Il existe des vies qui défient toute logique, où chaque chapitre semble appartenir à un roman d’espionnage. Celle de Catherine Pérez-Shakdam, journaliste et analyste politique française d’origine juive, en est l’illustration parfaite. Mariée très jeune à un Yéménite rencontré à Londres, installée à Sanaa sous une identité presque dissimulée, devenue plume respectée dans la presse moyen-orientale, puis confidente de hauts dignitaires iraniens, elle a traversé des mondes clos, interdits à la plupart des Occidentaux. Aujourd’hui, réfugiée en Europe, elle raconte son parcours hors du commun, tout en portant sur elle une suspicion qui ne la quittera sans doute jamais : a-t-elle été simple observatrice ou bien espionne infiltrée au service d’Israël ?
De la France laïque au Yémen conservateur
Née en France au début des années 1980 dans une famille juive sécularisée, Catherine grandit marquée par un double héritage : un grand-père résistant, survivant de la Shoah, mais aussi un père meurtri par l’antisémitisme au point d’en nier sa propre identité juive. À 11 ans, elle perd sa mère, emportée par un cancer, et connaît une adolescence marquée par la solitude et les pensionnats. Brillante, elle poursuit des études de communication et d’économie à la London School of Economics.
C’est là qu’elle rencontre un étudiant yéménite, qu’elle épouse en 2009. Le couple s’installe à Sanaa, capitale du Yémen, au cœur d’une société tribale et profondément conservatrice. Catherine se retrouve contrainte de porter le hijab, d’adopter des usages musulmans, et surtout de cacher son identité juive. « J’ai survécu grâce à la dissimulation », confie-t-elle aujourd’hui. Dans ce contexte oppressant, elle commence à écrire des chroniques sur la politique et l’économie yéménites.
La plume qui attire Téhéran
Ses premiers articles, publiés dans la presse locale et sur quelques sites internationaux, se distinguent par leur regard critique sur la politique américaine au Moyen-Orient. Cette posture attire l’attention de médias proches de l’« Axe de la Résistance » : l’Iran, le Hezbollah libanais, les houthis yéménites. Progressivement, Catherine devient une voix recherchée par ces réseaux.
En 2014, elle écrit pour Mint Press News, site américain jugé pro-iranien. Puis elle apparaît sur Russia Today et sur Press TV, chaîne anglophone de Téhéran. À travers ce parcours, elle gagne la confiance de figures influentes comme Nader Talebzadeh, intellectuel proche du régime. Très vite, elle est invitée à Téhéran.
Dans l’antre du régime iranien
En février 2017, Catherine vit un moment qu’aucun journaliste occidental n’aurait pu imaginer : escortée par les Gardiens de la Révolution, elle est conduite à une rencontre privée avec l’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la République islamique. Les consignes sont strictes : yeux baissés, pas de contact visuel, parler seulement si on l’y autorise. Elle décrit un homme au charisme glaçant, capable d’adopter une voix douce et paternelle avant de lancer : « Quand nous crions ‘Mort à Israël’, nous visons les fils et filles de Jacob – le peuple juif tout entier ».
Au cours de la même année, elle interviewe Ebrahim Raïssi, futur président, et participe à des conférences où se côtoient dirigeants du Hamas et du Hezbollah. À Bagdad, elle croise même la route du général Qassem Soleimani, chef redouté de la force Al-Qods. La confiance que lui accorde le régime atteint un tel niveau qu’on lui propose d’écrire la biographie officielle de Khamenei.
De la collaboration à la rupture
Mais cette proximité devient vite un piège. « Ils voulaient que je sois leur porte-voix en Occident », raconte-t-elle. Coincée entre son rôle de journaliste et la propagande exigée par ses interlocuteurs, Catherine choisit de fuir. En 2020, profitant du chaos de la pandémie et quelques semaines après l’assassinat de Soleimani par un drone américain, elle coupe tout lien avec Téhéran.
Le contexte ne joue pas en sa faveur : la même année, le scientifique nucléaire Mohsen Fakhrizadeh est éliminé près de Téhéran. Dans l’imaginaire iranien, le soupçon se cristallise : Catherine Pérez-Shakdam, l’étrangère accueillie avec tant de naïveté, n’était-elle pas une taupe israélienne ?
L’ombre du Mossad
Depuis, la presse iranienne et arabe se déchaîne. Certains médias l’accusent d’avoir séduit jusqu’à 120 responsables pour extorquer des secrets. D’autres la décrivent comme l’« Israélienne qui a infiltré le cœur du régime ». Sur les réseaux sociaux, son nom circule associé à celui d’Eli Cohen, légendaire espion israélien pendu à Damas en 1965.
Elle dément fermement : « Je n’ai jamais appartenu au Mossad. Mais si j’avais pu, j’aurais aimé. Ils sont les véritables anges gardiens d’Israël ». Pourtant, loin de chercher à dissiper complètement le doute, elle cultive une part de mystère. « Qu’ils croient ce qu’ils veulent. Cela restera au-dessus de ma tête toute ma vie. »
De la dissimulation à l’affirmation identitaire
Si elle se cachait hier derrière un hijab, Catherine apparaît aujourd’hui en public avec une étoile de David autour du cou. Installée à Londres, elle milite ouvertement dans des organisations pro-israéliennes comme We Believe in Israel et le Forum for Foreign Relations. « Il n’y a rien qui me rende plus fière que de me tenir en première ligne pour mon peuple », dit-elle.
Son discours est désormais sans ambiguïté : elle dénonce le régime iranien comme « satanique », prévient que Téhéran prépare peut-être des attaques contre la diaspora juive, et affirme que la France pourrait être le théâtre d’un futur « 7 octobre ».
Une vie de fractures et de contradictions
L’histoire de Catherine reste cependant difficile à démêler. Ses récits varient parfois : tour à tour athée revendiquée ou croyante, critique d’Israël ou sioniste ardente, journaliste indépendante ou activiste assumée. Beaucoup s’interrogent sur la part de stratégie dans ses déclarations. Certains doutent de sa sincérité, d’autres la voient comme une survivante d’une vie d’épreuves et de dangers.
Car derrière la figure médiatique se cache une femme marquée par la douleur : une enfance brisée par la perte de sa mère, un mariage violent au Yémen, une tentative d’avortement forcé, une survie à la frontière entre deux identités contradictoires. « Le jour où j’ai failli mourir en donnant naissance, j’ai juré de ne plus jamais être sous la domination des islamistes », dit-elle.
Mythe, espionne ou lanceuse d’alerte ?
Alors, qui est vraiment Catherine Pérez-Shakdam ? Une journaliste opportuniste qui a joué de ses contacts pour s’élever ? Une survivante qui a utilisé le régime iranien pour comprendre de l’intérieur son idéologie ? Ou une espionne ayant contribué à fragiliser l’un des ennemis les plus acharnés d’Israël ?
Peut-être un peu de tout cela à la fois. Ce qui est sûr, c’est que son parcours révèle la naïveté du régime iranien, capable d’ouvrir ses portes les plus secrètes à une étrangère sans soupçonner son identité juive. Une « erreur historique », selon certains analystes, qui a pu coûter très cher aux services iraniens.
Une mise en garde
Aujourd’hui, Catherine insiste sur une idée : le danger qui pèse sur les communautés juives de la diaspora. « Israël est fort, résilient. Mais les Iraniens cartographient les Juifs d’Europe. Ils veulent frapper là où nous sommes vulnérables. » Un avertissement qu’elle lance au nom de son histoire personnelle, marquée par la clandestinité et le déni d’identité.
Conclusion
L’odyssée de Catherine Pérez-Shakdam demeure une énigme. Femme aux multiples visages, elle incarne la fragilité des frontières entre journalisme, militantisme et espionnage. Qu’elle ait été une marionnette, une actrice ou une stratège, son récit met en lumière la brutalité du régime iranien, la complexité des identités juives en diaspora, et la force de résilience d’une femme qui, malgré tout, a choisi d’assumer au grand jour son héritage.
Comme elle le dit elle-même : « Vous avez essayé de me briser. Pourtant, je suis encore là. Je suis fille d’Israël. »
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