Une inscription taguée à Nantes, « Le 10 septembre, on bloque tout », résume le climat explosif qui règne en France. À la veille d’un vote de défiance au Parlement, le pays s’enfonce dans un double séisme, politique et économique, menaçant d’emporter le gouvernement d’Emmanuel Macron et de placer la deuxième puissance de la zone euro au bord du chaos.
Le Premier ministre François Bayrou, nommé en 2024, a pris l’initiative inédite de provoquer lui-même ce vote d’une importance cruciale. Il espérait ainsi rallier les députés à son plan d’austérité draconien : 44 milliards d’euros de coupes budgétaires pour réduire un déficit qui a atteint 5,8 % du PIB en 2024, le plus élevé de la zone euro. « C’est un choix entre le chaos et la responsabilité », a-t-il lancé. Mais ses chances de survie sont minces : les socialistes ont déjà annoncé qu’ils voteront contre, rejoints par l’extrême droite de Jordan Bardella.
Le plan Bayrou vise à ramener progressivement le déficit sous la barre des 3 % imposée par Bruxelles d’ici 2029. Pour y parvenir, il prévoit la suppression de deux jours fériés, une taxation accrue des plus riches, des coupes dans la fonction publique, la suppression d’avantages fiscaux pour retraités et entreprises, ainsi que le gel de l’indexation des allocations sociales. Autant de mesures jugées insupportables par une large partie de la population, déjà exaspérée par l’inflation et la perte de pouvoir d’achat.
La situation économique est alarmante. La dette publique a grimpé à 3 300 milliards d’euros (114 % du PIB) et les intérêts annuels atteignent déjà 66 milliards d’euros, soit davantage que les budgets de l’Éducation nationale et de la Défense réunis. Les projections du ministère des Finances prévoient une facture de 100 milliards d’euros par an à l’horizon 2029 si rien n’est fait. Les marchés financiers sanctionnent déjà Paris : le rendement des obligations d’État françaises dépasse 3,4 %, l’un des plus hauts de la zone euro.
À cela s’ajoute l’instabilité politique chronique : la chute d’un quatrième Premier ministre en moins de deux ans semble inévitable. Après l’échec de Michel Barnier en décembre dernier, François Bayrou est sur le point d’être emporté à son tour. Pour Emmanuel Macron, plusieurs options s’offrent à lui : dissoudre l’Assemblée et convoquer de nouvelles élections, tenter un remaniement avec un cinquième chef de gouvernement, ou bien, scénario plus radical, envisager sa propre démission, hypothèse qu’il a toutefois toujours exclue.
La crise française dépasse cependant le cadre hexagonal. Déjà affaiblie par la guerre en Ukraine et les tensions sur l’énergie, l’Union européenne redoute une contagion : Goldman Sachs prévient que l’instabilité à Paris pourrait ébranler toute la zone euro, rappelant les heures sombres des dettes souveraines au début des années 2010. ING souligne que la paralysie politique risque d’aggraver la stagnation économique, la croissance française plafonnant à 0,8 % en 2025.
Le symbole est puissant : alors que la France aime se présenter comme moteur de l’Europe, elle devient désormais sa « maillon faible ». Le contraste avec l’Allemagne, qui affiche encore une certaine stabilité budgétaire, est criant. Et tandis qu’Emmanuel Macron ambitionnait d’incarner une Europe forte et souveraine, il se retrouve contraint de gérer un pays en révolte intérieure, affaibli sur la scène internationale et menacé de déclassement financier.
À l’approche du 10 septembre, la colère sociale s’organise déjà : syndicats, mouvements de gauche et collectifs citoyens préparent une journée de blocages massifs. Si le gouvernement tombe, elle se transformera en démonstration de force. Si, contre toute attente, il survit, la France s’apprête de toute manière à vivre un automne de grèves, de rues paralysées et de contestation permanente.
Au-delà des chiffres et des débats parlementaires, une question hante désormais les Européens : que vaut une Union où la France, puissance fondatrice, vacille sur ses bases économiques et politiques ? Si Paris chute, c’est toute l’architecture européenne qui risque de trembler.
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