Depuis le début de la guerre en Ukraine, le coût mondial a été mesuré, en grande partie, en termes de victimes, de réfugiés, de besoin d’aide humanitaire et, concernant l’économie mondiale, de la hausse des prix du pétrole, du charbon et du gaz. Beaucoup moins d’attentions ont été accordées aux produits de première nécessité, ils ont certes moins à voir avec l’énergie et tout à voir avec l’alimentation de centaines de millions de personnes dans le monde.

La Russie et l’Ukraine sont à la fois de puissants producteurs et exportateurs de denrées alimentaires de base: blé, orge, maïs et huile de tournesol en particulier. Pris ensemble, les deux pays représente environ 30 % de ces exportations vers le reste du monde. Au-delà des drames et des tragédies de la guerre, le président russe Vladimir Poutine semble avoir retardé, si ce n’est complètement interrompu, les exportations. En conséquence, les prix s’envolent et s’affolent après chaque nouveau communiqué des différents fronts, en Ukraine même, les prochaines plantations et récoltes seront sans nul doute menacées.

Pour mesurer la dépendance du monde vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie prenons deux exemples: l’Égypte, premier importateur mondial de blé, dépend de l’Ukraine pour 85 % de ces importations. L’année dernière, le programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM), plus grand donateur au monde de nourriture aux pays nécessiteux, a acquis 40% de son blé sur le marché Ukrainien. Il s’agit là, d’une seule des raisons pour lesquelles les effets secondaires de la guerre en Ukraine se feront sentir bien au-delà du théâtre du conflit.
Le directeur exécutif du PAM a déclaré la semaine dernière au Conseil de sécurité de l’ONU que cela ne se procédait pas seulement d’une volonté de mettre à genoux l’Ukraine et la région, mais cela aura un impact mondial au-delà de tout ce que nous avons connu depuis la Seconde Guerre mondiale ».

Les étudiants en géographie et en économie se souviennent certainement du surnom donné à l’Ukraine: « le grenier à blé de l’Europe ». Plus récemment, le blé ukrainien a également nourri des millions de personnes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
En 2021, la Russie et l’Ukraine représentaient 30 % des exportations mondiales de blé, 17 % de maïs, 32 % d’orge et 75 % d’huile de tournesol. Cette dernière est utilisée pour la cuisine, mais aussi dans les conserves, les sauces, les aliments pour bébés, et bien d’autres choses. Ces dernières semaines son manque se fait sentir, sa disparition des étagères en Europe occidentale laisse planer les doutes et les craintes du lendemain.

Les entrepôts de céréales sont bloqués dans les ports ukrainiens, le sort des semis de printemps est en question et si la guerre fait toujours rage cet été, très probablement, il se peut qu’il n’y ait pas la main-d’œuvre et le carburant nécessaires pour effectuer les récoltes de blé. Pendant ce temps, les sanctions internationales s’appliquent sur les trois plus grandes lignes de conteneurs du monde suspendant ainsi les expéditions de fret à destination et en provenance de la Russie, de plus, les fermetures des ports de la mer Noire perturbent le commerce des deux pays.

Trois complications interdépendantes découlent du conflit entre l’Ukraine et la Russie.
La première est une flambée des prix mondiaux des denrées alimentaires, en particulier de ces produits de base.
La seconde est une pénurie immédiate d’approvisionnement. Alors que les prix peuvent grever les budgets des consommateurs partout dans le monde, pour les pays dépendant des huiles de céréales et de graines russes et ukrainiennes, le problème ne provient pas de l’impossibilité d’acheter le blé, mais celui-ci est concrètement indisponible. Selon les estimations du Conseil de l’Atlantique, environ 7 millions de tonnes d’exportations de blé de Russie et d’Ukraine ont disparu. Le gouvernement ukrainien a déclaré que près de 4 millions de tonnes de blé et 13 millions de tonnes de maïs sont bloqués dans le pays, ne pouvant être exportés à cause de la guerre.
Le troisième problème concerne les réactions en chaine dues à d’autres pénuries liées à la guerre, y compris pour le gaz naturel, un composant clé des engrais, qui affecte les décisions prises par les producteurs dans un proche avenir.

Depuis le début de la guerre, les prix du blé ont augmenté de 46 %, passant de 8,85 dollars le boisseau à 12,94 dollars, avant de se stabiliser à environ 10 dollars. Avant l’invasion, le prix du boisseau de maïs était de 6,81 $; il se négocie maintenant à 7,38 $. Pendant ce temps, les prix de l’huile de tournesol ont augmenté d’environ 20 %.
Ces augmentations font suite à une année déjà inflationniste pour les denrées de base. Basée sur un panier de produits agricoles, la mesure des prix alimentaires mondiaux des Nations Unies a atteint son plus haut niveau jamais enregistré en février 2022. Aux États-Unis, la composante alimentaire de l’indice des prix à la consommation a augmenté de près de 8 % au cours de la dernière année, le rythme de croissance le plus rapide depuis la fin des années 1970.
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine fera encore grimper ces prix à la consommation.

Chez les économistes, on pense qu’un grand nombre d’effets secondaires se produiront sous forme de prix plus élevés pour les pâtes, le pain et autres aliments à base de blé. La situation est particulièrement difficile, en ce moment, pour l’économie mondiale, au vu et su de l’inflation substantielle de l’année dernière.
Cela dit, le lien entre les prix des matières premières et les prix des denrées alimentaires n’est pas simple. Surtout pour les consommateurs des pays riches, la dépense pour la nourriture – ou du moins le prix de la nourriture – sera plus élevée que les céréales elles-mêmes.
L’inflation des coûts de l’énergie, des salaires et des matériaux sera désormais rejointe par l’inflation des matières premières agricoles. Les consommateurs des pays développés verront probablement de légères augmentations du coût des aliments, probablement seulement quelques centimes par dollar. Les usagers des pays en développement ressentiront plus de douleur.
Un autre produit – moins connu mais presque aussi important – est touché par la guerre.

Le prix des engrais augmente pour deux raisons liées au conflit: la hausse des prix du gaz naturel, élément clé de la production d’engrais azotés ; ainsi que des perturbations dans les exportations de potasse, un composant majeur des engrais, exporté depuis la Biélorussie et la Russie.
Certaines usines de fabrication d’engrais en Europe ont complètement fermé.
Ils représentent 17,5 % des dépenses « à la ferme » des agriculteurs, selon le Farm Bureau.
« L’Association des Producteurs de blé du Kansas » a averti en mars: “en raison de la hausse des coûts des engrais et des problèmes de chaîne d’approvisionnement, la récolte de blé aux États-Unis pourrait ne pas obtenir la fertilité dont elle a besoin pour maximiser les rendements, entraînant ainsi une baisse de la production, ce qui entraverait sa capacité à répondre à la demande mondiale ».
« Cela coûtera plus cher de produire du blé », explique Daniel Laborde, chercheur principal à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires. « Le blé est une culture gourmande en engrais. … Cela aura un impact durable sur les marchés alimentaires dans six ou 12 mois.
Le PAM l’a dit sans ambages : « Si vous ne mettez pas d’engrais sur les cultures, votre rendement sera réduit d’au moins 50 %. Nous envisageons donc une catastrophe en plus d’une catastrophe dans les mois à venir.

Si pour les pays riches l’impact se fera sentir, au tout début, sur les factures des restaurants, ou sur les prix des produits sur les étagères des épiceries, pour les autres pays, la question sera de savoir s’il y a quoi que ce soit sur les étagères.
Ces pays vivent déjà à la limite de la pauvreté et de la crise économique. L’impact sera particulièrement grave pour les contrées les plus pauvres qui dépendent fortement de l’Ukraine et de la Russie pour ces produits de base.

“A court terme, ce que nous voyons n’est pas tant une pénurie alimentaire au niveau mondial, mais nous parlons de la volatilité des prix alimentaires à cause de cette guerre, et des problèmes dans les chaînes d’approvisionnement, où l’impact immédiat est sur les pays qui sont particulièrement dépendants.» a déclaré à Grid Madhura Swaminathan, experte en sécurité alimentaire à l’Institut indien de statistiques.

Plusieurs pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord se situent carrément dans cette zone de dépendance et de danger économiques.
La douleur économique conduit souvent à des troubles politiques! La hausse des prix et les pénuries alimentaires ont été parmi les catalyseurs des soi-disantes révoltes du printemps arabe qui ont changé le paysage politique d’une grande partie du Moyen-Orient il y a dix ans.
Dans certains pays, la guerre en Ukraine et la hausse des prix alimentaires attisent déjà les flammes.

Dans quelle mesure Israël et les pays de la région sont-ils touchés par cela ?
Déjà aujourd’hui, 800 millions de personnes vivent dans la famine et environ trois milliards vivent dans l’insécurité alimentaire en raison des prix élevés des denrées.
Si vous le prenez au niveau micro, dans l’État d’Israël, environ un cinquième des citoyens a du mal à acheter une nourriture suffisante et nutritive. L’immunité d’Israël contre de tels chocs, et notre capacité à produire nous-mêmes, et pas seulement à importer, sont toutes relatives.

Vladimir Poutine lui-même a déclaré dernièrement: les prix des denrées alimentaires augmenteront dans le monde suite à la question des engrais, dans la mesure où l’Occident aura des problèmes avec l’exportation de matières premières de la Russie, qui représente 13 % de la production mondiale. En effet, elle est considérée comme un important producteur d’engrais contenant de la potasse, du phosphate et de l’azote, considérés comme les principaux éléments nutritifs des cultures et du sol.

Pendant ce temps, par crainte d’une pénurie de grains de blé en Israël, l’Organisation des travailleurs a lancé un appel aux agriculteurs du pays pour qu’ils augmentent considérablement la production de grains de blé.
Le député Ram Shefa, président de la faction travailliste, a adressé une lettre au gouvernement, au nom des membres de la Knesset, demandant une discussion urgente sur la sécurité alimentaire en Israël à la lumière de la situation géopolitique.
« La réalité fragile de la sécurité nécessite de toute urgence une attention nationale et une planification stratégique à long terme avec l’objectif central de maintenir la sécurité alimentaire des citoyens d’Israël », a-t-il déclaré.

Les membres de la Knesset du Lobby agricole de la Knesset, représentant cinq factions de la coalition, ont adressé une lettre au Premier ministre Naftali Bennett, au vice-Premier ministre Yair Lapid et aux dirigeants de la coalition.
Dans cette lettre, les membres de la Knesset demandent au gouvernement de relever les défis auxquels est confrontée l’importation de blé, de céréales, de poissons et d’autres produits alimentaires d’Ukraine, afin de s’assurer que l’État d’Israël soit préparé à une pénurie alimentaire et avec un objectif central de maintenir la sécurité alimentaire des citoyens israéliens.

L’un des espoirs est qu’un monde résilient puisse combler les lacunes, cela signifiera que les approvisionnements et les prix de tout, du blé à la potasse en passant par l’huile de tournesol, se stabiliseront, et que la crise alimentaire se révélera être une petite note de bas de page à la tragédie de la guerre elle-même.
L’autre espoir est, bien sûr, que les armes se taisent. Dans ce cas, les agriculteurs planteront leurs cultures de printemps, les récoltes d’été se poursuivront et les ports de la mer Noire transporteront tout ce blé, ce maïs et cette orge là où ils doivent aller. Et l’Ukraine – après un court répit – sera à nouveau un grenier pour le monde.