C’est une démarche pour le moins inattendue. Et les fidèles lecteurs du journal franco-israélien Israël Magazine ont dû être les premiers surpris en découvrant la photo de Dieudonné, ce mardi 10 janvier, en début d’après-midi à la home du site Internet de ce mensuel classé à droite créé en 1999. Un cliché accompagné d’un titre : « Je demande pardon. Dieudonné. » Erreur ? Piratage ? Coup de pub ?

« Rien de tout cela. J’ai décidé, après relecture bien sûr, de publier ce texte de Dieudonné qu’au départ je devais rencontrer ce soir (ce mardi soir) à Paris, avec Francis Lalanne », nous confie André Darmon. L’humoriste controversé a été condamné d’innombrables fois ces dernières années par la justice, notamment pour injures raciales ou incitation à la haine, suite à des propos, des passages de sketchs ou des vidéos, comme la chanson « Shoa nanas », jugés antisémites.

André Darmon s’en explique d’ailleurs à l’attention des lecteurs : « Après réflexion, j’ai préféré que l’humoriste écrive ce qu’il avait à dire à ceux qu’il avait tant maltraités, les Juifs, et auxquels il voulait demander pardon. Je vous laisse simplement juges, vous, lecteurs. » Quant à Dieudonné, contacté ce mardi, il nous a déclaré : « Je vous confirme que cette tribune dans Israël Magazine vient bien de moi, c’est réel, ce n’est pas une fake news. »

« Je reconnais humblement m’être laissé aller au jeu de la surenchère »

Intitulé « Lettre ouverte de Monsieur Dieudonné MBALA MBALA à André Darmon et à Israël Magazine » et titré « Je demande pardon », le texte de Dieudonné, transmis au journaliste par Francis Lalanne, est assez court, et peut-être plus surprenant, plutôt sobre. Rappelant sa passion pour son métier d’humoriste — « un sacerdoce » qu’il exerce depuis 35 ans — Dieudonné, après une pensée pour ses proches à qui il regrette de ne pas avoir consacré assez de temps, s’adresse aux personnes qu’il a meurtries dans ce qu’il appelle un peu étrangement ses « gesticulations artistiques ».

« Je tiens également à demander pardon à toutes celles et ceux que j’ai pu heurter, choquer, blesser au travers de certaines de mes gesticulations artistiques. Je pense notamment à mes compatriotes de la communauté juive, avec lesquels je reconnais humblement m’être laissé aller au jeu de la surenchère », écrit-il. Poursuivant sa démarche de repentance présumée, le polémiste reconnaît être parfois allé trop loin et avoir fait preuve d’outrances, de provocations déplacées. « Pour toutes ces fautes et excès, je demande pardon. Mon ambition était de faire rire tout le monde, et la communauté juive fait partie de mon monde », ajoute-t-il sans toutefois citer précisément quel sketch, vidéo, propos ou actes il regrette.

Après avoir indiqué son souhait de quitter la scène « en paix » avec lui-même, et souligné l’importance du rôle du rire et de la dérision dans « la restauration du lien qui s’est rompu », l’humoriste qui avait fait monter sur la scène du Zénith en 2008 le négationniste Robert Faurisson (Il a été condamné pour injure raciste suite à des propos tenus lors de ce spectacle) s’adresse à nouveau à celles et ceux qu’il a profondément offensés et prévient : « Entendons-nous bien, je ne cherche aucune excuse, aucune circonstance atténuante car nul n’en a lorsqu’il peut constater qu’il a nui à son prochain, je demande tout simplement pardon pour le mal que j’ai pu faire même sans le vouloir. »

« Le temps nous dira si Dieudonné était sincère »

Pourquoi avoir publié ce texte ? « J’ai été sollicité par Francis Lalanne, qui est un ami. La démarche qu’il m’a présentée ressemblait à une véritable volonté de faire contrition. J’ai trouvé prématuré de rencontrer Dieudonné, avec qui j’ai eu maille à partir dans le passé. J’ai donc opté pour une déclaration que j’ai soumise à nos lecteurs. Je ne suis ni juge, ni commissaire, à eux de juger », déroule André Darmon qui rappelle que son journal défend les valeurs de l’État d’Israël, le sionisme et le judaïsme, « même si je ne suis pas religieux », précise le directeur de la rédaction.

Justement, ne craint-il pas un torrent de réactions indignées ou de critiques en donnant la parole au polémiste et multirécidiviste, banni des plateformes en ligne à l’été 2020 ? « Je ne dois rien à personne, ni à Dieudonné, ni à quiconque. Je suis un homme libre », insiste André Darmon en confiant avoir avant parution « sondé le texte » de l’humoriste. Son opinion ? « Cela paraît sincère », estime-t-il sans autre certitude. « Sur un plan spirituel, il faut donner sa chance à quelqu’un qui veut se repentir. Mais surtout, le temps nous dira si Dieudonné était sincère. Tout dépend désormais de lui », souligne le patron d’Israël Magazine là où de nombreux lecteurs verront sans doute une énième provocation de l’humoriste.

PODCAST (ARCHIVE, 2021). Dans l’arrière-boutique de Dieudonné

À l’origine de ce projet de repentance autoproclamé, on trouve l’avocat Emmanuel Ludot. « C’est une étape, car il y en aura d’autres, dont le but recherché est un pardon sans concession », assure ce mardi Me Emmanuel Ludot, avocat de Dieudonné qui cite entre autres un projet de fonder une association à la mémoire de tous les peuples martyrisés auquel Dieudonné aimerait associer le partenaire et complice de ses débuts sur scène, Élie Semoun.

Par ailleurs, sur le front judiciaire, Me Ludot affirme qu’il a pour mission de « vérifier que toutes les condamnations de Dieudonné ont été exécutées et les peines d’amende payées, et qu’elles le seront si ce n’est pas le cas ». Là encore, l’avenir confirmera l’authenticité ou non de la démarche de l’artiste.

Source Le Parisien