Le livre de la Genèse, premier livre de la Torah, se termine par un message essentiel: la droiture. La Bible utilisera le terme de – «Sefer hayashar» – «Livre de la Droiture» par deux fois, le Talmud, dans son traité «Avoda zara», confirmera quant à lui qu’il s’agit du livre de Bereshit, ouvrage où les Patriarches d’Israël sont décrits et qualifiés «d’hommes droits».
Bilaam, prophète des nations à l’époque biblique, est un personnage malveillant et amer, il s’en vient damner le peuple d’Israël, nouvellement libre, qu’il n’avait jamais rencontré et qui ne lui avait occasionné aucun préjudice. C’est pourtant cet homme qui, au cours d’une étrange prise de conscience, déclare et déclame la sublimité d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et tout aussi soudainement leur atteste un tel respect qu’il en vient à souhaiter mourir de la mort de ces êtres droits.
Abraham, Isaac et Jacob peuvent-ils être reconnus par ce seul attribut? Nos Patriarches ne vivaient pas seulement par leur droiture, ils étaient aussi justes, pieux et saints. La droiture étant perçue chez le commun des mortels comme une qualité secondaire, les autres attributs demeuraient plus ostentatoires?
Le Rav Naphtali Tsvi Yéhouda Berlin «le Natsiv», dans son commentaire essentiel du livre de la Genèse, démontre qu’Abraham, Isaac et Jacob se plaçaient bien au-delà de la basique droiture, néanmoins cette valeur liminaire demeurait le fondement des mouvances de leur être. Il n’est pas rare d’identifier, chez l’humain présomptueux, une certaine tendance à sauter les paliers élaborateurs de sa personnalité tout en omettant d’asseoir ses fondements d’éthique et de morale.
Selon le Natsiv, nous rencontrons l’une de ces manifestations à l’époque du Second Temple: au sommet de la population judéenne se trouvaient des personnages pieux et saints qui révéraient tous la Torah, nonobstant leur apparence voilà qu’ils n’étaient pas toujours irréprochables dans leurs rapports avec autrui.
En conséquence la situation se dégrada et les entraîna à une haine gratuite, où la défiance était de mise, et suffisamment bien organisée pour opprimer ceux dont la conduite «religieuse» divergeait de leur diktat.
L’inquisition et l’accusation allaient bon train, on les affublait d’étiquettes diffamatrices, Sadducéens, Epicuriens, c’est à dire rebelles à la Loi. Cette déficience à pouvoir recevoir autrui tel qu’il existe avec sa spécificité propre, les a inéluctablement guidés vers la haine gratuite. Nul doute qu’une telle aversion puisse être la cause d’autres déviationnismes comme le crime, une totale déchéance qui fournira toutes les bonnes raisons de détruire le Temple et le Royaume.
Ce comportement et lui seul a légitimé le Décret divin d’achever ces gens dont l’habit ne faisait pas le saint.
La perception du juste n’est pas séparable de l’appréciation du vocable: bien/mal, donc d’une expression appartenant à la morale. Le concept du devoir-être est conséquent d’une sagesse qui s’ancre dans l’a priori moral, nous déterminons du juste ou de l’injuste essentiellement en établissant par avance un devoir-être et en reliant le devoir-être au sujet garant de son histoire. Si la démarche engagée coïncide avec le devoir-être, nous parlerons de droiture du mouvement, si elle souffre d’une omission à l’égard de celui-ci nous serons obligés de la considérer en termes d’irresponsabilité, si elle tend à s’opposer à ce qui est essentiellement morale, nous ne tergiverserons pas pour exprimer la faute.
Le cantique de «Haazinou» parle de l’Eternel: «Lui, Notre rocher, Son œuvre est parfaite, toutes Ses voies sont la justice même; D.ieu de vérité, jamais inique, constamment équitable et droit.» (Deutéronome XXXII, 4). Le Natsiv commente le verset et dit : «D.ieu est l’Idéal de probité, il Lui était tout à fait impossible de protéger une société où des « justes » se conduisaient de manière immorale ». Ils s’éloignaient autant de la Conscience divine que de ses vertus et, qui plus est, se réclamaient outrageusement du D.ieu d’Israël. Ils simulaient la dévotion, faisaient semblant d’être pieux mais uniquement pour mieux servir leurs intérêts personnels; menteurs, manipulateurs, hypocrites, au nom de soi-disant desseins essentialistes, leur conduite amènera la ruine de la société juive.
Mais le Livre de la Genèse signifie la victoire des vertus d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, elles mèneront à la prospérité de l’Humanité, si seulement celle-ci le désire, vers plus de «bien d’être» et de rencontres avec le et la «bonne-heure»: «les faits de nos Pères restant un indice pour les progénitures».
La droiture de l’acte engage nos penchants à réaliser les choix les plus éminents, les choix par lesquels l’homme sera suffisamment compétent pour démontrer l’excellence de ce qu’il est.
Bien sûr, rien à voir avec le désir de puissance et d’assujettissement à l’égard de son propre genre et à l’égard de la création. L’excellence de l’homme se révèle dans le caractère d’une conscience plus digne et l’excellence engage à une modification des pratiques ne réduisant pas la vie, mais l’intensifiant et l’exaltant.
Cela suffit d’appréhender le concept de l’action dans des formules univoques de rationalité instrumentale et de soumettre nos menées et nos desseins à la seule valeur d’une économie de marché.
Il reste tout de même qu’au fond de nous l’être morale est omniprésent, il aspire d’abord à une transparence totale, à un bien idéal, à un amour et un don de soi infini. L’être éthique est mû par un espoir dominant, au sein d’un cœur prêt à engendrer encore et toujours plus de volonté à la perfectibilité, un appel à la conscience de la personne. La réalisation la plus remarquable de la morale c’est la modification intime de la volonté, celle-ci devenant parfaitement lucide d’elle-même, et offrant au champ de l’expérience vertueuse l’accès à une réelle connaissance des relations humaines.
[…] par Rony Akrich […]