Depuis le 7 octobre, les discussions sur les causes de l’échec du renseignement dressent un tableau sombre, parfois même décourageant. Au cœur du débat se trouve une difficulté à identifier les véritables failles et un doute quant à la capacité de changement après cet échec. D’anciens hauts responsables des services de renseignement, ainsi que des universitaires et des journalistes, participent à cette discussion, qui rappelle en grande partie les leçons tirées après la guerre de Kippour. Certains messages sont particulièrement inquiétants, notamment l’idée que « rien ne garantit que les erreurs du passé ne se reproduiront pas ».

Cette réflexion s’apparente à chercher une pièce de monnaie sous un lampadaire. On part du principe que l’agent de renseignement est un individu dont l’intelligence analytique est l’atout principal. Par conséquent, les critiques et propositions d’amélioration se focalisent sur cet aspect :

✔️ Amélioration des méthodes et processus d’évaluation (notamment en évitant la « pensée de groupe »)
✔️ Développement de nouvelles méthodologies
✔️ Renforcement des mécanismes de contrôle
✔️ Réévaluation de la place dominante accordée à la technologie
✔️ Optimisation des relations entre les différentes agences de renseignement

Or, même si le renseignement est dirigé par des personnes hautement qualifiées, elles ne sont pas à l’abri des éléments fondamentaux qui conduisent à des échecs : excès de confiance (voire arrogance), dogmatisme, incapacité à douter et à encourager le pluralisme, ainsi qu’un déficit de compréhension du mode de pensée et des logiques de l’adversaire.

Les dons sont la bienvenue en cette situation particulièrement difficile  :

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Un échec prévisible ?

L’échec du 7 octobre est survenu exactement 50 ans après celui de la guerre de Kippour. Lors des événements marquant ce cinquantenaire, des responsables du renseignement ont insisté sur la nécessité d’être modestes et prudents – sans se rendre compte qu’ils étaient eux-mêmes prisonniers des mêmes biais, ce qui a conduit à une catastrophe d’ampleur comparable à celle de 1973.

Un service de contrôle interne, aussi performant soit-il, ne suffit pas à corriger ce type de faille. Il est impératif d’avoir des commandants et des conseillers capables d’alerter sur les comportements individuels qui influencent négativement l’analyse et la prise de décision.

Un problème fondamental, déjà identifié par la commission Agranat après 1973 mais jamais résolu, est la méconnaissance des caractéristiques fondamentales de l’adversaire. Cette lacune s’est aggravée au fil des décennies, notamment avec la diminution du nombre d’analystes maîtrisant l’arabe et ayant une réelle connaissance de la culture et de l’histoire de la région. Cette tendance concerne toute la société israélienne, mais ses effets sont particulièrement délétères dans le domaine du renseignement, qui repose sur la compréhension de « l’autre ».

Un déclin structurel du renseignement

Le renseignement, autrefois centré sur l’humain, s’est transformé en une discipline hautement méthodologique et technocratique, dominée par des outils analytiques complexes et des débats philosophiques abstraits. En conséquence, il s’est éloigné de sa mission première : comprendre les individus, en particulier ceux issus de cultures différentes.

Cette évolution a façonné le profil des agents de renseignement modernes : ils ont une intelligence analytique affûtée et un accès massif aux données, mais une compréhension limitée de la réalité qu’ils étudient.

L’attaque du Hamas le 7 octobre en est une illustration frappante. Les services de renseignement israéliens ont échoué à anticiper l’offensive, non pas en raison d’un manque d’informations, mais parce qu’ils n’ont pas su interpréter correctement les intentions de l’ennemi.

Cette tendance s’est répétée lors d’autres événements récents :
📌 L’attaque iranienne d’avril 2024 en représailles à la frappe israélienne sur un consulat à Damas a également surpris Israël.
📌 L’effondrement du régime d’Assad a été mal anticipé en raison d’une mauvaise compréhension des dynamiques internes en Syrie.
📌 Les tensions en Cisjordanie ont été signalées depuis longtemps par les services de renseignement, mais sans déclencher d’actions concrètes.

Quand les erreurs du passé se répètent

L’échec du renseignement israélien ne se limite pas à un manque de vigilance technique ou organisationnelle. Il s’agit d’une profonde incompréhension de l’ennemi.

Depuis des années, une vision erronée s’est imposée, basée sur l’idée que le Hamas évoluait vers une modération grâce aux accords économiques avec Israël. Cette supposition était fondée sur une projection de la logique israélienne sur l’adversaire, ignorant le fait que l’organisation restait fondamentalement ancrée dans une idéologie jihadiste intransigeante.

Ce biais a été confirmé dans un rapport interne récent du renseignement israélien, qui reconnaît que les analystes ont sous-estimé la force des motivations jihadistes de leurs ennemis, en les évaluant selon une grille de lecture occidentale et rationnelle.

Une nécessité de réforme en profondeur

L’échec du 7 octobre exige une introspection profonde parmi les responsables du renseignement. Il ne s’agit pas seulement d’analyser les erreurs stratégiques et tactiques, mais de remettre en question le profil des analystes et la manière dont ils sont formés.

Il est indispensable que ceux qui surveillent et évaluent les ennemis d’Israël maîtrisent leur langue, leur culture et leur histoire. Aucun algorithme ni aucune méthodologie ne peut compenser ce déficit de compréhension humaine.

Si cette remise en question n’a pas lieu, les services de renseignement israéliens continueront d’exceller sur le plan opérationnel et tactique, notamment pour identifier des cibles militaires, mais ils échoueront dans leur mission stratégique et leur capacité à anticiper les menaces majeures.

Conclusion : un défi national

Le renseignement est la boussole qui guide la nation. L’échec du 7 octobre doit être analysé sans tabou, et les parties non classifiées de l’enquête doivent être rendues publiques pour que la société israélienne puisse en tirer des leçons.

Ce n’est pas seulement un problème qui concerne les dirigeants militaires et politiques, mais toute la société israélienne. La méconnaissance du monde environnant est une faille collective, et il ne faut jamais supposer que « ceux d’en haut » savent tout. L’esprit critique et le doute doivent rester des principes fondamentaux pour éviter que de telles erreurs ne se répètent.

📌 Dr. Michaël Milshtein est le directeur du Forum des études palestiniennes au Centre Dayan de l’Université de Tel-Aviv.