FRERES ENNEMIS EN TÊTE-À-TÊTE A HEVRON
 Par Rony Akrich

Au fil des ans, la communautĂ© juive de HĂ©vron a Ă©tĂ© perçue comme le marqueur le plus belliciste des relations entre les rĂ©sidents IsraĂ©liens et la population palestinienne. Cependant, ces derniĂšres annĂ©es, un nouvel esprit d’entente souffle sur la ville des Patriarches.

Ceux que l’on dĂ©finissait comme le noyau dur de la droite israĂ©lienne, des habitants de Hevron et de Kiryat Arba crĂ©ent aux cĂŽtĂ©s de Palestiniens, vivant dans la citĂ© arabe, une nouvelle rĂ©alitĂ© et cherchent ensemble, pas Ă  pas, Ă  nouer de nouvelles relations sur le terrain.

Certes, les ennemis, ni mĂȘme les pessimistes, d’une telle ambition ne manquent pas, pourtant depuis cinq ans, se poursuit, sans publicitĂ©, un programme de rĂ©unions et de conversations communes. Étonnamment, les diffĂ©rents rĂ©cits concernant la source du problĂšme deviennent progressivement assez similaires.

Il semble que le groupe ait survĂ©cu aux Ă©vĂšnements de l’opĂ©ration israĂ©lienne Ă  Gaza “Gardien des murailles”. D’un commun accord, ils ont dĂ©cidĂ© de ne pas laisser l’actualitĂ© du moment remettre en cause leur projet, si essentiel Ă  leurs yeux: Repas de fĂȘte en commun pendant le mois de Ramadan et rĂȘves d’entreprises commerciales communes.

La nouvelle alliance scellĂ©e Ă  HĂ©vron – sous son patronyme palestinien, «Al-Khalil» (surnom d’Abraham dans la tradition musulmane, « Khalil Allah » – Ami de Dieu) – s’accompagne Ă©galement de nombreuses revendications fondamentales Ă  l’égard de l’État d’IsraĂ«l et de sa politique en JudĂ©e Samarie, qui, selon eux, prĂ©serve la dure rĂ©alitĂ© de la dĂ©marcation des uns et des autres. Les reprĂ©sentants du groupe rĂ©vĂšlent pourquoi ils ne renoncent pas Ă  l’expĂ©rience du partenariat dans une ville divisĂ©e et rĂ©flĂ©chissent sur la maniĂšre dont cela pourrait ĂȘtre vĂ©cu diffĂ©remment.

Ashraf Jabari, homme d’affaires de HĂ©vron, membre du Bureau de l’industrie et du commerce de JudĂ©e-Samarie, le Dr Noam Arnon, porte-parole de la citĂ© juive de Hevron; Yishai Fleischer, activiste de l’information, vivant Ă  HĂ©bron, et Fadel Jyat, Ă©galement homme d’affaires local, sont quelques-uns des participants Ă  ce groupe de rencontres. S’ajoute le Dr Yehuda Stolov, de « l’Interfaith Encounter Association » (Association de rencontre interreligieuse (ou “Le Docteur”, comme les gens l’appellent ici).
La plupart des rĂ©unions ont lieu au domicile d’Ashraf Jabari, en totale coordination avec l’armĂ©e et sans enfreindre la loi lors de l’entrĂ©e sur le territoire palestinien.

Jabari dĂ©clare Ă  qui veut l’entendre: « ceci est la voie de la coexistence! Chaque annĂ©e pendant le Ramadan, nous partageons notre repas avec des amis et voisins israĂ©liens. Nous organisons aussi des rencontres durant l’annĂ©e, de classes prĂ©paratoires, d’étudiants, de rencontres avec le Dr Yehuda. On poursuit le bon chemin, nous avons l’espoir et nous allons gagner je n’en ai aucun doute ».

MĂȘme les tensions sĂ©curitaires qui Ă©clatent de temps Ă  autre sur un terrain aussi propice et explosif ne remettent guĂšre en cause l’existence de ces rencontres.
« Je pense que cela relĂšve du caractĂšre unique de la relation qui s’est construite au fil du temps et nous permet ainsi de mieux rĂ©sister Ă  toutes sortes de vellĂ©itĂ©s », explique le Dr Stolov, dont l’organisation recevra la MĂ©daille du prĂ©sident de l’Etat d’IsraĂ«l pour son entreprise bĂ©nĂ©vole, la semaine prochaine.

« Le chemin de la paix est basĂ© sur la confiance et le respect mutuel entre les personnes de religions diffĂ©rentes », dĂ©clare Jyat. « Le but est de parvenir Ă  des accords entre les parties concernĂ©es, nous voulons tous vivre ensemble – mais il y a beaucoup de sujets qui nous freinent en cours de route, des points de discorde entre nos religions et nos perceptions diffĂ©rentes, cela nous empĂȘche de nous souvenir de ce que nous avons en commun et nous conduit vers plus de conflits. »

Jyat confie qu’à son avis, les rĂ©cents Ă©vĂ©nements entourant la mosquĂ©e d’Al-Aqsa prouvent seulement que le discours interreligieux est la seule voie Ă  suivre.
« Tout notre problÚme, ce sont les différentes religions et les différents groupes nationaux, voir les choses sous un angle différent », dit-il.

« Les gens ne respectent pas la religion et la croyance de l’autre, mĂȘme si l’on pense qu’ils y sont attachĂ©s, ils oublient le Dieu commun qui nous unit. Le commandement de Dieu est que nous soyons tous ensemble dans la paix et le bien. Nous nous devons un respect religieux mutuel afin de produire quelque chose de stable pour tous les gens qui vivent ici. L’amour, la paix et l’évitement de la violence conduiront Ă  la coopĂ©ration et Ă  de nombreux succĂšs partagĂ©s. “L’humanitĂ© rĂ©ussit quand elle coopĂšre. »

Noam Arnon est docteur en histoire dont les recherches ont portĂ© sur le Caveau des Patriarches tout au long de son existence. Ce site Ă©tant sacrĂ© pour les trois religions monothĂ©istes, il n’est pas le type que vous pourriez vous attendre Ă  rencontrer immĂ©diatement dans l’initiative, il attribue cela Ă  une image mĂ©diatique nĂ©gative qui y est attachĂ©e:

« En fait, depuis le dĂ©but de la colonie juive Ă  HĂ©bron, le rabbin Moshe Levinger nous a toujours dit : ‘Nous sommes venus ici pour ĂȘtre pour et non contre’ », dit-il.
“Nous sommes favorables au retour des Juifs Ă  HĂ©bron et sur les sites juifs, et nous sommes favorables Ă  une vie en paix avec tout le monde. Nous ne sommes venus contre personne. Oui, il y a des Ă©lĂ©ments qui sont contre, mais ils ne sont pas dans notre domaine de discussion. Nous parlons aux gens qui veulent et comprennent que les Juifs et les Arabes vivent dans cette ville depuis 1 300 ans, et continueront Ă  y vivre. »

Celui qui a ouvert la voie Ă  l’époque, se souvient Arnon, est le Sheikh Abu Khader Al Jabari, le grand pĂšre d’Ashraf Jabari.
Quand des anarchistes israéliens sont un jour venus démolir une antique synagogue construite sur ses terres, il a réduit à néant leur enthousiasme en déclarant: « Sur ma terre, aucun lieu saint ne sera détruit et quiconque nuit à ce site aura affaire à moi ».
Contrairement Ă  l’État d’IsraĂ«l, ils traitent ces anarchistes de maniĂšre trĂšs claire, sans aucune ambiguĂŻtĂ©. Nous nous sommes rendus, de suite, Ă  son domicile pour lui remettre une lettre de remerciement. Il nous a reçus trĂšs cordialement, nous a affirmĂ©: ‘Pour moi vous n’ĂȘtes pas des colons, vous ĂȘtes mes voisins’.

Ashraf, non seulement, poursuit la ligne de conduite de son aĂŻeul, mais la dĂ©veloppe et l’asseoit, avec la crĂ©ation courageuse du « Parti de la rĂ©forme et du dĂ©veloppement ». Il a Ă©galement créé la Chambre de commerce bilatĂ©rale, et sa maison est toujours ouverte aux rĂ©unions de personnalitĂ©s des deux cĂŽtĂ©s.

Que s’est-il passĂ© Ă  Hevron ?
L’organe politique palestinien, le « Parti de la rĂ©forme et du dĂ©veloppement », a Ă©tĂ© lancĂ© il y a 3 ans. Il a immĂ©diatement soulevĂ© l’inquiĂ©tude du prĂ©sident de l’AutoritĂ© palestinienne Mahmoud Abbas et de son parti Fatah, ce dernier qualifiant le nouveau venu de “suspect” et ses idĂ©es ‘’toxiques’’.
Créé le 1er mai 2019 Ă  HĂ©vron, le parti a dĂ©clarĂ© qu’il reprĂ©sentera la “majoritĂ© silencieuse” palestinienne. Ses objectifs comprennent la relance de la situation Ă©conomique des Palestiniens, la coopĂ©ration avec IsraĂ«l et l’assouplissement des restrictions israĂ©liennes sur le peuple palestinien. Dans sa dĂ©claration fondatrice, il a dĂ©clarĂ© vouloir amĂ©liorer la communication avec le reste du monde, mettre fin Ă  la corruption et au nĂ©potisme et rĂ©former l’AP et l’OLP.
Le nouveau parti a Ă©galement abordĂ© certaines questions qui ne le sont gĂ©nĂ©ralement jamais, telles que la condamnation du terrorisme et l’ouverture du dialogue avec les organisations non gouvernementales (ONG) israĂ©liennes.
L’organe constituant du parti est composĂ© d’Ashraf Jabari, Khader al-Jabari, Issa Allan, Khaldoun al-Husseini, Sharaf Ghanem et Nasser al-Tamimi.
Bien que les hommes ne soient pas des politiciens de haut niveau, prÚs de 5 000 militants de toute la Cisjordanie ont assisté à la conférence fondatrice.

Cette association se poursuit et prend de l’ampleur de part et d’autre, mĂȘme si elle est encore minoritaire, cela se reflĂšte Ă©galement, par exemple, dans les messages de consolation qu’Arnon a reçus derniĂšrement, lors de son deuil. Plus surprenant encore sont les dĂ©pĂȘches de contrition et de regret suite aux diffĂ©rentes attaques terroristes.
Il tient Ă  souligner que ses amis au-delĂ , de l’autre cĂŽtĂ©, subissent nombres d’attaques et gĂšrent une situation trĂšs compliquĂ©e de la part de personnes mal intentionnĂ©es. MalgrĂ© tout, ils poursuivent leurs engagements d’une maniĂšre qui force le respect.
Mais ici aussi, de ce cÎté-ci, Il y a des Juifs qui ne se reconnaissent pas du tout dans ces démarches, qui ne peuvent concevoir une telle réalité, qui ne peuvent soutenir cet engagement militant.
Ce sont des rĂ©actions tout Ă  fait audibles et comprĂ©hensibles, en particulier aprĂšs l’opĂ©ration militaire « Le Gardien des Murailles », les gens posent de rĂ©elles questions, les unes plus difficiles que les autres.

‘Regardez ce qui s’est passĂ© Ă  Acco, regardez ce qui s’est passĂ© Ă  Lod, toutes vos illusions fondent comme neige au soleil. Des gens, bons voisins pendant de nombreuses annĂ©es, soudainement deviennent violents ou silencieux. C’est vraiment une situation trĂšs pĂ©nible.’

Mais essayons, Ă  tĂȘte reposĂ©e, de rĂ©flĂ©chir afin de pouvoir affirmer que l’on ne peut guĂšre gĂ©nĂ©raliser. Pour exemple, ces rĂ©sidents musulmans qui sauvĂšrent des Juifs lors des Ă©meutes de 1929 Ă  HĂ©bron, doit Ă©galement ĂȘtre rappelĂ©. Nous recherchons les justes parmi nous!
Yishai Fleischer, un habitant de Kiryat Arba, a fait la une des journaux, entre autres, suite Ă  la publication d’une chronique controversĂ©e dans le New York Times, intitulĂ©e “La perspective d’un colon sur l’avenir de l’État d’IsraĂ«l”. Cela traitait de sa vision d’un avenir commun entre les populations du pays.

« Le dialogue avec le monde arabe est faisable, rien de vraiment compliqué à mon avis » précise-t-il.
« Ici Ă  HĂ©vron, nous vivons au milieu d’une image de haine et de guerre constante entre les fractions, nos deux groupes, IsraĂ©liens et palestiniens, veulent briser cette image. »


RĂ©daction francophone Infos Israel News pour l’actualitĂ© israĂ©lienne
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