Des milliers de Druzes israéliens franchissent la frontière syrienne : retrouvailles familiales et menace djihadiste à la porte du Golan

Des milliers de Druzes israéliens ont franchi la frontière syrienne ces dernières heures, dans un mouvement aussi inattendu qu’émotionnel. Poussés par les appels de leur leader spirituel, le cheikh Mowafak Tarif, et choqués par les images atroces en provenance des montagnes d’A-Sweida en Syrie, ces jeunes Druzes ont décidé de ne plus rester spectateurs. La frontière, que l’on croyait hermétique, a été franchie presque sans résistance, permettant à certains de retrouver des membres de leur famille restés de l’autre côté, au village de Hader, à quelques kilomètres du Golan. Une déchirure géopolitique transformée en retrouvailles poignantes, pleines de larmes, d’embrassades, et de cette odeur si familière qui traverse les générations : « Il sentait comme mon père », témoigne ainsi Kamilia Abu Zaid, une patiente atteinte de cancer qui n’a pas pu résister à l’appel du sang.

Mais derrière cette lueur d’humanité se cache une réalité autrement plus sombre. Les jeunes qui espéraient rallier A-Sweida pour porter secours à leurs frères druzes syriens se sont vite heurtés à un mur infranchissable : les jihadistes du Front Al-Nosra, aussi connu sous le nom de l’organisation d’Al-Joulani, contrôlent les routes, les barrages, et abattent sans sommation tout Druze, surtout religieux, qui oserait tenter l’aventure. « On nous a dit de ne pas avancer, qu’ils nous tueraient sans hésiter », ont confié plusieurs jeunes à leur retour. Face à la menace d’un massacre, l’armée syrienne a promis d’ouvrir la voie, mais l’effondrement du régime à ces confins du pays rend la promesse fragile, pour ne pas dire illusoire.

Dans cet élan de solidarité communautaire, Israël n’est pas resté inerte. Le chef d’état-major de Tsahal s’est rendu sur la frontière pour suivre la situation de près. Le député Hamad Amar, de Yisrael Beitenou, a franchi la frontière temporairement accompagné de forces de sécurité afin de convaincre les jeunes de rentrer. L’objectif est double : préserver leur vie et éviter que cet acte de bravoure spontané ne se transforme en catastrophe humanitaire.

Ces retrouvailles ont aussi offert à la communauté druze une forme de consolation : celle de rappeler leur unité par-delà les lignes tracées par la géopolitique régionale. « Nous ne sommes pas seulement une famille, nous sommes un seul peuple », ont martelé ceux qui ont pu étreindre leurs proches dans la zone tampon entre la Syrie et le Golan. Les images de ces embrassades, rapportées par les agences comme Reuters ou AFP, contrastent avec l’horreur qui frappe la région de Sweida, où les combattants druzes sont la dernière digue face à la barbarie djihadiste.

Ce contexte dramatique s’inscrit dans l’agonie du régime syrien, incapable de sécuriser ses provinces méridionales. Il y a quelques jours encore, plus de 200 morts étaient recensés dans les violences à Sweida, dont près de 20 civils druzes sommairement exécutés. Ce carnage, loin d’être un fait divers local, menace tout l’équilibre confessionnel du Levant. Pour Israël, qui a toujours entretenu une relation stratégique et fraternelle avec sa minorité druze, c’est un test politique et militaire. Le message du cheikh Tarif a d’ailleurs été sans ambiguïté : « Israël doit choisir. Soit elle est avec nous, soit elle est avec Daech. »

Il est difficile de ne pas voir dans ces événements un écho tragique aux guerres qui ont ravagé la région depuis plus d’une décennie, mais aussi une opportunité historique. Des voix s’élèvent pour qu’Israël intervienne plus franchement, non pas seulement par des mots ou des aides discrètes, mais par une action diplomatique et sécuritaire plus affirmée. Le précédent des interventions israéliennes pour évacuer ou aider les populations en détresse, comme ce fut le cas avec les Casques blancs en 2018, résonne dans les esprits.

Pour la communauté druze israélienne, particulièrement intégrée dans l’armée et la société israélienne, ce dilemme est aussi identitaire. Faut-il rester sur la réserve ou défendre au-delà des frontières ses frères de sang ? La question est d’autant plus pressante que les forces djihadistes, malgré leur déclin relatif, restent déterminées à faire disparaître toute forme de diversité religieuse ou ethnique sur leur chemin.

Quant aux autorités israéliennes, elles jouent une partition délicate : soutenir discrètement, mais éviter un enlisement dans la poudrière syrienne. Tsahal surveille, mais n’intervient pas pour l’instant, consciente que tout faux-pas pourrait embraser la région et offrir à ses ennemis, au nord comme au sud, un nouveau prétexte pour déstabiliser le front intérieur israélien.

En attendant, les familles druzes du Golan, de Galilée, et même du Liban sud, retiennent leur souffle. Les téléphones sonnent, les vidéos affluent, les pleurs résonnent d’une rive à l’autre. Kamilia, malgré ses traitements, garde ce souvenir comme un baume : « Au milieu de la mort, il y avait ce parfum de vie. Ce n’est pas grand-chose, mais ça nous donne la force de continuer. »

Pour Israël, ce n’est pas seulement une affaire de frontière, mais de fidélité à ceux qui, depuis toujours, se tiennent aux côtés de Tsahal dans toutes les guerres. La société israélienne, qui voit dans les Druzes bien plus que des alliés, doit désormais faire face à sa propre conscience : comment aider, jusqu’où aller, et surtout, combien de temps rester spectateur ?

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