À Paris, une partie de la communauté juive s’apprêtait à faire entendre sa colère contre Emmanuel Macron, accusé d’adopter une ligne de plus en plus hostile à Israël. L’événement, prévu sous le slogan percutant « Macron – ça suffit », devait rassembler plusieurs organisations communautaires et marquer une rupture ouverte avec l’Élysée. Mais la mobilisation a été stoppée net avant même de commencer.
Selon une révélation du Channel 14 israélien, deux facteurs principaux ont conduit à cette annulation. D’une part, les autorités françaises ont imposé des conditions sécuritaires jugées impossibles à satisfaire, dans un contexte de tensions accrues et de crainte de débordements. D’autre part, des divisions internes au sein des instances communautaires ont éclaté : fallait-il afficher un message frontal contre Macron, au risque d’envenimer les relations, ou privilégier un ton plus modéré afin de préserver un dialogue minimal avec le pouvoir ? L’incapacité à trancher, conjuguée aux pressions venues d’en haut, a fini par enterrer le projet.
Cette manifestation devait pourtant symboliser une exaspération croissante. Beaucoup de Juifs de France reprochent au président de ne pas avoir répondu de manière adéquate à l’explosion d’actes antisémites depuis le 7 octobre, et de s’être aligné sur des positions jugées dangereusement favorables aux Palestiniens. L’hypothèse d’une reconnaissance d’un État palestinien par Paris, évoquée ces dernières semaines, nourrit un sentiment de trahison. « L’opinion juive en France estime que le contrat de confiance est brisé », confiait un organisateur à la presse communautaire.
Reste que le rapport entre l’État français et ses citoyens juifs demeure ambivalent. Si les tensions sont palpables, les institutions centrales comme le CRIF conservent une influence notable auprès des gouvernements successifs. La traditionnelle « dînée annuelle du CRIF », à laquelle se presse toute la classe politique, demeure un marqueur incontournable. Cette double réalité — proximité institutionnelle d’un côté, sentiment d’abandon sécuritaire de l’autre — explique en partie la paralysie des initiatives publiques.
L’annulation de la manifestation reflète donc à la fois la fragilité interne de la communauté et la pression d’un pouvoir qui entend éviter tout affrontement symbolique. Mais elle souligne surtout la profondeur de la fracture : jamais depuis des décennies les relations entre la France et Israël n’avaient atteint un tel niveau de crispation. Le soutien implicite de Macron à une solution palestinienne, perçu comme une délégitimation d’Israël, est vécu comme une gifle par une communauté déjà meurtrie par l’antisémitisme.
Dans cette affaire, la retenue imposée aux Juifs de France risque de renforcer l’idée d’un isolement. Car si l’Élysée peut encore compter sur les relais institutionnels du CRIF, il ne peut ignorer l’amertume qui monte à la base. Et cette colère pourrait bien, tôt ou tard, chercher d’autres formes d’expression, moins contenues et plus radicales.
.