Réduire les Juifs à Israël, à son gouvernement actuel et à la figure clivante de Benyamin Netanyahou : voilà l’un des raccourcis les plus délétères de notre époque. Ce procédé, en vogue dans une partie des milieux politiques et universitaires occidentaux, revient à nier la profondeur millénaire de l’histoire juive, à effacer la pluralité de ses identités et, surtout, à déshumaniser un peuple dont l’existence ne saurait se réduire aux choix stratégiques d’un État.
Le symptôme le plus saisissant de ce brouillage est culturel. Ainsi, en Allemagne, une école baptisée du nom d’Anne Frank a choisi en 2021 de se rebaptiser « Les Lutins », jugeant que son nom n’était « plus adapté aux enfants d’aujourd’hui ». Aux États-Unis, en 2022, des débats surréalistes ont éclaté sur les campus pour déterminer si Anne Frank, adolescente assassinée par les nazis, avait bénéficié ou non d’un « privilège blanc ». Ces révisions à la fois grotesques et inquiétantes disent beaucoup du climat idéologique : la mémoire juive devient un champ de bataille où l’on tord le réel pour faire correspondre le passé aux obsessions du présent.
Or, cette déformation a des conséquences redoutables. Dans une partie de l’opinion, le mot « Juif » est désormais entendu comme synonyme de « colonisateur israélien ». Cette assimilation mécanique gomme les tragédies, les cultures, les langues, les diasporas, les exils, bref, tout ce qui fait la richesse et la complexité de l’histoire juive. Elle permet de transformer des victimes en coupables permanents, et de réécrire le XXe siècle à l’aune de la seule politique israélienne contemporaine.
Le danger n’est pas seulement intellectuel : il est existentiel. Car cet effacement nourrit une forme d’antisémitisme réinventé, qui se pare des habits de l’antisionisme pour mieux délégitimer les Juifs. Qu’importe alors que des milliers d’Israéliens descendent dans la rue pour réclamer la libération des otages du Hamas : leur humanité est occultée par la caricature d’un peuple réduit à un gouvernement.
Reconnaître cette mécanique, c’est rappeler une évidence que certains veulent effacer : l’identité juive ne se résume ni à Tsahal ni à Netanyahou. Elle plonge ses racines dans Jérusalem comme dans Cordoue, dans Varsovie comme dans Addis-Abeba, dans les textes bibliques comme dans la modernité culturelle. L’amputer de son histoire, c’est préparer le terrain à toutes les falsifications, et, in fine, à la justification de nouvelles violences.
Il revient à chacun – intellectuels, médias, responsables politiques – de s’opposer à cette négation rampante. Défendre l’histoire juive dans sa globalité n’est pas un luxe académique, c’est une nécessité morale. Car là où l’humanité juive est effacée, l’humanité tout court vacille.
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