Au premier siècle avant notre ère, Hillel, originaire de Babylone (plus tard connu sous le nom de Hillel l’Ancien), immigre vers la Terre d’Israël pour étudier le verbe Divin à son origine et travailler la terre comme bûcheron.
Il devient, en définitive, la parole la plus entendue et la plus autorisée de la vie juive.
Hillel vit de manière très précaire, il ne peut parfois subvenir à certains de ses besoins comme celui de payer ses frais d’études par exemple. Grâce à lui, par ailleurs, cette taxe sera ultérieurement supprimée. Il est connu et reconnu pour son amabilité, sa patience, sa préoccupation d’autrui.

Parmi les plus célèbres de ses sentences, transcrites dans les ‘Pirkei Avot ‘ (Maximes des Pères), il a écrit : «Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Et si je suis pour moi, que suis-je ? Et si ce n’est pas maintenant, quand cela sera-t-il ? »

Hillel et ses descendants fondent nombre d’académies d’apprentissage de l’étude et deviennent les leaders de la communauté juive en Terre d’Israël pendant plusieurs siècles. Sa dynastie s’éteint avec la mort de Hillel 2 en 365 de notre ère.
L’alter ego d’Hillel l’Ancien, c’est Shammaï.
Un natif de la Terre d’Israël dont on connait peu de choses, sauf qu’il est un rabbin patenté par la rigueur de ses opinions et la radicalité de ses jugements. Il a aussi la réputation d’être sévère, irascible et fougueux. Tous deux vivent sous le règne du roi Hérode (37-4 avant notre ère), une des périodes les moins ragoutantes de l’époque du second temple.
L’occupation romaine de la Terre d’Israël pèse lourdement sur le quotidien des Judéens et la politique de collaboration de leur souverain, un joug qui entrave toute expression.
Shammaï appréhende et soupçonne tout rapprochement entre Juifs et Romains, il craint le déclin de la communauté juive, la détérioration des us et coutumes. Cette peur morbide de l’assimilation l’amène à prendre une position très autoritaire à travers une interprétation austère de la Loi juive.

Hillel ne partage guère de telles inquiétudes. La psychose de Shammaï ne transparait point dans son enseignement, il est clairement plus libéral, plus serein dans son entendement législatif.
Si Hillel est, bien évidemment, le plus populaire des deux sages, il est aussi celui qui comprend le mieux la réalité judéenne au quotidien. Rien d’étonnant donc du choix du Sanhedrin, la Cour suprême, quand celle-ci décide de le nommer à la tête de cette institution sacrée.
Les deux Sages divergent, malgré tout, sur un nombre certain de questions fondamentales touchant à la Loi juive, en conséquence de quoi leurs disciples sont souvent en opposition. Le Talmud enregistre plus de 300 désaccords d’opinion entre Beit Hillel (l’académie d’Hillel) et Beit Shammaï (l’académie de Shammaï).

Les Amoraïm (auteurs du Talmud) ont régulièrement pris parti pour les décisions de l’école de Hillel, bien que ces Rabbins aient toujours voulu affirmer la validité des deux opinions.
Le célèbre kabbaliste du 16eme siècle, Rabbi Isaac Luria (aAri), déclare que non seulement les paroles de Beit Shammaï et celles de Beit Hillel perdurent toutes deux sur le plan conceptuel, mais chacune possède son propre temps et sa propre place sur un plan totalement pragmatique.
Dans notre monde actuel, nous légiférons selon les décisions d’Hillel, mais, viendra un temps, l’ère du Messie, où la Loi selon Shammaï sera majoritaire et ses ordonnances appliquées. Le ‘saint’ Ari envisage notre réalité actuelle où les commandements Divins s’imposent malgré l’imperfection du monde, les décisions de Beit Hillel traduisent ainsi l’ultime nécessité conforme à la Volonté divine.
Les décisions de Beit Shammaï évoquent un idéal bien trop strict pour notre condition présente, il ne peut être entendu que sur un plan conceptuel. Certains affirment qu’à l’ère du Messie, les conditions seront réunies pour renverser le processus libéral et indulgent. Ce nouveau monde parfait s’associera alors au rigorisme exigeant des commandements Divins exprimés par Beit Shammaï et Beit Hillel ne sera plus que le souvenir d’un autre temps trop laxiste.
Les jugements de Hillel sont fréquemment prononcés en fonction du bien-être de l’individu et de ses préoccupations.
Prenons pour exemple le cas de ces femmes ‘agunot’ (un mari disparu sans aucune preuve de vie ou de mort) qui désirent refaire leur vie.
Hillel (et la plupart de ses collègues) considère qu’elles peuvent se remarier sur la base de preuves indirectes du décès.
Shammaï exige, quant à lui, un témoignage clair avant d’autoriser le remariage.

Autre exemple de son indulgence par rapport à son alter égo : les convertis.
Hillel défend le droit à l’entrée de prosélytes dans le Judaïsme, malgré certaines requêtes extravagantes, comme le fait de vouloir apprendre toute la Torah ‘en se tenant debout sur un pied’. Nonobstant cette facétie, le premier accepte cette personne comme candidate à la conversion, alors que le second la récuse tout bonnement, considérant cette demande comme une bouffonnerie manquant de sérieux pour le Judaïsme.

Deux récits talmudiques existants, (Talmud de Babylone, Shabbat 17a. Et Talmud de Jerusalem 1: 4.), révèlent un événement dramatique au sein d’une salle d’étude : les disciples de Shammaï attaquèrent et, certainement, tuèrent certains des étudiants disciples de Hillel ! Évidemment, un certain nombre de bonnes consciences ne pouvaient accepter une telle ignominie, il s’agit d’une pure description métaphorique concernant un échange musclé, affirmèrent-ils. Cependant, beaucoup d’autres commentateurs croient pertinemment à une information authentique quant au crime commis en ce lieu.

Voici un rappel des événements relatés dans le Talmud babylonien (Shabbat 17a).
Shammaï, nous l’avons déjà signifié, rend des verdicts très sévères. Dans ce cas précis, il affirme que les raisins appartiennent au domaine des ‘liquides’ et donc, ils ont une très forte probabilité d’impureté dès le moment de leur récolte. En conséquence, ils doivent être vendangés par des individus en état de pureté préalable.
Hillel, de son côté, souvent plus magnanime, objecte que le raisin ne peut en aucun cas être impur. Il le sera, seulement, une fois transformé en jus de raisins, d’où l’inutilité d’un état de pureté pour les travailleurs saisonniers.
Qui plus est, Hillel souligne une incohérence dans la position radicale de Shammaï et interroge ce dernier à propos des raisins devant être récoltés dans un état de pureté tandis que les olives, elles aussi, transformées en huile d’olive, c’est-à-dire en un liquide, n’auraient guère besoin d’être cueillies dans les mêmes conditions ?
La remarque est bienséante et Shammaï s’en trouve fort agacé car défié ! Il réagit brusquement et déclare devant l’assemblée : « Si vous continuez à me provoquer, je décrèterai également l’impureté pour la cueillette des olives. »

À ce stade, les sabres furent sortis.
Ce jour devint aussi funeste que celui du veau d’or biblique, où beaucoup d’hommes furent tués au cours d’une bataille fratricide.
Cette référence à une épée est encore plus surprenante compte tenu de l’interdiction de mettre une lame dans une maison d’étude. (Sanhédrin 82a.) Il est possible, cependant, que cette décision soit survenue plus tard, à la suite des violences commises à cet endroit.

Le Talmud poursuit et nous fait entendre ce qui se dit et se joua, à ce moment, et en ce lieu :
« Celui qui veut entrer peut entrer, mais personne ne sortira ! Et ce jour-là, Hillel fut obligé de se soumettre devant Shammaï, comme l’un de ses disciples. »
Évidemment, nous savons que le jour où le veau d’or fut érigé, cela augura une journée de guerre civile où des frères s’entretuèrent et le sang rougit l’Histoire :
Lisons la Torah dans Shemot ch. 32, v. 27 et 28) : « et Moïse se posta à la porte du camp et il dit : « Qui aime l’Éternel me suive ! » Et tous les Lévites se groupèrent autour de lui. Il leur dit : « Ainsi a parlé l’Éternel, Dieu d’Israël : ‘Que chacun de vous s’arme de son glaive ! Passez, repassez d’une porte à l’autre dans le camp et immolez, au besoin, chacun son frère, son ami, son parent !’ Les enfants de Lévi se conformèrent à l’ordre de Moïse ; et il périt dans le peuple, ce jour-là, environ trois mille hommes. »

Toutefois, il est important de se pencher sur un autre texte du Talmud de Jérusalem.
Dans son traité de Shabbat, il est consigné que les rabbins allèrent rendre visite à H’ananya ben H’izkia ben Gourion dans son grenier. Là, ils comptèrent les rabbins et constatèrent que Beit Shammaï était en majorité, aussi votèrent-ils dix-huit nouveaux décrets ce jour-là.
Certes, tout cela ressemble à un récit assez ordinaire, des sages se réunissent afin de discuter et de légiférer sur nombre de sujets.

Pourtant, il nous faut lire la suite du Talmud de Jérusalem :
« Les étudiants de Beit Shamaï se tenaient au-dessous d’eux et commencèrent à tuer les étudiants de Beit Hillel. Il fut enseigné : Six d’entre eux montèrent et les autres se tinrent au-dessus d’eux avec des épées et des lances. »

Cette description par le Talmud de Jérusalem est très difficile à interpréter au sens figuré et il semble qu’il y ait eu un conflit violent. Il est intéressant de noter que les deux principaux commentaires des deux côtés de la page divergent complètement l’un de l’autre sur la question de savoir si, oui ou non, le meurtre a eu lieu.

Le Pnei Moshe : R. Moshe ben Shimon Margalit (1710 – 1780)
Selon ce commentaire, Hillel devait s’asseoir, soumis devant Shammaï, pendant que les étudiants de ce dernier tuaient littéralement ses étudiants. C’est ainsi qu’il fut en mesure de recueillir la majorité des voix.

Korban Haeda: R. David ben Naftali Hirsch Frankel (1707-1762)
Cet autre refuse d’accepter la violence du récit… A suivre la semaine prochaine !!