Amitié stratégique : l’Azerbaïdjan se rapproche d’Ankara, Téhéran perd pied dans le Caucase

La scène géopolitique du Caucase est en pleine recomposition. L’inauguration du futur projet « Portes du Syunik » en Arménie – un corridor routier et ferroviaire reliant l’Azerbaïdjan à sa république autonome du Nakhitchevan – marque un tournant stratégique qui affaiblit l’influence de l’Iran et, dans une moindre mesure, celle de la Russie, tout en renforçant considérablement la Turquie comme puissance régionale.

Ce corridor, également appelé « Zanguezour », est au cœur d’un bras de fer entre Bakou et Erevan. Long de 43 km, il permettra de relier directement l’Azerbaïdjan à la Turquie via le Nakhitchevan, sans passer par l’Iran ni la Géorgie. Pour l’Azerbaïdjan, il s’agit d’un projet d’intérêt vital : accès terrestre direct à Ankara, ouverture de nouvelles routes commerciales vers l’Asie centrale turcophone (Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan) et, surtout, réduction de 342 km de distance entre Bakou et la Turquie.

Selon la Banque mondiale, cette infrastructure pourrait générer entre 50 et 100 milliards de dollars de commerce supplémentaire par an dès 2027, réduire les délais de transport eurasiatiques d’environ 15 heures et stimuler de 2 % le PIB azerbaïdjanais. La capacité de fret dans la région pourrait ainsi augmenter de 10 à 12 millions de tonnes par an.

Mais cette avancée fait grincer des dents. Téhéran redoute la perte de sa continuité territoriale vers l’Arménie et l’Europe, ce qui affaiblirait son rôle de corridor énergétique et logistique. Le conseiller diplomatique du Guide suprême iranien, Ali Akbar Velayati, a vivement dénoncé le projet, accusant Bakou et Ankara de saboter l’influence iranienne dans le Caucase.

Pour Moscou, traditionnellement plus proche de l’Arménie chrétienne que de l’Azerbaïdjan musulman, la guerre en Ukraine a considérablement réduit sa marge de manœuvre. Autrefois arbitre incontournable dans le Caucase, la Russie a vu sa légitimité et ses moyens s’éroder. Le Kremlin, occupé à l’Est, ne peut plus imposer ses conditions à Erdogan, membre de l’OTAN, qui profite de la situation pour imposer son « Middle Corridor », un axe Est-Ouest reliant la Turquie à l’Asie centrale et à la Chine en contournant Russie et Iran.

La Turquie ressort donc grande gagnante de ce jeu régional : elle consolide son lien avec Bakou, gagne une influence accrue en Asie centrale et réduit la dépendance commerciale de ses alliés à l’égard de Moscou et de Téhéran. Pour Israël, allié stratégique de l’Azerbaïdjan, ce réalignement constitue aussi une opportunité : l’affaiblissement de l’axe irano-russe au profit d’un bloc turco-azerbaïdjanais plus ouvert à la coopération régionale avec Jérusalem.

La bataille pour le Caucase dépasse donc largement la question d’un simple corridor : c’est une lutte pour le contrôle des routes commerciales, des alliances militaires et des équilibres stratégiques entre Europe, Moyen-Orient et Asie. Et, cette fois, ce sont Ankara et Bakou qui dictent le tempo.

Sources et liens recommandés :

.