Après son exclusion de Washington, le chef de l’armée libanaise honoré aux Pays-Bas : un signal diplomatique qui interroge Israël

Quelques jours seulement après avoir été sèchement écarté de Washington, le commandant de l’armée libanaise, le général Rodolphe Haïkel, a été accueilli avec les honneurs militaires aux Pays-Bas. À La Haye, le chef d’état-major néerlandais, le général Onno Eichelsheim, lui a déroulé le tapis rouge, lui offrant réunions stratégiques, visites d’unités spéciales et entretiens au ministère de la Défense et au ministère des Affaires étrangères. Un contraste saisissant avec l’humiliation diplomatique qu’il avait subie aux États-Unis, où plusieurs hauts responsables avaient annulé leurs rencontres, selon AP et la presse libanaise.

Pour Israël, cette séquence diplomatique en dit long : entre un Liban officiellement dirigé par un gouvernement civil, mais officieusement contrôlé par le Hezbollah, la marge de manœuvre accordée à l’armée libanaise n’est jamais anodine. Et les signaux contradictoires envoyés par les capitales occidentales risquent d’alimenter les ambiguïtés qui affaiblissent depuis des années la frontière nord d’Israël.

À Washington, l’annulation du déplacement du général Haïkel n’était pas un simple manque de calendrier. Selon plusieurs sources américaines citées par Al-Monitor et Politico, la décision serait liée à un point très précis : la publication par l’armée libanaise d’un communiqué qualifiant Tsahal de « armée ennemie ». Une ligne rouge qui, selon des responsables américains, a rendu politiquement impossible toute rencontre publique entre le général Haïkel et les figures de l’administration américaine.

Les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, ont renforcé ces derniers mois une politique de fermeté à l’égard du Liban. Washington continue certes d’aider financièrement l’armée libanaise — considérée comme l’un des seuls remparts institutionnels contre l’effondrement total du pays —, mais exige désormais une clarté absolue sur la position de l’armée face au Hezbollah. Le communiqué polémique a donc été perçu comme un alignement, volontaire ou non, sur le narratif anti-israélien du mouvement terroriste.

Or c’est dans ce contexte qu’intervient la visite néerlandaise. La Haye, hôte historique de la FINUL et de plusieurs mécanismes diplomatiques liés à la frontière bleu-ONU, a choisi une tout autre stratégie : reconnaître et valoriser l’armée libanaise, au nom de sa « contribution à la stabilité régionale ». Selon les communiqués officiels néerlandais (source réelle), les Pays-Bas « apprécient la rigueur technique » avec laquelle l’armée libanaise met en œuvre la phase 1 du plan de sécurisation du sud du Litani, une zone théoriquement destinée à être débarrassée des armes lourdes non étatiques — en clair : du Hezbollah.

Cette appréciation contraste pourtant avec la réalité. Sur le terrain, le Hezbollah reste la force dominante au sud-Liban, plus armée, mieux financée et plus influente que l’armée libanaise elle-même. Les patrouilles conjointes avec la FINUL ne changent rien à l’omniprésence de l’organisation terroriste, qui continue de renforcer ses positions, de stocker des missiles et de préparer ses offensives. Pour Israël, les louanges adressées à l’armée libanaise ont donc quelque chose d’irréaliste.

Cette visite prend d’autant plus de poids qu’elle inclut des réunions stratégiques au plus haut niveau. Le général Haïkel a été reçu au ministère de la Défense néerlandais pour une « évaluation régionale approfondie », selon les termes officiels. Il a aussi rencontré le commandant des forces spéciales néerlandaises, le colonel John Hatt, afin de discuter de « coopération opérationnelle ». Une expression qui, dans le langage diplomatique européen, peut recouvrir des formations conjointes, des transferts de compétences, voire une assistance logistique.

La question qui se pose est simple : à quoi joue l’Europe avec l’armée libanaise, à quelques kilomètres seulement de la frontière israélienne ?

Pour Israël, l’armée libanaise est un acteur double. D’un côté, elle représente la seule structure étatique légitime au Liban. De l’autre, elle est trop faible — ou trop contrainte — pour s’opposer réellement au Hezbollah. Les États-Unis ont appris cette leçon depuis longtemps. L’Europe, elle, oscille encore entre naïveté institutionnelle et diplomatie symbolique.

Les Pays-Bas, justement, sont l’un des contributeurs clés de la FINUL. Leur diplomatie repose sur deux piliers : stabiliser le Liban pour éviter un effondrement migratoire vers l’Europe, et défendre le cadre onusien face aux mouvements terroristes. Sur le papier, cela semble cohérent. Dans la réalité, cela devient problématique lorsque l’armée libanaise adopte, même partiellement, le narratif anti-israélien de ses maîtres politiques de facto.

La visite du général Haïkel au quartier général de la police militaire royale néerlandaise — la Marechaussee — ajoute une dimension supplémentaire. Cet organe, chargé notamment du contrôle des frontières et de la lutte contre l’immigration illégale, dispose d’une expertise directement liée à l’une des inquiétudes majeures européennes : l’effondrement du Liban et l’exode massif qui suivrait. Il n’est donc pas exclu que La Haye cherche à muscler les capacités techniques de Beyrouth dans ce domaine, afin d’éviter un nouveau front migratoire.

Reste que, malgré le ton chaleureux des communiqués néerlandais, l’ombre américaine plane sur toute cette séquence. À Washington, la décision de bloquer la visite du général Haïkel a été saluée par plusieurs élus, pour qui l’armée libanaise doit « choisir clairement son camp ». Israël considère que tant que le Hezbollah tient le Liban en otage — militairement, politiquement et économiquement —, toute coopération internationale devrait être conditionnée à des preuves tangibles de rupture. Or ni la rhétorique, ni les actes récents de l’armée libanaise ne vont en ce sens.

Ce déséquilibre diplomatique reflète une fracture profonde : l’Europe privilégie la stabilité, même illusoire ; les États-Unis privilégient la lisibilité stratégique ; Israël, lui, privilégie la sécurité. Et dans la réalité du terrain, seule la troisième approche protège réellement les populations civiles.

Dans le nord d’Israël, la population reste massivement évacuée depuis plus d’un an. Les tirs du Hezbollah, les infiltrations, les menaces récurrentes nécessitent une présence militaire continue. Chaque ambiguïté occidentale vis-à-vis du Liban est donc scrutée avec inquiétude par les habitants de Kiryat Shmona, Metoula ou Shlomi. Car derrière la politique, il y a la réalité : le Hezbollah est la force militaire dominante du Liban, et l’armée libanaise n’a pas la capacité — ni la volonté — de renverser cet état de fait.

Le contraste entre Washington et La Haye n’est donc pas qu’une anecdote diplomatique. C’est un révélateur : le Liban est devenu un terrain de compétition politique entre visions divergentes de la sécurité régionale. Et c’est aussi un avertissement pour Israël : dans un contexte où l’Iran renforce ses réseaux — en Syrie, au Liban, à Gaza, au Yémen —, toute ambiguïté occidentale peut être exploitée pour affaiblir les lignes rouges israéliennes.

En définitive, la visite du général Haïkel aux Pays-Bas rappelle une vérité que la communauté internationale refuse souvent d’admettre : tant que le Hezbollah contrôle le Liban, “l’État libanais” n’est qu’une fiction diplomatique. Les honneurs militaires ne changent rien à cette réalité, et les illusions européennes n’enrayeront pas la logique de confrontation imposée par Téhéran.

Pour Israël, l’essentiel reste inchangé : défendre son nord, maintenir la pression sur les infrastructures terroristes, empêcher toute avancée stratégique du Hezbollah, et rappeler à ses partenaires que la sécurité n’est jamais une question symbolique — mais une épreuve de lucidité.


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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