Plus de 200 milliards de shekels partis à la poubelle : Israël dévoile l’ampleur catastrophique du gaspillage alimentaire

Le chiffre donne le vertige : 211 milliards de shekels de nourriture ont été gaspillés en Israël au cours de la dernière décennie. Un effondrement silencieux, chronique, qui combine perte économique, catastrophe sociale et désastre environnemental.
Selon le rapport décennal de Leket Israël et BDO, publié en coopération avec le ministère de la Protection de l’environnement et le ministère de la Santé, l’État jette chaque année près de 40 % de la nourriture qu’il produit.

Une contradiction brutale dans un pays où 485 000 ménages vivent en insécurité alimentaire et où le coût de la vie atteint des records historiques. Malgré une baisse de 13,3 % du gaspillage par personne — de 300 à 260 kg par an — l’impact global, poussé par l’inflation et la croissance démographique, reste colossal.


La seule année 2024 se suffit à elle-même pour mesurer l’ampleur du problème :
2,6 millions de tonnes de nourriture ont été jetées, pour une valeur de 26,2 milliards de shekels, soit 1,3 % du PIB national.
Dans les foyers, la facture du gaspillage représente 10 milliards de shekels, l’équivalent de 10 785 shekels par an et par ménage, un poids insoutenable pour les classes moyennes et populaires.

Ces données, largement reprises par Israel Hayom et les principaux médias économiques, placent Israël dans la catégorie des pays où la défaillance systémique du secteur alimentaire ne peut plus être ignorée.


Un désastre écologique sous-estimé

Au-delà du gaspillage économique, l’étude met en lumière un impact environnemental d’une gravité exceptionnelle.
La destruction de nourriture coûte :

– 4,2 milliards de shekels par an en dommages environnementaux ;
– destruction de terres agricoles et gaspillage massif d’eau ;
– émissions de gaz à effet de serre ;
– surcharge des sites d’enfouissement, déjà saturés ;
– pollution des nappes phréatiques.

Dans un pays où chaque ressource naturelle doit être comptée, le rapport qualifie ce phénomène de “menace écologique nationale”.

S’y ajoute un coût humain : l’insécurité alimentaire crée, selon le rapport, une charge sanitaire de 5,8 milliards de shekels par an, représentant 4 % des dépenses de santé nationales. Les ménages pauvres, les enfants et les personnes âgées sont les premières victimes de cette spirale.


Une décennie de retards politiques : un “échec national”

Cette publication intervient dix ans après le rapport explosif du Contrôleur de l’État (2015), qui dénonçait déjà l’absence d’une stratégie nationale pour réduire le gaspillage alimentaire.

Depuis, quelques progrès ont été enregistrés :

– adoption de la loi pour l’encouragement et la sauvegarde alimentaire ;
– inclusion des questions alimentaires dans le programme national de sécurité alimentaire ;
– intégration du “sauvetage alimentaire” dans les critères d’aide du ministère du Bien-être ;
– élaboration d’un référentiel de mesure et d’actions interministérielles.

Mais ces avancées restent insuffisantes.

En 2025, une première stratégie gouvernementale globale a enfin été publiée, sous la direction du ministère de la Protection de l’environnement et du ministère de l’Agriculture. Cette feuille de route doit théoriquement stopper l’hémorragie financière et soulager les familles les plus fragiles.


Les experts tirent la sonnette d’alarme

Le message des spécialistes est sans ambiguïté.
Pour Chen Herzog, économiste en chef de BDO et coordinateur du rapport :

« En dix ans, le coût annuel du gaspillage alimentaire a augmenté de 45 %.
L’absence de politique nationale et de budgets dédiés constitue un échec continu. »

Même tonalité du côté du ministère de la Protection de l’environnement.
La ministre Idith Silman déclare :

« Le sauvetage alimentaire est une pierre angulaire d’un système alimentaire durable.
C’est un moyen de réduire la pression sur les ménages, de diminuer les inégalités sociales
et de réduire l’empreinte écologique du pays. »

Ces appels rappellent un fait difficile à entendre : un pays technologiquement avancé comme Israël continue de gaspiller des quantités de nourriture comparables à celles du tiers-monde, faute d’une coordination réellement efficace.


Entre inflation, insécurité alimentaire et pauvreté croissante

La crise du coût de la vie, aggravée depuis 2020, explique une partie du paradoxe :
les ménages achètent moins, mais les pertes en chaîne — agriculture, distribution, restauration, commerce — restent, elles, très élevées.

Dans un pays où les prix alimentaires figurent parmi les plus élevés du monde occidental, l’équation est aberrante :
Israël détruit chaque année l’équivalent de plusieurs années de TVA, de budgets ministériels et même du coût de projets sécuritaires majeurs.

Pendant ce temps, 1,5 million d’Israéliens, dont des dizaines de milliers d’enfants, vivent dans l’incertitude du prochain repas.


Leket Israël : “un scandale moral et national”

Gidi Kroch, directeur général de Leket Israël — organisation centrale dans le sauvetage alimentaire — résume la situation avec une gravité inhabituelle :

« 211 milliards de shekels de nourriture jetée en dix ans.
C’est un scandale national sans aucune justification.
Chaque shekel investi dans le sauvetage alimentaire génère une valeur de 10,7 shekels pour l’économie. »

Avec plus de 22 ans d’activité, Leket récupère chaque année des milliers de tonnes d’aliments sains et nutritifs, redistribués à des centaines de milliers de familles.
Mais sans politique d’État, l’impact reste limité face à l’ampleur du problème.


Un enjeu stratégique : souveraineté alimentaire, justice sociale et stabilité économique

La question du gaspillage alimentaire dépasse largement le domaine environnemental.
Elle touche :

– la sécurité nationale (résilience alimentaire en cas de crise) ;
– la stabilité sociale ;
– la santé publique ;
– les équilibres économiques ;
– la solidarité envers les populations en difficulté.

Dans un Moyen-Orient instable, où Israël doit anticiper les ruptures d’approvisionnement, les crises géopolitiques et la pression démographique, la gestion responsable de la nourriture devient une composante essentielle de la sécurité israélienne.

Ne pas agir, c’est accepter que chaque année, une part immense de richesse nationale disparaisse dans les décharges — alors que des centaines de milliers de citoyens n’ont pas de quoi remplir leur frigo.

La décennie écoulée a déjà coûté 211 milliards de shekels.
La prochaine pourrait en coûter davantage, à moins d’un changement radical, rapide et coordonné dans la manière dont Israël produit, distribue et consomme sa nourriture.


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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