Dans un jugement rare par sa portée morale et religieuse, le juge Noam Sohlberg — vice-président de la Cour suprême — a jeté un pavé dans la mare du débat sur la conscription des ultra-orthodoxes. S’exprimant dans une décision liée à la politique d’enrôlement, le magistrat a rappelé avec force que, selon la tradition juive elle-même, la défense du peuple et de la terre d’Israël relève d’un devoir spirituel autant que national. Une prise de position qui relance de manière explosive l’un des sujets les plus sensibles de la société israélienne.
Le texte du juge, cité par Srouguim, va droit au but : « Du point de vue de la Torah elle-même, il n’existe pas de conflit entre l’étude et l’armée : ce sont les deux faces d’une même pièce. La responsabilité de l’individu envers son peuple, sa terre et sa Torah. » Une phrase qui, à elle seule, renverse des décennies de discours opposant les univers spirituel et militaire.
Sohlberg, figure respectée du sionisme religieux, ne se contente pas d’un commentaire juridique. Il ouvre son propos par une réflexion profonde sur le rôle des juges : trouver un équilibre entre valeurs et obligations. Mais pour lui, le dilemme présenté par la conscription n’est pas un vrai dilemme aux yeux de la tradition juive. Il cite des sources halakhiques, rappelant que dans une milhemet mitzva — une guerre défensive, inévitable — « même le fiancé doit quitter sa chambre et la fiancée sa houppa ». Les étudiants de yeshiva ne sont pas exemptés dans ce cas, affirme-t-il avec clarté, s’appuyant sur les écrits du Rav Yitzhak Minkovski.
L’argument de Sohlberg s’attaque directement à la notion, largement répandue dans certains milieux ultra-orthodoxes, selon laquelle l’étude de la Torah constituerait en elle-même une protection suffisante pour le peuple juif. Sans contester la valeur spirituelle de l’étude, le juge rappelle que la Torah elle-même exige l’action : « Le talmud est grand, précisément parce qu’il mène à l’action », dit-il en citant les sages.
Ce n’est pas la première fois que des sources halakhiques sont mobilisées dans le débat public sur la conscription, mais rarement ces propos ont été exprimés depuis l’estrade de la Cour suprême, dans un jugement officiel. L’impact politique est immédiat. Dans une société israélienne déjà fracturée sur ce sujet — comme l’ont montré les crispations au sein de la coalition — la voix de Sohlberg résonne comme un rappel à la fois religieux, national et moral.
Le juge cite également une phrase attribuée au Rav Haïm de Brisk, maître emblématique du monde talmudique : « Celui qui ne sait pas quand fermer son Guemara, ferait mieux de ne pas l’ouvrir. » Une version plus imagée dit même : « Celui qui ne ferme pas son livre lorsque la veuve frappe à sa porte, même lorsque son livre est ouvert, il est en réalité fermé. » Par cette référence, Sohlberg semble interpeller directement ceux qui invoquent l’étude comme absolu intangible, indépendamment des besoins de la communauté.
Il poursuit en rappelant une anecdote sur l’Admour Hazaken, fondateur de la Hassidout Habad : enseignant à son petit-fils le Tsemach Tsedek, il lui aurait dit que si un homme étudiant la Torah n’entend pas le pleur d’un enfant, c’est son étude qui est défaillante. Un message limpide : la Torah n’a jamais été pensée pour isoler l’homme de son peuple, encore moins en temps de danger.
Cependant, Sohlberg reconnaît qu’il existe historiquement une exception pour des individus d’un niveau spirituel exceptionnel — des « yehidé segoula », une élite rare dont l’étude est si profonde qu’elle justifie une exemption. Mais il met immédiatement un frein à toute extrapolation : « Ce n’est pas une voie pour la majorité, certainement pas pour un public entier. » Il cite alors un enseignement talmudique classique : parmi mille étudiants, cent atteignent la Mishna, dix le Talmud, et un seul la capacité de trancher la loi. La conclusion est limpide : l’exemption massive, systématique, n’a aucune base dans la tradition juive.
Ces propos arrivent dans un contexte politique explosif. Le débat sur la conscription des ultra-orthodoxes divise profondément la coalition et alimente tensions, manifestations et alliances de circonstance. Les partis haredim s’accrochent à une ligne dure d’exemption quasi totale, tandis qu’une grande partie de la population — notamment les réservistes, durement éprouvés depuis le 7 octobre — réclament un partage équitable du fardeau.
Dans ce climat, l’intervention du juge Sohlberg n’est pas anodine. Elle ajoute une dimension spirituelle au débat national et remet en question l’un des piliers idéologiques justifiant les exemptions. Elle place l’obligation de défendre Israël non pas comme une nécessité civique, mais comme une mitzva fondamentale.
Sa conclusion, ferme et nuancée à la fois, résonne comme un rappel d’humilité : l’étude est vitale, mais elle n’est pas un refuge pour se soustraire à la responsabilité collective. Pour Israël, engagé dans une lutte existentielle contre le Hamas et d’autres ennemis, ce rappel n’a jamais été aussi actuel.
La question reste ouverte : ces paroles auront-elles un impact réel sur le débat politique, ou seront-elles absorbées par la logique habituelle des coalitions ? Une chose est certaine : en plaçant la Torah elle-même au centre du débat, Sohlberg oblige chacun — religieux, laïc, étudiant ou soldat — à regarder la réalité en face : défendre Israël n’a jamais été une affaire de quelques-uns, mais de tous.
Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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