Les internautes vont découvrir demain dans un clip diffusé sur YouTube le visage de cet improbable duo. Julien Cocoa, alias Coco TKT, ancien braqueur et rappeur reconnu, y donne la réplique à Michel Serfaty, le renommé rabbin de Ris-Orangis (Essonne).
« Quand mes proches l’ont su, ils ont cru que j’avais un grain, ne cache pas le religieux. C’est vrai qu’un rabbin qui va chercher en prison un rappeur converti à l’islam pour chanter avec lui le vivre-ensemble est un pari fou. Mais je crois bien que j’avais raison, sourit-il dans un regard complice avec son nouvel acolyte. Le rap peut être un tel vecteur de détestation de la France, du juif et de l’autre en général que se servir de lui pour parler aux jeunes est une formidable opportunité ».
« Ilan Halimi, c’est la preuve qu’on doit agir ensemble». Une sortie le même jour que la commémoration de la mort d’Ilan Halimi, torturé parce qu’il était juif… Tout un symbole, estime Coco TKT : « Cela rend notre message d’autant plus fort. Ilan Halimi, c’est la preuve qu’on doit agir ensemble pour lutter contre l’antisémitisme et tout ce qui sépare les peuples et les communautés ». C’est dans le minuscule parloir du pénitencier de Châteauroux que les deux hommes, 72 ans pour l’un, 30 pour l’autre, se rencontrent pour la première fois. Coco TKT, après plusieurs mois de cavale, finit d’y purger une peine de huit ans d’emprisonnement.
Il s’est aussi illustré pour ses quenelles à la gloire de Dieudonné, en plein quartier juif du Marais. « J’ai pris conscience que j’avais fait un geste très grave et m’étais mis à dénoncer Dieudonné en prison. Michel avait entendu parler de moi. Quand il est venu me voir, j’ai d’abord trouvé cela bizarre, puis je me suis dit qu’au lieu de dire que l’antisémitisme c’est mal, on allait le rapper ensemble. Je sais l’influence de mon rap sur les jeunes, alors autant nous en servir ! », explique-t-il en pleine synagogue de Ris, lui qui était il y a peu encore rempli de préjugés sur les juifs.
« Mais tout ça, c’est derrière moi», dès sa sortie de prison, le duo balbutiant tente une première expérience en décembre. Le clip est vu 5 000 fois. Coco rappe pendant que Michel Serfaty dodeline de la tête sous son grand chapeau noir.
Ils planchent déjà sur un troisième clip Dans le nouveau clip à paraître, ils récidivent mais vont plus loin, mêlant leurs voix comme de vieux copains. « On a mis Michel en studio et on lui a appris à slamer. On a recommencé des tonnes de fois », s’amuse Coco TKT, tandis que, dans le langage de l’universitaire spécialiste de grammaire hébraïque, cela donne : « J’ai appris à adapter la versification à la scansion de l’instrument ». Sur la bande-son, Coco laisse sa voix le porter.
« J’ai volé, j’ai matraqué, mais l’argent ne rend pas propre », chante-t-il. Le rabbin lui emboîte le pas, chantant le ghetto où il est né, les forêts où il s’est ressourcé. Le refrain, ils le font ensemble — « Tous unis, tous unis, tous unis » –, avant cet ultime appel chanté par le rabbin à Coco. Mais, au-delà, c’est tous les jeunes des quartiers populaires que l’infatigable président de l’Association de l’amitié judéo-musulmane essaie de convaincre : « vieillard mais encore jeune, je cours pour te chanter ce rap », entonne-t-il.
Les deux hommes, toujours accompagnés de jeunes des deux religions, planchent déjà sur le troisième clip pour toucher encore plus grâce à cette musique populaire. Une dizaine est prévue. « On n’arrête plus le rabbin, lance le rappeur, vous revenez dans trois semaines, il aura la casquette à l’envers et la chaîne bling-bling », explose-t-il de rire.
Juif et donc riche. C’est ainsi que les bourreaux d’Ilan Halimi ont justifié les vingt-quatre jours de torture qu’ils ont fait subir au jeune homme. Dix ans après la découverte de son corps, il reste pour sept Français sur dix le « symbole de ce à quoi peuvent conduire les préjugés sur les juifs », nous apprend une étude de l’Ifop* pour SOS Racisme et l’Union des étudiants juifs (UEJF) que nous dévoilons en exclusivité.
Cette « affaire », dont 61 % des sondés disent qu’elle les a « beaucoup » touchés, n’a pourtant pas permis d’anéantir les stéréotypes dont elle a été l’emblème. L’étude démontre en effet qu’au-delà d’Internet où des torrents de haine antijuive se déversent, les préjugés antisémites ont la dent dure.32 % estiment que les juifs se servent dans « leur propre intérêt » de leur statut de victime du nazisme, de même que de nombreux sondés admettent pour vraie l’idée de juifs plus riches que la moyenne (31 %), avec par exemple trop de pouvoir dans les médias (25 %).
« Le préjugé devient un véritable problème quand il engendre une violence envers l’autre ou un rejet de celui-ci, commente Dominique Sopo, le président de SOS Racisme. Ce qui est inquiétant est que notre sondage révèle que contrairement aux idées reçues les préjugés antisémites ne concernent pas que les jeunes. Ils prennent même de l’ampleur chez les plus de 25 ans ».
« Nous sommes dans la situation paradoxale où les Français disent ressentir de l’empathie pour les juifs alors que 40 % des actes racistes concernent ce 1 % de la population, rappelle Sacha Reingewirtz, le président de l’UEJF. L’affaire Ilan Halimi montre que le travail de pédagogie, d’enseignement et de transmission doit être amplifié. Déconstruire les préjugés sur les Juifs, les musulmans, les homos… est la seule manière de pouvoir coexister. »
* Etude menée en ligne du 3 au 5 février auprès de 1 468 personnes. (Source : Le Parisien)