La scène s’est déroulée cette semaine au cœur même de l’establishment militaire israélien : un officier supérieur, informé par le chef d’état-major Eyal Zamir qu’il ne serait plus appelé pour le service de réserve, a fondu en larmes dans son bureau. « Tu m’as tué, moi et ma famille », aurait-il dit au chef de Tsahal, selon un reportage d’Amit Segal (N12). Cet épisode, surréaliste en apparence, illustre la profondeur de la crise interne provoquée par les sanctions imposées après le 7 octobre — des sanctions que beaucoup jugent symboliques, insuffisantes, voire injustes.
Pour le grand public, la décision de priver quelques officiers de service de réserve peut sembler anodine. Mais pour ces hommes, dont la carrière et l’identité sont intimement liées à l’armée, l’exclusion est vécue comme une humiliation. Les officiers punis estiment être les seuls à porter le poids d’un échec historique, alors que la chaîne de commandement supérieure, jusqu’au sommet, n’a pas été touchée.
Amit Segal résume le sentiment qui traverse l’armée : le public peine à comprendre comment “le plus grand fiasco sécuritaire de l’histoire de Tsahal” se solde par deux limogeages de commandants intermédiaires. Une décision vécue comme un compromis étrange, conçu pour éviter d’avoir à sanctionner des dizaines, voire des centaines de responsables impliqués dans les défaillances du 7 octobre.
Cette limitation des sanctions au seul 7 octobre — une décision stratégique prise au sommet de l’armée — visait à éviter un séisme institutionnel. Si l’enquête avait porté sur les mois précédant l’attaque, Eyal Zamir aurait dû, selon les analystes, évincer non seulement plusieurs généraux actuels, mais également ses deux prédécesseurs, Herzi Halevi et Aviv Kochavi. Une hypothèse politiquement explosive, que le système militaire n’a pas souhaité affronter.
À cela s’ajoute un autre paradoxe : le maintien en poste du chef du renseignement militaire, le général Shlomi Binder, décision justifiée officiellement pour des raisons opérationnelles. Son éviction aurait pu affaiblir la continuité du renseignement en pleine guerre. Mais pour de nombreux soldats, cela ressemble à une incohérence flagrante : Binder avait joué un rôle clé dans les évaluations erronées précédant le 7 octobre, alors que d’autres, moins impliqués, ont été rayés des réserves.
Cette « équation impossible », comme la décrit Segal, crée une fracture morale. D’un côté, des officiers expérimentés, dévoués, jugés responsables d’un échec systémique — de l’autre, une hiérarchie préservée, parfois malgré des fautes documentées.
Le reportage souligne que la réaction du chef d’état-major au gouvernement a été perçue comme trop agressive : publier un communiqué via le porte-parole de Tsahal pour dénoncer les critiques du ministre de la Défense Israel Katz a été un geste inhabituel, risqué et mal reçu. Dans un climat déjà fragile, l’affrontement public entre Zamir et Katz a amplifié l’impression d’une armée tiraillée entre pressions politiques, colère interne et lutte pour la cohésion.
Zamir, selon plusieurs sources militaires, considère que le danger principal est la volonté de certains acteurs politiques de maintenir l’armée dans un état de paralysie permanente, gelée dans un cycle d’enquêtes sans fin. Il souhaite, au contraire, « tourner la page » et restaurer la capacité opérationnelle du commandement.
Mais cette stratégie laisse une question brûlante : qui sont les “fils chéris” que Zamir souhaite protéger ? Segal répond sans détour : Shlomi Binder au renseignement militaire et Tomer Tishler à l’armée de l’air — deux officiers clés, soutenus également par le gouvernement. Les enquêtes internes ont soigneusement évité de les impliquer, malgré le rôle central de leur unité dans les évaluations pré-7 octobre.
La situation est d’autant plus délicate que la hiérarchie militaire redoute un précédent : si des généraux de ce niveau sont sanctionnés, cela ouvre la porte à une remise en cause profonde de l’ensemble du système décisionnel. C’est une perspective que l’institution militaire, déjà éprouvée par deux années de guerre, veut éviter.
Le reportage conclut par une remarque lourde de sens : l’histoire retiendra peut-être moins les décisions de Zamir que ce qu’a vécu son homologue du Hezbollah cette semaine, en référence à la perte brutale d’un commandant ennemi dans une frappe ciblée. Manière de rappeler que, malgré les crises internes, Israël reste engagé dans un combat existentiel — et que ses décisions, bonnes ou mauvaises, se déroulent sous la pression du champ de bataille.
Pour les réservistes, cependant, l’amertume reste vive. L’image d’un officier en larmes dans le bureau du chef d’état-major symbolise le malaise profond qui traverse l’armée : la perception d’une justice militaire sélective, d’une chaîne de commandement qui protège ses sommets, et d’une douleur qui pèse encore sur les épaules de ceux qui ont combattu en première ligne.
Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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