Au Maroc, Israël est perçu comme une solution à de nombreux problÚmes

Cabanes en bois, champs verdoyants, routes interurbaines – Ă  travers la fenĂȘtre de l’avion Boeing, nous semblons planer au-dessus des steppes du NĂ©guev, mais en fait, nous allons atterrir Ă  Casablanca. Quelques minutes passent, et nous traversons dĂ©jĂ  les couloirs Ă©blouissants de l’aĂ©roport et sommes accueillis par « Bonjour, Monsieur ». 66 ans plus tard, l’empreinte de l’occupation française est toujours prĂ©sente. Bienvenue au Maroc.

Casablanca est la plus grande ville du Maroc, avec plus de 4 millions d’habitants. Comme Tel-Aviv, elle sert Ă©galement de capitale Ă©conomique du royaume. La ville, considĂ©rĂ©e comme la porte maritime du royaume, a Ă©tĂ© Ă©tablie au VIIe siĂšcle comme un petit village de pĂȘcheurs sur les rives de l’ocĂ©an Atlantique, et a Ă©tĂ© dĂ©truite Ă  plusieurs reprises par les EuropĂ©ens. Au XVIIIe siĂšcle, la ville a Ă©tĂ© refondĂ©e par un sultan de la dynastie alaouite, qui rĂšgne toujours sur le Maroc.

En tant que grande ville commerçante, Casablanca abritait Ă©galement la plus grande communautĂ© juive du pays. Et Ă©videmment, deux des citadins que je rencontre sont sĂ»rs que je suis l’un des leurs. Pourtant, je suis moi-mĂȘme Ă  moitiĂ© marocain : la famille de ma mĂšre a immigrĂ© en IsraĂ«l dans les annĂ©es 1960, et mes grands-parents se sont installĂ©s Ă  Yeruham et ont Ă©levĂ© huit fils et filles. Quand elle a grandi, ma mĂšre est partie pour le Gush Dan et a Ă©pousĂ© mon pĂšre, alors officier dans l’armĂ©e de l’air et natif du pays. Il y a environ un an, ma mĂšre et ma grand-mĂšre, Fanny Kleiman et Sima Knafo, sont dĂ©cĂ©dĂ©es l’une aprĂšs l’autre.

Lors d’une visite dans l’ancien quartier juif de Casablanca, je dĂ©couvre mĂȘme le bĂątiment rose et Ă©caillĂ© qui Ă©tait leur maison. Un jour, m’a dit ma grand-mĂšre, ma petite mĂšre est tombĂ©e du balcon de l’appartement et s’est retrouvĂ©e coincĂ©e dans les cordes Ă  linge entre ciel et terre. Le propriĂ©taire a rĂ©pondu aux appels de ma grand-mĂšre et, avec son ami, a Ă©tendu un tapis sur la poussiĂšre de la rue. Un autre ami est montĂ© Ă  l’appartement et a libĂ©rĂ© la jambe de ma mĂšre des cordes Ă  linge. Elle est tombĂ©e directement dans le tapis et s’en est sortie indemne.

C’est un endroit simple. Taudis. Les enfants courent dans les allĂ©es sans asphalte et s’adonnent Ă  un vieux bal. Lorsqu’ils remarquent que je prends des photos des bĂątiments, ils se rassemblent autour de moi pour me demander une photo depuis leur smartphone. L’un d’eux sourit et marque « V » dans sa main. Ensuite, il insiste pour voir la photo.

C’est bizarre de voyager Ă  l’étranger et de ne pas se sentir Ă©tranger. C’est peut-ĂȘtre ça, quand les yeux noirs et ronds des femmes sont les yeux de ta mĂšre, quand la fine moustache du colporteur au marchĂ© ou la peau des passants est la peau d’orange de ton frĂšre.

« Partenariat de doublement de puissance »
Environ deux ans se sont Ă©coulĂ©s depuis la signature des accords abrahamiques. AprĂšs presque deux dĂ©cennies, IsraĂ«l et le Maroc ont renouĂ© des relations rompues pendant les jours sanglants de la seconde Intifada. Alors que la normalisation a un aspect Ă©conomique distinct, elle bĂ©nĂ©ficie d’un lien culturel profond. Il ne s’agit pas seulement de liens entre pays, mais aussi de relations avec la diaspora, et IsraĂ«l est perçu au Maroc comme le siĂšge de la deuxiĂšme plus grande diaspora marocaine au monde aprĂšs la France.

« Il existe un concept appelĂ© ‘dialna’ (le nĂŽtre ; shek), il est donc plus facile pour les Marocains et les IsraĂ©liens de travailler ensemble », explique Einat Levy, responsable de l’économie Ă  l’ambassade d’IsraĂ«l Ă  Rabat. Pour eux, les IsraĂ©liens marocains sont plus proches d’eux que les Egyptiens ou les Jordaniens. Quand IsraĂ«l est considĂ©rĂ© comme faisant partie du Moyen-Orient en IsraĂ«l, cela leur semble Ă©trange. »

« L’image du Maroc », ajoute-t-elle, « reste liĂ©e Ă  la nostalgie des annĂ©es 1950 et 1960 et Ă  ce que les IsraĂ©liens entendaient de leur grand-mĂšre sur la vie des Juifs lĂ -bas, mĂȘme si le pays a connu de grands changements depuis lors ». Ils savent beaucoup sur IsraĂ«l au-delĂ  de ce qu’ils ont entendu dans les nouvelles ».

Dans le contexte du renouvellement des relations, les entreprises israĂ©liennes de l’industrie de haute technologie sont intĂ©ressĂ©es Ă  rĂ©colter les fruits de la normalisation, y compris la coopĂ©ration Ă©conomique avec les investisseurs et les hommes d’affaires locaux. Les autoritĂ©s marocaines, pour leur part, voient de leurs propres yeux Ă  quel point des jeunes prometteurs quittent le pays Ă  la recherche d’opportunitĂ©s en Europe et en AmĂ©rique. Le renouveau des relations avec IsraĂ«l peut donc ĂȘtre une solution Ă  ce dĂ©fi.

« L’expĂ©rience du Maroc en matiĂšre de commerce en Afrique et la base pratique qu’il utilise pour ses activitĂ©s sur le continent pourraient ĂȘtre la contribution du Maroc aux exportateurs israĂ©liens. Cela pourrait ĂȘtre un doublement du partenariat de puissance pour les deux parties », note Levy.

Isam al-Haddadi fait partie des jeunes qui incarnent la promesse. Il travaille pour la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne Check Point depuis un an et neuf mois. Au cours des derniers mois, il a occupĂ© le poste de chef de l’équipe de vente des technologies de sĂ©curitĂ© logicielle. Si vous travaillez chez Corona depuis chez vous, vous avez probablement utilisĂ© le logiciel de sĂ©curitĂ© qu’il commercialise.

Nous nous rencontrons lors d’une confĂ©rence Ă  Casablanca, oĂč 13 protocoles d’accord sont signĂ©s entre des organismes israĂ©liens et marocains. L’objectif principal est de promouvoir les collaborations dans l’industrie de haute technologie, y compris les investissements mutuels dans les domaines de l’énergie verte, de l’ingĂ©nierie alimentaire et de l’agriculture.

Isam (44 ans) vit actuellement Ă  Casablanca. Il est diplĂŽmĂ© d’une universitĂ© de Munich et a travaillĂ© pour des entreprises de haute technologie en Allemagne et au Royaume-Uni. Il rit beaucoup, et quiconque le connaĂźt pourrait penser qu’il est un jeune homme dans la vingtaine. Depuis qu’il a commencĂ© Ă  travailler pour l’entreprise, il s’est rendu plusieurs fois en IsraĂ«l, alors entre les phrases, il lance des mots en hĂ©breu comme « Toda Raba ».

Isam aime Israël, en particulier Jérusalem, Herzliya et la promenade de la plage. « Nous (Israéliens et Marocains; SQ) communiquons beaucoup mieux, dit-il. « Réfléchir, faire des affaires, sans perdre de temps. Ce qui est également vrai de ma façon de penser. »

Actuellement, Isam est une hirondelle solitaire dans la haute technologie israĂ©lienne. Il ne connaĂźt que dix autres Marocains qui travaillent pour des entreprises israĂ©liennes comme lui, mais l’espoir est que ces quelques-uns deviendront des centaines.

Naturellement, l’industrie de la haute technologie au Maroc en est Ă  ses balbutiements. Au cours de l’annĂ©e 2021, les start-ups n’ont rĂ©ussi Ă  lever que 29 millions de dollars de capital, « une petite somme » par rapport aux montagnes de cash de l’industrie israĂ©lienne. Cependant, il s’agit d’un bond significatif par rapport Ă  2020, lorsque le financement Ă©tait d’environ 11 millions de dollars. Au-delĂ  de cela, l’industrie locale est confrontĂ©e Ă  une bureaucratie qui empĂȘche les entrepreneurs de crĂ©er rapidement des entreprises, et les entreprises mettent du temps Ă  se stabiliser.

« Notre intention est que les Marocains puissent s’intĂ©grer dans des entreprises de haute technologie lorsqu’ils travaillent depuis leur pays, ce qu’on appelle l’Offshore », explique Avi Hasson, PDG de Startup Nation Central, qui a initiĂ© la confĂ©rence. « Nous favorisons une certaine coopĂ©ration entre les entreprises israĂ©liennes et marocaines dans le domaine, et le modĂšle sera Ă©galement examinĂ© aux Emirats Arabes Unis et Ă  BahreĂŻn. »

La tragĂ©die de l’eau

Le Maroc n’est pas seulement gĂȘnĂ© par la fuite des cerveaux. L’un des problĂšmes brĂ»lants qui nous attendent est la crise climatique. Un couple de banquiers m’explique les difficultĂ©s de l’agriculture liĂ©es au rĂ©chauffement climatique et Ă  la guerre en Ukraine, qui a entraĂźnĂ© une forte hausse des cours mondiaux du blĂ©. Leur banque est chargĂ©e d’accorder des prĂȘts aux entrepreneurs agricoles. Lors de la confĂ©rence, ils espĂšrent promouvoir des collaborations avec des start-ups israĂ©liennes, ce qui rĂ©duira le risque pris par les prĂȘteurs.

Un homme d’affaires local dit qu’il est venu Ă  la confĂ©rence pour entendre parler des moyens d’utiliser l’eau plus efficacement. Le royaume est actuellement confrontĂ© Ă  la pire sĂ©cheresse depuis 30 ans, et ses consĂ©quences, dit-il, se font sentir principalement dans la pĂ©riphĂ©rie, oĂč l’agriculture est une industrie d’emploi majeure et oĂč les infrastructures sont sous-dĂ©veloppĂ©es.

Le ministre marocain de l’Eau, Nizar Bracha, a rĂ©cemment expliquĂ© dans un discours au parlement que la forte baisse des prĂ©cipitations a diluĂ© le niveau d’eau dans les rĂ©servoirs des barrages du royaume. Les barrages, Ă©rigĂ©s par le roi du Maroc dans les annĂ©es 1990, ne suffisent plus Ă  faire face Ă  la sĂ©cheresse. D’oĂč la grande importance des publications Ă©trangĂšres sur les contacts des entreprises israĂ©liennes avec le Maroc concernant les projets de dessalement de l’eau, dont l’un Ă  Casablanca.

A l’ombre de la recherche fĂ©brile de sources d’eau, l’un des phĂ©nomĂšnes courants est l’extraction de puits pirates. Souvent le puits ne produit pas du tout d’eau et reste vide, puis il devient un piĂšge mortel. L’une des derniĂšres victimes est Ryan, 5 ans, qui est tombĂ© dans un tel puits en fĂ©vrier dernier. Ryan a survĂ©cu pendant de longues heures, blessĂ© et contusionnĂ©, au fond d’un puits dans le nord du pays, mais lorsqu’il a finalement Ă©tĂ© secouru, l’équipe de secours a Ă©tĂ© forcĂ©e de dĂ©terminer sa mort.

La tragĂ©die a conduit le gouvernement marocain Ă  mener une enquĂȘte approfondie sur les puits dangereux. Chaque annĂ©e, les autoritĂ©s documentent environ un millier de violations de la construction dans l’excavation de puits non autorisĂ©s, mais jusqu’à prĂ©sent, il n’y a pas de donnĂ©es complĂštes. De plus, le gouvernement a lancĂ© une campagne de sensibilisation auprĂšs des puisatiers privĂ©s.

Et aussi – la menace iranienne

Au Maroc, IsraĂ«l est considĂ©rĂ© comme une solution, qu’il s’agisse de technologies d’irrigation, de dessalement de l’eau de mer et d’ingĂ©nierie alimentaire, ou d’opportunitĂ©s pour les jeunes Marocains. Ce n’est pas pour rien que le roi Muhammad VI a donnĂ© sa bĂ©nĂ©diction aux traitĂ©s d’Abraham.

Et pourtant, dans le royaume, il y a aussi l’expression d’opinions diffĂ©rentes. Divers Ă©lĂ©ments au Maroc, mĂȘme s’ils sont peu nombreux, n’approuvent pas la normalisation avec IsraĂ«l, et vont mĂȘme jusqu’à manifester. Le Mouvement pour la justice et le dĂ©veloppement, un parti frĂšre des FrĂšres musulmans, n’occupait le poste de Premier ministre qu’il y a environ un an et demi, mais les accords de normalisation avec IsraĂ«l l’ont mis dans un rĂ©el embarras. D’une part, c’est un parti anti-israĂ©lien dont le reprĂ©sentant, Saad a-Din al-‘Uthmani, a mĂȘme fĂ©licitĂ© le chef du Hamas Ismail Haniyeh pour la « victoire » de l’opĂ©ration Wall Guard. D’autre part, c’est un parti qui a siĂ©gĂ© dans un gouvernement qui a renouĂ© des relations avec IsraĂ«l en Ă©change de la reconnaissance amĂ©ricaine de la souverainetĂ© du Maroc sur le Sahara Occidental.

La combinaison de la rhĂ©torique populiste et des diktats du roi semble avoir Ă©tĂ© l’une des causes de l’effondrement dramatique du parti islamiste dans le 2021. Élection de 125 siĂšges, il est tombĂ© Ă  seulement 13 Ă  la chambre basse avec 395 reprĂ©sentants, dans le cadre du parlement marocain avec 515 membres. C’était un accord de fin discordant pour une dĂ©cennie entiĂšre au pouvoir, celle qui a commencĂ© aprĂšs les manifestations du printemps arabe.

Mais la roue peut tourner pour Israël. Le Parti de la justice et du développement tire sa force des sections les plus faibles. Une crise économique pourrait ramener le parti islamiste sur le devant de la scÚne, et par conséquent provoquer un recul des relations avec Israël ou un ralentissement important des initiatives en jeu, celles justement qui peuvent aider le Maroc.

Le Maroc a Ă©galement un point de sĂ©curitĂ© dans sa connexion avec IsraĂ«l, en ce qui concerne la menace iranienne. Comme dans d’autres arĂšnes du monde arabe, l’Iran sape les rĂ©gimes en soutenant les milices locales. À la suite d’allĂ©gations d’assistance iranienne au Front Polisario au Sahara occidental, Rabat a rompu ses liens avec TĂ©hĂ©ran en 2018. Le ministre marocain des Affaires Ă©trangĂšres, Nasser Burita, a alors accusĂ© des membres du Hezbollah d’entraĂźner et d’armer des membres de l’organisation.

Dans ce contexte, en novembre 2021, un protocole d’accord de sĂ©curitĂ© a Ă©tĂ© signĂ© entre IsraĂ«l et le Maroc, qui a jetĂ© les bases d’une coopĂ©ration en matiĂšre de renseignement et d’achat d’armes. Selon des informations Ă©trangĂšres, les industries aĂ©rospatiales israĂ©liennes et le Maroc sont en pourparlers depuis plusieurs mois au sujet d’un incubateur d’entreprises pour le dĂ©veloppement de drones, d’usines pour la production de vĂ©hicules aĂ©riens sans pilote.

Le conflit du Sahara occidental dure depuis 50 ans. Le Front Polisario bĂ©nĂ©ficie du soutien, de l’hospitalitĂ© et du financement de l’AlgĂ©rie, et le Maroc contrĂŽle la majeure partie de la rĂ©gion avec l’aide du mur qu’il a Ă©rigĂ© du sud au nord, sĂ©parant le territoire oriental contrĂŽlĂ© par le Front Polisario. En 2007, le Maroc a proposĂ© d’établir l’autonomie au Sahara occidental, mais s’est heurtĂ© Ă  l’opposition de l’organisation.

C’est la reconnaissance amĂ©ricaine de la souverainetĂ© marocaine qui a permis Ă  l’État de rĂ©primer les revendications du Polisario, mais mĂȘme cela ne suffit pas toujours. L’Espagne, par exemple, a initialement refusĂ© d’adhĂ©rer Ă  la reconnaissance amĂ©ricaine de la rĂ©gion, et a mĂȘme permis au chef du Polisario, Brahim R’ali, de subir un traitement contre Corona sur son territoire. Cette conduite a provoquĂ© la colĂšre Ă  Rabat, et pendant plus d’un an il y a eu des tensions entre les pays.

Il a Ă©galement Ă©tĂ© signalĂ© Ă  l’époque que les tĂ©lĂ©phones du Premier ministre espagnol Pedro Sanchez et d’autres hauts fonctionnaires Ă  Madrid avaient Ă©tĂ© piratĂ©s par le logiciel espion israĂ©lien Pegasus. Les soupçons espagnols sont tombĂ©s sur les responsables au Maroc, mais l’Espagne s’est retirĂ©e des accusations et a ensuite fait de nouveaux gestes envers Rabat. Enfin, c’est le soutien espagnol Ă  la proposition marocaine d’instauration de l’autonomie au Sahara occidental qui a mis fin aux tensions entre les parties.

Cette affaire peut avoir une leçon pour IsraĂ«l concernant les relations avec le Maroc – il faut beaucoup de temps et d’efforts pour cultiver des liens avec le royaume. Il est trĂšs facile de les saboter.

L’auteur Ă©tait l’invitĂ© de Startup Nation Central lors d’une confĂ©rence Ă  Casablanca.


RĂ©daction francophone Infos Israel News pour l’actualitĂ© israĂ©lienne
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