pour réconcilier ce qui semblait être différentes sources de vérité.
Comment savons-nous ce que nous savons?
Juste parce que tel rabbin ou autre, au troisième siècle, a dit quelque chose, cela rend-il véridique son propos?
Nous devons compter sur la société dans toute sa contextualité, et non seulement sur l’autorité, pour approcher une vérité toujours toute relative.
Socrate a dit qu’il fallait chercher des preuves, la pensée critique nous mobilise dans une quête incessante à plus de véracité. Elle doit être utilisée pour remettre en question non seulement les pouvoirs, mais aussi le droit, la science, la politique, l’économie, la société, la religion et l’éducation.
Le psychologue Joy Paul Guilford est à l’origine des notions de « pensée convergente et divergente », établies en 1956. La « pensée convergente » consiste à trouver une seule solution bien définie à un problème, la plus adaptée aux tâches impliquant plus de logique que de créativité, telles que les tests à choix multiples ou les problèmes n’ayant qu’une seule solution possible. Un penseur convergent ne verra jamais qu’un nombre limité d’options dans n’importe quelle situation, toutes prévisibles et prédéterminées par l’expérience. Toute décision aura un précédent ou un comparable par le passé, ou dans l’expérience normative de la culture ou de la société.
La pensée divergente est à l’opposé. Elle génère plus de créativité, et vous permet en effet de générer des idées ou de développer plusieurs solutions pour un problème donné. Si ce type de pensée entraîne souvent des séances de « brainstorming » qui débouchent sur une multitude de réponses à la question posée, son objectif reste le même que celui de la « pensée convergente » : définir la meilleure solution.
Un penseur divergent est donc différent. Il ne se satisfera jamais des solutions les plus évidentes et cherchera toujours à faire les choses différemment, en envisageant des options qui ne sont pas immédiatement apparentes. Il est créatif, il pense en dehors des sentiers battus, l’inconvénient est qu’il ne suit pas les règles par défaut, et sa créativité peut souvent ajouter une complexité et des risques inutiles à sa vie. En conséquence, la société tend généralement vers une « pensée convergente », convaincue que l’option la plus sûre sera toujours de s’en tenir aux règles et aux acquis.
Albert Einstein avait déclaré: «nous ne pouvons pas résoudre nos problèmes avec la même pensée que celle que nous avons utilisée lorsque nous les avons créés».
La religion ordonnancée est considérée comme la forme ultime de la « pensée convergente », et le Judaïsme ne fait pas exception. Après tout, être un bon Juif, c’est embrasser la tradition et s’engager dans une continuité basée sur l’Histoire et les mythes.
Toute tentative de remettre en question us et coutumes, de s’aventurer sur un nouveau territoire, est immédiatement dépeinte comme une hérésie et une rébellion sacrilège.
Mais cela signifie-t-il vraiment qu’il n’y a pas de place pour la créativité et la pensée divergente en tant que « Juif religieux »? Personnellement, je ne peux souscrire à aucun manichéisme, à nulle option binaire. Comme l’un de mes professeurs m’avait fait remarquer un jour, «il y a deux types de personnes dans ce monde – ceux qui pensent qu’il y a deux types de personnes et ceux qui ne le pensent pas ».
Je tombe résolument dans cette dernière catégorie.
Malgré la nature très « convergente » du cadre religieux, je crois que pour être dynamique et proposer un devenir rationnel, l’institution doit associée un élément divergent pour plus de créativité et d’originalité.
La preuve en est trouvée dans le contraste entre notre patriarche fondateur, Avraham, et Noa’h, dont la vertu se définit par un confinement à son temps et à son lieu, Avraham, lui, est célébré comme l’ancêtre du monothéisme, son influence lui a survécu des millénaires.
En décrivant Noa’h, la Torah nous dit qu’« il marcha avec Dieu » (Genèse 6 :9), tandis qu’Avraham est décrit comme ayant « marché devant Dieu » (Genèse 17 :1). Le commentateur médiéval Rachi observe que Noa’h avait constamment besoin du soutien divin pour maintenir son cap, mais Avraham allait de l’avant, novateur à une époque de stagnation païenne.
Noa’h n’a jamais défié Dieu concernant la décision de détruire sa génération, ni même fait aucune tentative pour corriger les iniquités de son époque, Avraham était, lui, prêt à entrer en guerre contre une armée supérieure en nombre, lorsque son neveu fut capturé. Il défie Dieu quant à Sa décision de détruire Sodome et Gomorrhe, plus encore, il L’interpelle à propos de Sa promesse, pour sa descendance, d’hériter de la terre de Canaan, alors qu’il n’est toujours pas père. Étonnamment, notre première rencontre directe avec Avraham a lieu lorsque Dieu lui ordonne (Gen. 12:1): « Va vers toi, quitte ton pays, ta patrie, et la maison de ton père, vers la Terre que je te montrerai. »
S’il était simplement resté juste au cœur de sa zone de confort, Avraham n’aurait jamais réussi comme pionnier du plan Divin, comme devenir d’une Humanité plus éminente. Il devait partir, se mettre en marche, aller au-delà de son environnement ordinaire et prouver que sa rare piété perdurerait et prospérerait en tous lieux et en toutes circonstances. Le Midrash le présente comme l’archétype de l’obéissance ultime à la volonté Divine. Singulièrement, cela semble être le résultat de sa « pensée divergente » tout en se comportant de manière « convergente ».
Noa’h était limité par son obscurantisme et vraisemblablement incapable de prendre des risques au nom de sa Foi. Il est ainsi critiqué par comparaison à Avraham, car il n’aura été qu’un passeur entre le temps de la Création et celui du patriarche.
Le Judaïsme peut s’appuyer sur le socle d’une « pensée convergente » pour assurer une société religieuse cohérente, soutenue par des normes et des exigences qui garantissent sa survie.
Mais sans « pensée divergente » pour la parfaire, notre Foi devient une prison moribonde, et se traduit trop souvent par un état conflictuel au sein même de la doxa. Demeurer des Juifs fidèles dans la sécurité d’une tour d’ivoire est une option minimaliste et pieuse de la part de Noa’h.