Roni est allĂ© au restaurant et nâest jamais rentrĂ© Ă la maison depuis maintenant 16 ans. Sa femme, Limor, mĂšre de leurs deux enfants, a tout tentĂ© : elle sâest rendue quotidiennement au commissariat, a cherchĂ© parmi les sans-abri Ă la gare centrale, et a mĂȘme consultĂ© des voyantes. Dans un entretien avec ynet, elle raconte lâĂ©ducation des enfants dans lâombre de cette disparition soudaine, la vie avec une Ă©nigme non rĂ©solue, et la dĂ©cision de lĂącher prise sur lâespoir.
Un jour ordinaire dâaoĂ»t 2009, Roni Yifrah est sorti de chez lui pour manger un shawarma avec des amis. Un appel tĂ©lĂ©phonique Ă©trange plus tard dans la journĂ©e, dans lequel il dit Ă son fils « prends soin de maman » et Ă sa femme « nâoublie pas que je tâaime », a Ă©tĂ© la derniĂšre fois que sa famille a entendu sa voix. Sans signe avant-coureur, sans raison apparente, Roni a disparu â laissant derriĂšre lui une Ă©pouse sous le choc, deux jeunes enfants, et un mystĂšre qui dure depuis 16 ans.
Dans une semaine, Roni fĂȘtera ses 54 ans, loin de sa femme et de ses enfants qui nâont jamais cessĂ© de se demander ce qui lui est arrivĂ©.
« Il est impensable quâil ait quittĂ© les enfants. Ils Ă©taient ce quâil avait de plus prĂ©cieux », raconte Limor Rejwan Yifrah, son Ă©pouse. « Il avait Ă©tĂ© blessĂ© au travail quelques jours plus tĂŽt Ă cause dâune hernie discale. Il souffrait, mais le jour de sa disparition, il se sentait mieux. Ă 10h, il a dit quâil allait voir des amis et manger avec eux. »
Ce jour-lĂ , Ă 13h26, Roni a appelĂ© Limor dâun numĂ©ro masquĂ©. Ses paroles ont pris un autre sens aprĂšs sa disparition. « Il a demandĂ© Ă parler Ă notre fils aĂźnĂ©. Il lui a dit : âSoyez sages, prenez soin de maman, aidez-la.â Ensuite, il mâa dit : âSouviens-toi que je tâaime.â Jâai rĂ©pondu : âArrĂȘte avec tes bĂȘtises.â Ăa ne mâa pas inquiĂ©tĂ©e Ă ce moment-lĂ . »
Mais Roni nâest jamais rentrĂ©. Les appels sont restĂ©s sans rĂ©ponse. Ses amis ont dit lâavoir vu partir vers sa voiture â mais il avait laissĂ© ses clĂ©s sur place.
AprĂšs des recherches frĂ©nĂ©tiques, Limor a portĂ© plainte. « Les policiers mâont dit : âRentre chez toi, il va revenir.â Ils ne mâont pas prise au sĂ©rieux. On ne comprenait pas ce qui se passait. Les enfants ont commencĂ© Ă poser des questions. CâĂ©tait lâenfer. Aucune rĂ©ponse. La terre sâest dĂ©robĂ©e sous nos pieds. Et dans tout ce chaos, je devais rester forte pour mes enfants. »
Elle critique sĂ©vĂšrement la gestion policiĂšre du dossier : « CâĂ©tait absurde et non professionnel. Jâai lâimpression quâils nâont rien fait. Pendant deux ans, je me suis rendue chaque jour au commissariat. Ils ont mĂȘme pensĂ© que je cachais quelque chose. Jâai passĂ© un test au dĂ©tecteur de mensonges. »
« Un jour, jâai frappĂ© du poing sur la table et jâai dit au chef du poste : âNe vous fiez pas Ă mon maquillage ou Ă mon sourire. Vous ne savez pas dans quel Ă©tat je dors la nuit. Je veux juste savoir oĂč est le pĂšre de mes enfants.' »
Limor et Roni sâĂ©taient rencontrĂ©s pendant leur service militaire. MariĂ©s jeunes, ils ont vĂ©cu Ă Goush Katif, dont ils ont Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©s en 2005. « CâĂ©tait difficile pour Roni. Sa mĂšre venait de mourir, et il a eu une paralysie faciale due au stress, un mini-AVC. Il ne pouvait pas emballer la maison, jâai tout fait seule. »
AprĂšs leur Ă©vacuation, ils se sont installĂ©s dans la vallĂ©e de Hefer. « On sâest reconstruits. Il Ă©tait sociable, de bonne humeur. Il nây avait aucun signe quâil allait disparaĂźtre. »
« Il Ă©tait un bon mari, un bon pĂšre. Il mâaurait tout dit. Les enfants Ă©taient toute sa vie. Il nâaurait jamais abandonnĂ© les enfants. »
Limor se souvient de leur douleur : « à lâĂ©cole, on disait Ă mes fils : âTâas pas de pĂšre, il est mort.â Ils nâont pas fĂȘtĂ© leur bar-mitsva. Jâai emmenĂ© le grand chez un rabbin pour des cours, mais il a refusĂ©. Le petit nâa mĂȘme pas voulu commencer. Ce manque pĂšse toujours sur eux. Ils sont sensibles, ils ont vu des professionnels, mais personne ne savait comment les aider. »
« Ce qui mâa tenue debout, ce sont les enfants », dit-elle. « Ils faisaient du foot, on sortait en nature, il y avait une routine. Ăa nous a sauvĂ©s. »
« Les habits de Roni sont restĂ©s dans la maison pendant des annĂ©es. Un jour, jâai trouvĂ© le courage de les donner. Ses outils, jâai dâabord interdit aux enfants dây toucher. Je leur disais : âPapa va revenir et se fĂącher.â Et puis, jâai cĂ©dĂ©. »
AprĂšs deux ans dâobsession Ă chercher Roni, elle a dĂ©cidĂ© de se concentrer sur sa vie et ses enfants. « AprĂšs deux ans, jâai commencĂ© Ă guĂ©rir un peu. Aujourdâhui, je ne vis plus dans lâattente. Ce qui compte, ce sont mes enfants. Je suis rĂ©aliste. »
Elle a aussi consultĂ© des voyantes : « Elles disaient toutes des choses diffĂ©rentes. Une fois, on mâa dit quâil errait comme un SDF Ă la gare centrale de Tel-Aviv. Jây suis allĂ©e seule. MĂȘme les dĂ©tectives se sont inquiĂ©tĂ©s et mâont protĂ©gĂ©e. »
Sur le plan administratif, elle fait face Ă des complications : « Je nâai pas reçu tout lâargent du dĂ©dommagement de lâĂ©vacuation parce quâil faut sa signature, mais il nâest pas lĂ . Je vis encore dans un mobil-home en ruines. »
Dâun point de vue religieux, elle est considĂ©rĂ©e comme une « agouna », une femme enchaĂźnĂ©e, interdite de se remarier. « Je me suis consacrĂ©e aux enfants. Je me suis habituĂ©e Ă ĂȘtre seule. Je ne peux pas me remarier, et il est trop tard pour avoir dâautres enfants. Roni et moi rĂȘvions dâavoir une fille. »
« Avant, chaque bruit Ă la porte nous faisait bondir : âCâest papa !â Aujourdâhui, non. Je ne crois plus quâon le retrouvera. Dans mon cĆur, il est mort. Sinon, oĂč est-il ? Et pourquoi nâa-t-on jamais trouvĂ© de corps ? »
« Si Roni revient, il sera accueilli Ă bras ouverts. Mais les enfants le reconnaĂźtront-ils ? Il sera un Ă©tranger. Peut-ĂȘtre que je dis tout cela comme une forme dâautoprotection. Car si je mâĂ©tais effondrĂ©e, je nâaurais pas pu Ă©lever mes enfants. Je suis le capitaine de ce navire, et je dois lâamener Ă bon port. »
RĂ©daction francophone Infos Israel News pour lâactualitĂ© israĂ©lienne
© 2025 â Tous droits rĂ©servĂ©s