Crise en Turquie : inflation galopante, entreprises étranglées et fuite des investisseurs étrangers

La Turquie traverse une tempête économique dont l’ampleur ne cesse de croître. Avec une inflation annuelle oscillant entre 35 % et 85 % depuis 2021, une monnaie nationale en chute libre et une instabilité réglementaire, le pays d’Erdogan voit ses entreprises fermer en masse et ses partenaires internationaux plier bagage.

Hapag-Lloyd claque la porte d’Izmir

Dernier exemple marquant : le géant allemand du transport maritime Hapag-Lloyd, cinquième opérateur mondial du secteur (7,3 % du marché), a annoncé fin août la fermeture de son centre d’opérations internationales à Izmir. Ses 300 employés ont été licenciés et les activités stratégiques transférées à Kuala Lumpur, en Malaisie. « Cette décision est entièrement liée à l’évolution de l’économie turque », a reconnu la direction, évoquant la pression insoutenable des hausses de coûts.

La décision fait suite à une série de retraits d’acteurs étrangers : Siemens Gamesa, qui a fermé un centre R&D à Izmir en février ; l’énergéticien allemand Steag, qui cherche à vendre sa participation dans une centrale turque pour 600 millions de dollars ; ou encore des industriels de l’automobile et de la chimie contraints de céder leurs parts à des partenaires locaux.

Des chiffres alarmants

Selon l’Union turque des chambres de commerce (TOBB), 11 108 entreprises ont fermé leurs portes entre janvier et mai 2025, soit une hausse de 12 % par rapport à 2024. Le seul mois de mai a vu disparaître près de 3 000 sociétés. En parallèle, de nouveaux investissements étrangers existent encore (568 entreprises créées), mais ils sont concentrés dans un nombre limité de secteurs, loin de compenser les départs.

La monnaie nationale illustre la gravité de la crise : de 3 livres pour un dollar en 2015, la parité est passée à plus de 41 livres pour un dollar en 2025. Chaque dévaluation contraint Ankara à relever le salaire minimum — porté en janvier à 22 104 livres (environ 626 dollars), mais déjà redescendu à 554 dollars en juin à cause de la chute de la monnaie. Une spirale sans fin.

Les secteurs les plus touchés : textile et automobile

Le textile, longtemps fleuron turc, s’effondre. Plus de 250 000 emplois ont été supprimés entre 2022 et 2024, avec un exode massif d’usines vers l’Égypte, où la main-d’œuvre est moins chère. Les exportations de vêtements ont reculé de 7 % en 2024 (18 milliards de dollars), et celles du cuir de 18 % (1,5 milliard). L’Union européenne, principal client, se tourne désormais vers la Chine.

Dans l’automobile, des acteurs allemands comme Linde Weimann ou Frahim ont revendu leurs actifs à des familles industrielles turques, signe d’un désengagement progressif de l’Ouest.

Une incertitude réglementaire inquiétante

Au-delà de l’économie, l’environnement légal décourage les investisseurs. Exemple : l’Autorité turque de la concurrence a ouvert en août une enquête contre Google, accusé d’imposer son système de paiement aux développeurs sur Google Play. Ce climat de défiance, ajouté à l’instabilité monétaire, alimente l’impression d’un pays devenu imprévisible pour les multinationales.

Qui profite du recul turc ?

Les bénéficiaires sont déjà identifiés :

  • L’Égypte, qui attire des dizaines d’usines textiles turques.
  • La Malaisie, qui récupère des centres de commandement logistique comme celui de Hapag-Lloyd.
  • La Chine, qui gagne des parts de marché en Europe grâce à la baisse de compétitivité turque.

Conclusion

L’économie turque, longtemps vantée comme un « miracle émergent », semble aujourd’hui s’enfoncer dans une spirale de dette, inflation et fuite des capitaux. Pour Recep Tayyip Erdogan, l’équation est périlleuse : préserver son socle électoral en relevant sans cesse le salaire minimum, au risque de vider le pays de ses investisseurs. La Turquie, autrefois hub industriel régional, pourrait bientôt céder sa place à d’autres puissances émergentes.

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