À Marseille, le dialogue interreligieux en suspens depuis le 7 octobre

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Dans la cité phocéenne, longtemps présentée comme un modèle fragile mais réel de coexistence entre communautés, le climat a changé. Depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et l’embrasement qui s’en est suivi à Gaza, les échanges entre représentants juifs et musulmans se sont raréfiés, laissant place à une distance silencieuse.

Le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, de retour d’un voyage en Israël à la fin du mois d’août, a trouvé les mots justes pour qualifier ce malaise : « une gêne ». Dans un entretien à La Provence, il expliquait : « Ici, à Marseille, les liens sont là et nous ne voulons pas les rompre, mais nous n’avons plus les mots, nous n’osons plus les mots. C’est un peu comme quand, dans une famille, il y a un problème : on ne veut pas rompre mais on ne dit rien parce qu’on ne sait pas comment se parler. »

Ce sentiment traverse les communautés religieuses de la ville. À la synagogue comme à la mosquée, les fidèles s’observent avec prudence, redoutant que chaque mot puisse être mal interprété, chaque geste instrumentalisé. Le souvenir des initiatives communes – tel ce débat organisé en 2022 entre élèves de collèges catholique, juif, musulman et public au collège Ibn Khaldoun, né en réaction à l’assassinat de Samuel Paty – semble aujourd’hui lointain.

Du côté des institutions juives, l’amertume est profonde. Le Crif Marseille Provence a dénoncé, dès juin dernier, la perspective d’une reconnaissance d’un État palestinien par Emmanuel Macron comme une « récompense au terrorisme », rappelant que chaque avancée diplomatique unilatérale nourrit les discours du Hamas et fragilise les Juifs de France. Les dirigeants communautaires pointent aussi une inquiétude croissante : agressions antisémites, inscriptions hostiles, climat pesant dans les écoles.

La communauté musulmane locale, elle, se dit elle aussi frappée par la douleur des images venues de Gaza et par un sentiment d’injustice vis-à-vis des populations palestiniennes. Mais elle peine à trouver des interlocuteurs dans le monde juif local pour exprimer ce ressenti sans qu’il soit perçu comme une justification du terrorisme. Ce décalage, entretenu par la radicalisation des discours sur les réseaux sociaux, creuse encore un fossé que Marseille avait jusque-là réussi à contenir.

Dans ce contexte, la communauté chrétienne apparaît en retrait, cherchant à jouer les médiateurs mais sans véritable espace de parole pour retisser le lien. L’archevêque le reconnaît : « Beaucoup de représentants de la communauté juive et musulmane sont venus me dire, chacun leur tour, leur tristesse face à la situation à laquelle nous devons faire face. Je ne sens pas un regain de tension, mais une gêne. »

La gêne, justement, semble être devenue le mot-clé : pas de rupture ouverte, pas d’explosion de violence, mais une crispation qui glace les échanges. Or, dans une ville comme Marseille, où les identités religieuses et culturelles se croisent à chaque rue, l’absence de dialogue devient en soi une menace. Elle fragilise le tissu social et laisse le champ libre à ceux qui, des deux côtés, exploitent le conflit du Proche-Orient pour importer la haine sur le sol français.

Le défi pour les responsables religieux et politiques est désormais clair : réinventer les conditions d’une parole commune, malgré les fractures internationales. Car si Marseille n’arrive plus à maintenir son fragile équilibre, c’est toute l’idée française de coexistence qui vacillera.


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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