Une vive controverse secoue les médias et la classe politique australienne après une interview télévisée qui a franchi, pour beaucoup, une ligne rouge. En cause : une question posée par la présentatrice de la chaîne publique ABC à un ancien ministre juif, quelques heures seulement après un attentat antisémite meurtrier à Bondi Beach, à Sydney. L’échange, diffusé en direct, a déclenché une vague d’indignation bien au-delà des clivages partisans et relancé le débat sur la manière dont l’antisémitisme est traité dans l’espace médiatique australien.
L’affaire concerne la journaliste Sarah Ferguson, figure bien connue de la télévision publique, et l’ancien ministre australien des Finances Josh Frydenberg, personnalité politique de premier plan et membre éminent de la communauté juive du pays. Lors de l’entretien, Ferguson a demandé à Frydenberg s’il ne présentait pas son discours prononcé sur les lieux de l’attentat « à travers une lentille politique », laissant entendre une possible instrumentalisation du drame à des fins de retour sur la scène politique.
Cette question, posée alors que l’Australie était encore sous le choc, a immédiatement provoqué une réaction de colère de l’ancien ministre. Frydenberg a qualifié l’allusion d’« offense grave », expliquant qu’il ne s’agissait ni de calcul politique ni de stratégie personnelle, mais d’une réaction humaine et citoyenne face à une réalité devenue insoutenable pour les Juifs australiens. Il a rappelé vivre sous protection policière, envoyer ses enfants dans des écoles gardées par des agents armés et fréquenter des institutions communautaires placées sous surveillance permanente.
L’attentat de Bondi Beach, survenu pendant les célébrations de Hanoucca, a coûté la vie à quinze personnes juives et fait des dizaines de blessés. Dans ce contexte, de nombreux responsables politiques et commentateurs estiment que suggérer un quelconque calcul politique relève d’une profonde incompréhension de la situation vécue par la communauté juive australienne. Pour Frydenberg, la question ne relevait pas d’un débat légitime, mais d’une remise en cause de la sincérité de la douleur exprimée.
Après la diffusion de l’interview, les réactions n’ont pas tardé. Plusieurs élus, y compris issus de camps politiques opposés, ont dénoncé une question « déplacée », « insensible » et « profondément blessante ». Des journalistes et éditorialistes ont également critiqué le choix éditorial d’ABC, estimant que le rôle du service public n’est pas d’alimenter le soupçon à l’égard de victimes ou de responsables communautaires, mais de contribuer à l’apaisement et à la compréhension.
La sénatrice australienne Sarah Henderson, elle-même ancienne journaliste à l’ABC, a jugé la question « profondément offensante », rappelant que la sécurité de la communauté juive a toujours fait l’objet d’un consensus bipartisan en Australie. Selon elle, réduire la parole d’un responsable juif à un calcul politique, dans un tel contexte, revient à banaliser la peur et l’insécurité réelles auxquelles sont confrontés des milliers de citoyens.
La journaliste Sharri Markson, présente sur les lieux de l’attentat, a elle aussi pris la défense de Frydenberg. Elle a décrit un homme « brisé et bouleversé », très loin de l’image d’un politicien en quête de visibilité. Pour Markson, la question posée aurait été inimaginable envers n’importe quelle autre minorité frappée par un attentat ciblé, et révèle un angle mort préoccupant dans le traitement médiatique de l’antisémitisme.
Face à la polémique, Sarah Ferguson a tenté de se justifier en expliquant qu’elle relayait des interrogations présentes dans le débat public et qu’elle ne mettait pas personnellement en cause les intentions de son interlocuteur. Mais cette défense n’a pas suffi à calmer la tempête. Pour beaucoup, le mal était fait : le soupçon avait été formulé publiquement, à un moment où la communauté juive se trouvait en état de choc et de deuil.
Au-delà de l’incident lui-même, l’affaire met en lumière une inquiétude plus large : la difficulté persistante à reconnaître l’antisémitisme comme un phénomène spécifique, et non comme un simple sujet parmi d’autres dans l’arène politique. De nombreux observateurs soulignent que demander à un responsable juif s’il « politise » une attaque antisémite revient à ignorer la dimension existentielle de la menace ressentie par la communauté.
En Australie, pays longtemps perçu comme relativement épargné par la haine antijuive, les événements récents ont profondément ébranlé ce sentiment de sécurité. Pour les Juifs australiens, la question n’est plus théorique : elle touche à la liberté de pratiquer leur religion, d’éduquer leurs enfants et de vivre sans peur. La controverse autour de l’interview d’ABC agit ainsi comme un révélateur brutal des tensions actuelles, et pose une question essentielle : comment parler de l’antisémitisme sans en minimiser la gravité ni en suspecter systématiquement les victimes ?
Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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