La demande des propriétaires à Gaza : « Interdiction d’héberger des hommes – même des frères »

À Gaza, la crise humanitaire provoquée par la guerre ne se limite plus à la pénurie de nourriture, d’eau ou d’électricité. Elle se manifeste désormais de manière aiguë sur le marché du logement, où des conditions de location inédites, parfois extrêmes, sont imposées aux civils déplacés. Selon plusieurs témoignages recueillis par la presse arabe, des propriétaires exigent désormais de leurs locataires des règles strictes, allant jusqu’à interdire toute visite masculine dans les appartements, y compris de proches parents tels que des frères, par crainte de frappes israéliennes ciblées.

Nafaz al-Ghorani, habitant du quartier Sheikh Radwan dans le nord de Gaza, raconte avoir passé plusieurs jours à chercher un logement pour sa famille après la destruction de leur habitation. À chaque tentative, il s’est heurté à des exigences de plus en plus lourdes : fourniture d’une copie de carte d’identité pour vérification sécuritaire, interrogatoires informels auprès de tiers, et refus sans explication malgré un accord initial. Dans un cas, le propriétaire a posé une condition claire : aucun homme ne devait entrer dans l’appartement, pas même un membre de la famille proche, de peur qu’une présence suspecte ne transforme l’immeuble en cible militaire.

Pour al-Ghorani, cette exigence a été vécue comme une humiliation. Refusant d’accepter ce qu’il considère comme une atteinte à sa dignité et à sa vie familiale, il a décliné l’offre, malgré l’absence quasi totale d’alternatives. Son témoignage n’est pas isolé. Dans de nombreux quartiers encore partiellement habitables, les mêmes règles sont imposées de manière systématique, au point d’être parfois intégrées directement dans les contrats de location.

L’origine de ces pratiques se trouve dans l’ampleur sans précédent des destructions. Selon un rapport du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires, près de 92 % des unités d’habitation de la bande de Gaza ont été détruites ou endommagées depuis le début de la guerre. Sur environ 436 000 logements affectés, 160 000 ont été entièrement rasés, tandis que plus de 270 000 ont subi des dégâts partiels, parfois irréversibles. Cette réalité a créé une pénurie dramatique, transformant chaque appartement intact en ressource rare et convoitée.

Dans ce contexte, les loyers ont explosé. Avant la guerre, une location mensuelle à Gaza oscillait généralement entre 200 et 500 dollars. Aujourd’hui, les prix varient entre 1 000 et 1 500 dollars par mois pour des appartements de taille moyenne, parfois sans électricité régulière ni accès fiable à l’eau. Certains propriétaires admettent eux-mêmes avoir triplé leurs tarifs, tout en affirmant que la demande reste forte en raison du désespoir des familles déplacées.

Fadel al-Shanti, propriétaire d’un immeuble de six étages dans l’ouest de Gaza, justifie ces conditions strictes par la nécessité de protéger sa famille et les autres résidents. Selon lui, la moindre suspicion peut mettre en danger l’ensemble du bâtiment. Il explique qu’Israël n’attend pas toujours de confirmation officielle pour frapper une cible jugée terroriste, et qu’un seul individu soupçonné peut suffire à provoquer la destruction d’un immeuble entier. « Je ne peux pas sacrifier la vie de plusieurs familles pour une seule personne », affirme-t-il, tout en reconnaissant la dureté de la situation.

Au-delà des interdictions de visite, d’autres restrictions se multiplient. Certains propriétaires refusent de louer à des familles nombreuses, estimant que plus de six personnes par foyer augmentent les risques et la pression sur les infrastructures. D’autres exigent une participation directe à la ration d’eau du propriétaire, en raison de la pénurie chronique. Les professions jugées sensibles sont également ciblées : journalistes, personnels médicaux ou universitaires sont parfois écartés, car plusieurs d’entre eux ont été accusés par Israël d’appartenir à des organisations terroristes ou d’y collaborer.

Selon Iman al-Attar, une jeune intermédiaire immobilière active sur les réseaux sociaux, une partie de ces conditions est perçue par certains habitants comme « compréhensible » dans le contexte actuel. Elle explique que les propriétaires craignent aussi que les locataires accueillent d’autres proches déplacés, ce qui surchargerait les immeubles et attirerait l’attention. Toutefois, elle reconnaît que de nombreuses pratiques relèvent clairement de l’exploitation de la détresse, profitant de l’absence de toute régulation effective.

Dans certains cas extrêmes, des propriétaires ont interdit toute visite, hommes comme femmes, invoquant des précédents où des frappes auraient visé des immeubles simplement parce que l’époux ou un parent éloigné était soupçonné d’activités militantes. Ces clauses, bien que choquantes, deviennent progressivement la norme dans certaines zones.

Cette situation illustre l’effondrement du tissu social à Gaza, où la peur permanente redéfinit les relations humaines les plus élémentaires. Entre survie, méfiance et spéculation, le droit fondamental au logement se transforme en un parcours d’obstacles humiliant pour des populations déjà traumatisées par des mois de guerre.


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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