Deux ans après le 7 octobre, l’armée israélienne est secouée par une affaire explosive. Le brigadier-général (réserve) Oren Solomon, ancien chef des enquêtes militaires sur les événements du massacre, accuse ouvertement l’ex-chef d’état-major Herzi Halevi d’avoir orchestré un « système sophistiqué de dissimulation » visant à minimiser les fautes du haut commandement. Son dossier judiciaire, clos sans suite, soulève aujourd’hui une question grave : Israël protège-t-il ses véritables responsables — ou enterre-t-il la vérité au nom de la raison d’État ?
L’annonce de la fermeture du dossier contre Oren Solomon a d’abord été perçue comme un non-événement administratif. Mais la riposte de l’intéressé, quelques heures plus tard, a fait l’effet d’un séisme. Dans une déclaration publique d’une rare violence, Solomon a dénoncé une tentative d’étouffement politique : « On a voulu me neutraliser, me faire taire, moi et d’autres officiers, parce que nos enquêtes révélaient la gravité du désastre du 7 octobre et le camouflage qui s’en est suivi. »
Selon lui, les résultats de son équipe montraient non seulement un effondrement opérationnel, mais aussi une rétention d’informations au niveau politique. Il va plus loin : « Herzi Halevi et un cercle restreint ont dirigé un système de dissimulation destiné à réduire leur part de responsabilité. » Des mots lourds, prononcés par un officier décoré, ancien responsable de la division de Gaza, aujourd’hui transformé en lanceur d’alerte.
Pour comprendre la portée du scandale, il faut rappeler que Solomon était le coordinateur principal des enquêtes internes de Tsahal sur les premières heures du 7 octobre. Ses analyses mettaient en lumière des failles structurelles : absence d’anticipation, retard de réaction, confusion dans la chaîne de commandement, et surtout, silence radio entre le renseignement et le politique. Autant de manquements qui, selon plusieurs sources militaires, avaient coûté des centaines de vies.
Peu après la remise de son rapport, Solomon est brusquement écarté. Puis une enquête de sécurité est ouverte contre lui : il est soupçonné d’avoir extrait de son ordinateur militaire des centaines de documents classifiés. L’armée évoque la connexion d’un « disque externe » sur son compte utilisateur. Aucune preuve directe ne sera jamais trouvée, et le dossier est aujourd’hui clos sans inculpation. Mais dans les faits, la carrière de Solomon est brisée, et la confiance du public dans la transparence militaire, ébranlée.
Le parallèle qu’il ose dresser est saisissant : « Cette affaire, dit-il, combine la gravité de l’affaire Dreyfus et celle du ligne 300 », faisant référence à l’affaire de 1984 où des agents du Shin Bet avaient exécuté deux terroristes du Fatah avant de falsifier les rapports officiels. Une accusation de mensonge d’État, autrement dit. Et si la comparaison peut sembler outrée, elle révèle le malaise profond d’une armée qui, sous la pression du traumatisme du 7 octobre, peine encore à se confronter à ses propres défaillances.
Le nouveau chef d’état-major, Eyal Zamir, et le ministre de la Défense Israël Katz se sont affrontés publiquement à ce sujet. Katz a exigé des explications, estimant que l’ouverture d’une enquête contre Solomon « laissait planer un doute sur la liberté d’expression au sein de Tsahal ». Zamir, dans une réponse cinglante, a refusé de recevoir des « ordres via les médias », tout en niant tout lien entre la critique du 7 octobre et la procédure judiciaire. Ce duel au sommet illustre la crise de confiance inédite entre le pouvoir politique et l’appareil militaire.
Dans les rangs de la réserve, la colère gronde. De nombreux officiers ayant participé aux enquêtes internes parlent de pression hiérarchique pour minimiser la portée de certains rapports, notamment ceux qui évoquent la lenteur des transmissions ou la désorganisation du commandement de l’armée du Sud.
Pour les familles des victimes et les militants du mouvement « Komou » — fondé par les proches d’Alon Chamriz et d’autres civils assassinés —, le message de Solomon sonne juste : dire la vérité, même contre les puissants. Le traumatisme national exige des comptes, pas des boucs émissaires.
Sur le plan politique, cette affaire fragilise davantage une armée déjà mise à l’épreuve par la guerre à Gaza et par les critiques sur la gestion des otages. Elle renforce aussi les partisans d’une commission d’enquête nationale indépendante, réclamée depuis des mois par les familles du Sud et plusieurs anciens généraux. Herzi Halevi, désormais remplacé par Eyal Zamir, reste silencieux. Mais dans l’opinion, la perception d’un haut commandement qui protège ses propres fautes au détriment de la vérité s’installe peu à peu.
Le parallèle avec Dreyfus prend ici tout son sens : un homme accusé à tort, écarté pour ses convictions, pendant que l’institution se protège. La différence, c’est qu’en Israël, l’affaire se joue en temps réel — au cœur d’une guerre existentielle.
Si Oren Solomon dit vrai, le 7 octobre n’aura pas seulement révélé la vulnérabilité d’Israël face à ses ennemis, mais aussi celle de son système face à lui-même. Car la plus dangereuse des défaites n’est pas militaire — elle est morale. Et c’est cette bataille-là que l’État hébreu doit désormais livrer : celle de la vérité.
Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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