Carmi Gillon, l’ex-chef du Shin Bet pendant l’assassinat de Rabin : “Chaque matin, je planifiais comment me suicider”

Trente ans aprĂšs le meurtre qui a bouleversĂ© IsraĂ«l, Carmi Gillon, l’homme qui dirigeait le Shin Bet au moment de l’assassinat d’Yitzhak Rabin, brise enfin le silence. Dans un documentaire diffusĂ© sur Keshet 12, il revient, tĂȘte baissĂ©e, sur la nuit oĂč tout a basculĂ© — la sienne, et celle du pays tout entier. Entre regrets, traumatismes et remords, il Ă©voque sans dĂ©tour ses pensĂ©es suicidaires, la culpabilitĂ© Ă©crasante, la dĂ©pression et la maladie qui l’accompagnent depuis ce soir du 4 novembre 1995.

“Je ne suis plus revenu ici depuis ce soir-lĂ . Si je n’étais pas sĂ»r que c’est la derniĂšre fois de ma vie, je ne serais pas revenu”, confie-t-il depuis la place qui porte aujourd’hui le nom de Rabin. “Ce lieu me dĂ©truit, il me rappelle que tout s’est effondrĂ© sous ma responsabilitĂ©.”

À l’époque, Gillon, alors ĂągĂ© de 45 ans, dirige le service de sĂ©curitĂ© intĂ©rieure depuis seulement sept mois. En mission Ă  Paris le soir du drame, il apprend la nouvelle par un appel brutal : “Ils m’ont dit : on a tirĂ© sur Rabin. Le tueur vient de Herzliya. Tout ce que tu craignais s’est produit.”

De retour Ă  Tel Aviv, il retrouve ses Ă©quipes de sĂ©curitĂ© autour de la reconstitution de l’attentat. “Je n’arrivais pas Ă  comprendre. Comment est-ce possible ? Comment Amir a-t-il pu tirer le deuxiĂšme coup de feu ? Ce dĂ©tail me hante depuis trente ans.”

Un sentiment d’échec Ă©crasant

“Quand on protĂšge un Premier ministre, il ne faut pas ĂȘtre original, juste prĂ©cis. Si le premier tir part, le corps doit ĂȘtre plaquĂ© au sol pour empĂȘcher le second. Le fait qu’Igual Amir ait pu tirer trois balles, c’est un Ă©chec total”, affirme Gillon d’une voix tremblante.

Le documentaire “Dans ma garde” retrace cette descente aux enfers. Gillon rĂ©vĂšle qu’il a longtemps planifiĂ© sa mort. “J’ai dĂ©cidĂ© de me suicider. Je ne pouvais pas supporter l’idĂ©e qu’un Premier ministre ait Ă©tĂ© assassinĂ© sous ma responsabilitĂ©. J’ai envisagĂ© de simuler un accident ou de me tirer une balle. Chaque matin, je rĂ©flĂ©chissais Ă  la mĂ©thode. À l’étranger, j’espĂ©rais qu’un terroriste du Hamas me tue. Ce serait la solution parfaite — mourir et devenir un hĂ©ros.”

Mais il n’en a rien Ă©tĂ©. Il a continuĂ© Ă  vivre, sous antidĂ©presseurs. “Je vis avec ces pilules depuis trente ans. J’ai grossi de soixante-dix kilos. Je suis dĂ©pendant. Sans elles, je ne pourrais pas tenir debout.”

L’homme brisĂ© d’un pays dĂ©chirĂ©

Le choc du 4 novembre 1995 a transformĂ© Gillon et toute sa famille. Ses filles — Adi, Naama et Tamar — tĂ©moignent : “Ce soir-lĂ , on a perdu papa. Il Ă©tait prĂ©sent, mais absent. On voulait recoller les morceaux, mais il s’est enfermĂ© dans sa douleur.”
Son Ă©pouse Shari, qu’il appelle “l’amour de ma vie”, l’a soutenu jusqu’à sa mort. “Je me suis Ă©croulĂ© Ă  son dĂ©cĂšs. C’était mon pilier. Aujourd’hui, j’ai le cancer, et je n’ai plus peur de mourir. Je crains seulement la souffrance.”

Dans le film, Gillon revient aussi sur les annĂ©es de haine et d’incitation qui ont prĂ©cĂ©dĂ© le drame. “Nous savions que quelque chose de grave allait arriver. Des rabbins avaient dĂ©clarĂ© Rabin ‘ennemi du peuple’. Les mots tuaient dĂ©jĂ  avant les balles.”
Il raconte avoir prĂ©venu directement Benjamin Netanyahou, alors chef de l’opposition :

“Je lui ai montrĂ© les photos des manifestations avec Rabin dĂ©guisĂ© en nazi. Je lui ai dit : ‘Un jour, quelqu’un va interprĂ©ter tes discours comme une permission de tuer.’ Il m’a Ă©coutĂ©, mais n’a rien fait. Il ne pourra jamais dire qu’il ne savait pas.”

Les démons du Shin Bet

Au fil de l’entretien, Gillon Ă©voque la “conspiration permanente” dont il est la cible depuis trente ans. “Certains prĂ©tendent que le Shin Bet a orchestrĂ© le meurtre. C’est absurde. Pour un tel complot, il faudrait des dizaines de complices. Mais quand on ne veut pas affronter la vĂ©ritĂ©, on invente des mythes.”
Il fustige la commission Shamgar, qu’il juge “aveugle Ă  l’incitation et obsĂ©dĂ©e par des dĂ©tails techniques”. “Elle a prĂ©fĂ©rĂ© parler de la position des gardes plutĂŽt que du climat de haine qui a prĂ©parĂ© l’assassinat. Le rĂ©sultat ? Trente ans plus tard, les thĂ©ories du complot vivent encore.”

Une confession ultime

Aujourd’hui, Carmi Gillon a 75 ans. Il vit loin du pouvoir, affaibli mais lucide.
“Je suis le chef du Shin Bet sous la garde duquel un Premier ministre a Ă©tĂ© assassinĂ©. Je n’ai pas d’excuses. Si je pouvais remonter le temps, je le prendrais dans mes bras et j’encaisserais toutes les balles d’Amir Ă  sa place. Ce serait ma plus grande joie.”

Une confession d’une rare intensitĂ©, qui rĂ©sonne comme un cri d’amour et de dĂ©sespoir mĂȘlĂ©s — celui d’un homme qui n’a jamais cessĂ© de vivre dans la nuit du 4 novembre.


RĂ©daction francophone Infos Israel News pour l’actualitĂ© israĂ©lienne
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