Les références littéraires d’hier et d’aujourd’hui ne manquent guère au signifié de l’éternelle exigence d’intensifier l’Amour autour de soi et d’abord pour soi.

Un sentiment bien trempé pour mieux gérer mes relations, mes oppositions et éviter l’ingérence de pensées maléfiques capables de renverser le pouvoir de l’Amour. Saisir la nature de ce sentiment, la manière de le vivre, au travers des épreuves du quotidien, doit présumer de l’apport des émotions dans un Amour essentiel au devenir de tous et de chacun.

Nous savons que la haine gratuite détruisit le second Temple, le Rav Kook (Orot haKodesh) déclarait  à ce sujet : « ce qui fut détruit par haine gratuite ne pourra être reconstruit que par Amour gratuit ».

Ce concept est assez récent, malgré une recherche exhaustive, il demeure introuvable parmi les anciennes écritures. Si « haine gratuite » est une formule pourtant très usitée,  son antonyme ne l’est, lui, que très rarement.

Pour quelle raison? L’argument pour l’expliquer est  élémentaire.  L’expression fait défaut car le sujet relève d’un verbe conjugué naturellement et associé au premier pas de l’existence originelle. On trouve nombres d’ordonnances concernant la haine et ses frontières, la loi réprime la haine mais aucune ne légifère sur le devoir d’aimer.

Concrètement, la haine ne peut être un idéal envers et contre tous, la lutte sans merci livrée aux forces du mal ne peut empêcher un tant soit peu l’expression de l’Amour par compassion ou mansuétude.

Aimer Dieu traduit nécessairement une préoccupation, sans égale, de sa Création comme de ses créatures, il s’agit là d’un aphorisme plus qu’évident de la profonde nature d’Israël. Celui-ci  poursuit l’œuvre du patriarche Avraham, un homme dont l’engagement moral lui permit de ne jamais tomber dans l’absolu et de toujours relativiser la réalité.

Le Rav Tsvi Yehuda haCohen Kook, dans son ouvrage (Le-Netivot Yisrael 2, 222), nous  entretient des concepts de gratuité et d’amour, il ne souhaite nullement définir l’Amour comme une vertu sans raison ou bien par trop réfléchie.

Il s’agit d’un Amour sans calcul, un Amour jailli des sources premières et naturelles du Projet créateur d’Israël.

Il ne dépend de rien, il est à l’image de l’Amour divin, une alliance éternelle.

La gratuité de l’Amour n’aspire nullement aux bons et loyaux services vis-à-vis de Dieu, mais à la seule bonne action de ce qui doit être ‘bien-fait’.

L’Amour ambitionne d’offrir sans ne jamais rien attendre en retour.

L’Amour aime pour ce qu’il est et non pour ce qu’il deviendra.

Il fait fi de toute insuffisance et ne supporte guère le conditionnel. Il souffre la souffrance de l’être aimé et se réjouit naturellement de sa joie sans que ce dernier n’ait pu prendre le temps de l’exprimer. Conscient des défauts et des insuffisances de l’être il garde pour lui une totale déférence, ainsi s’énonce le verset du prophète Zekharya 8,17:  » Ne méditez dans votre cœur aucune méchanceté l’un contre l’autre, n’aimez pas le faux serment, car toutes ces choses, je les hais, dit l’Eternel. « 

Le Créateur maîtrise a priori la différenciation complémentaire de nos genres, deux créatures humaines, somme toute identiques, mais créées à partir d’une volonté différente. Néanmoins, l’une n’est jamais exactement la réplique de l’autre. Ces deux êtres sont, de par leur patrimoine héréditaire, éducatif, culturel et historique, le reflet d’un caractère unique dans leur singularité. L’Eternel a manifestement soutenu cette diversité, mais Il ne l’a favorisée qu’au sein de l’unité première. Il existe dans la nature créée une complicité mutuelle entre l’altérité et l’identité. L’opposition ne s’oppose pas toujours totalement, la similitude ne relève pas toujours du semblable. Les vérités sont des combinaisons, des composites d’Identité et d’Altérité.

 

L’Amour demeure cet unique condiment si essentiel à l’unité nationale, au vivre ensemble et au devenir sociétal.

Ainsi pour le peuple d’Israël, plus il se rassemble, sans ressemblance aucune, autour de cet  idéal foncier offert et accepté au mont Sinaï, plus il redore son blason et présente ses lettres de noblesse Hébraïque à l’Humanité.

A l’inverse, il n’est guère difficile d’appréhender le pouvoir de la haine gratuite et ses effets dramatiques quant au devenir national.

Le devoir d’aimer devient ainsi  limpide comme l’eau de roche, un Amour d’Israël envers et contre toutes nos différences car ce qui nous rapproche est bien plus important, c’est alors vouloir offrir et octroyer à la nation d’Israël le meilleur de ses prophéties.

L’Amour gratuit ne veut pas dire aimer l’autre sans raison mais nous n’avons aucune raison particulière de ne pas le vivre, il suffit de savoir et de comprendre le sens de cette appartenance au peuple messager, nulle autre raison n’est nécessaire. Cependant le Rav Kook dans « Igrot haReaya 2, p 187 » s’empresse de nous mettre en garde contre un amour intempestif et exacerbé, il tente de nous instruire des dangers inhérents à un amour par trop libéré et imprudent.

Certaines  personnes jugent, considèrent et apprécient l’autre et autrui de manière erronée, du seul fait de leurs connaissances peu élaborées et guère objectives. Ainsi, elles font preuve d’un manque probant de perspicacité face aux dualités de l’être, d’une incapacité à entendre celui qui, selon son âme et sa conscience, est, d’une autosatisfaction des seules apparences aussi partiales soient elles.

Il faut savoir, sans l’ombre d’un doute, distinguer entre le difficile reflet des sources profondes et sacrées de l’être  et la pollution consumériste de son  libre arbitre entraînée vers les catacombes d’un ‘être’ devenu ‘avoir’.

Nous voici en présence d’âmes prisonnières d’elles-mêmes, de roses entourées d’épines, mais que celui qui aime la rose supporte ses épines! Actuellement beaucoup d’organismes religieux essayent de ramener les brebis égarées dans les ‘verts pâturages’ de la foi et du culte. Pour rapprocher un homme de la Torah, il faut se hisser à un niveau où l’on pourra l’aider en étant certain de ne pas régresser. Nos maîtres enseignent une règle essentielle qui renforce cette idée: « Seules les paroles qui sortent du cœur pénètrent dans le cœur».

 

Rav Eliahou Dessler zatsal dit: « Seul un individu ayant totalement assimilé une notion peut ne faire qu’un avec elle, et pouvoir ainsi réussir à convaincre son prochain.  A l’inverse, vouloir acquérir, mentalement, une quantité de savoir sans ne jamais vivre ce que l’on sait, cela nous interdit toute communication vraie avec autrui. »

 

En clair, si un individu n’agit pas comme notre patriarche Avraham, il lui sera pratiquement impossible d’appréhender sa stature morale. Ne pas être à la hauteur de son éthique et tenter de lui ressembler, vouloir de toutes les façons convaincre les hommes de la justesse du texte Divin, rien de cela ne pourra générer un quelconque renouveau dans le temps. Pire, on risque soi-même de se prendre au jeu et d’y perdre un tant soit peu de son assurance.