Hamas et Turquie : une alliance discrète, confirmée à Istanbul et surveillée par Israel

Alors que la trêve fragile se maintient à Gaza, le Hamas poursuit sa diplomatie parallèle. Hier, plusieurs de ses hauts responsables, menés par Khalil al-Hayya — l’un des dirigeants du mouvement à Gaza, aujourd’hui basé à l’étranger —, ont rencontré à Istanbul le chef du renseignement turc, Ibrahim Kalin. Selon le communiqué publié par le Hamas, la discussion a porté sur la « mise en œuvre du cessez-le-feu », le blocus des passages et « la nécessité de reconstruire les infrastructures essentielles de la bande de Gaza ».

En réalité, cette rencontre illustre le double jeu de la Turquie, qui abrite depuis des années des cadres du Hamas sous couvert d’asile politique. Ankara continue d’afficher une posture de médiateur entre Israël et les factions palestiniennes, tout en offrant une base diplomatique et financière au mouvement islamiste. D’après des sources sécuritaires israéliennes, plusieurs transferts de fonds à destination de Gaza ont transité ces derniers mois par des canaux turcs, en dépit des sanctions imposées par les États-Unis.

Le gouvernement turc n’a pas démenti la rencontre. Le service de presse d’Ibrahim Kalin a confirmé un « échange constructif autour de la situation humanitaire ». Mais le choix du lieu et la composition de la délégation du Hamas en disent long : autour d’al-Hayya figuraient des représentants du bureau politique du mouvement, dont des membres proches d’Ismaïl Haniyeh et de Saleh al-Arouri, tué à Beyrouth en janvier dernier dans ce que la presse libanaise avait qualifié de « frappe israélienne ciblée ».

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Effigie de Netanyahu pendue en Turquie

Pour Jérusalem, cette réunion est un signal d’alarme. « Ce n’est pas un dialogue humanitaire, c’est une coordination stratégique », affirme un haut responsable de la sécurité israélienne. « Le Hamas tente de s’assurer une légitimité internationale par le biais d’un pays de l’OTAN, alors même qu’il reste une organisation terroriste reconnue par l’Union européenne. »

Depuis plusieurs années, la Turquie d’Erdogan joue une partition ambivalente : alliée militaire de l’Occident, mais protectrice affichée des causes islamistes. Après la guerre de 2023-2024, Ankara a multiplié les initiatives diplomatiques pour s’imposer comme interlocuteur incontournable sur la question de Gaza. Les dirigeants du Hamas, de leur côté, y voient un refuge sûr et une tribune : nombre d’entre eux vivent aujourd’hui entre Doha et Istanbul, bénéficiant d’une sécurité et d’une liberté de mouvement que ni le Qatar ni l’Égypte ne peuvent garantir.

La réunion de cette semaine intervient quelques jours après une précédente rencontre entre la même délégation du Hamas et le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan. Selon plusieurs sources arabes, ces entretiens auraient porté sur la création d’un « comité palestinien indépendant » chargé d’administrer Gaza après la guerre. Une idée rejetée catégoriquement par Israël, qui y voit un moyen de légitimer indirectement le Hamas sous une autre étiquette.

À Jérusalem, la ligne reste ferme. Le ministre de la Défense Israël Katz a déclaré que « toute tentative de confier le contrôle de Gaza à un organe où siègent les terroristes du Hamas est inacceptable ». Katz a rappelé que « le Hamas doit être démantelé, pas recyclé dans une pseudo-autorité civile ».

Cette crispation n’empêche pas le mouvement islamiste de poursuivre sa stratégie de communication. En diffusant des images de sa délégation reçue avec les honneurs à Istanbul, le Hamas cherche à montrer qu’il conserve un statut d’acteur politique régional, malgré ses pertes militaires et l’érosion de son contrôle sur Gaza. Pour Téhéran, parrain de l’organisation, ce rapprochement avec la Turquie représente une carte diplomatique utile : faire front commun contre Israël tout en affichant une façade modérée aux yeux de l’Occident.

Les observateurs soulignent que ces rencontres successives traduisent un repositionnement plus large du Hamas : après avoir été isolé par les régimes arabes pro-occidentaux, le mouvement tente désormais de s’insérer dans un axe islamiste plus souple, associant la Turquie, le Qatar et l’Iran. Un axe qui partage la même obsession : empêcher la normalisation d’Israël avec le monde arabe.

En Israël, la méfiance est totale. Les services de renseignement estiment que les discussions d’Istanbul dépassent de loin la question du cessez-le-feu. “Le Hamas exploite la couverture diplomatique turque pour reconstituer son réseau politique et financier”, explique un ancien officier du Mossad. “Sous prétexte d’aide humanitaire, il s’assure des canaux logistiques et des points de contact pour la suite du conflit.”

Pour le gouvernement israélien, la réponse sera à la fois diplomatique et sécuritaire. L’État hébreu compte alerter ses partenaires occidentaux sur les ambiguïtés d’Ankara, tout en poursuivant sa coopération militaire avec l’armée égyptienne pour verrouiller la frontière sud de Gaza.

Ce nouvel épisode illustre la guerre d’influence silencieuse qui se joue autour de Gaza : une guerre de diplomatie et d’argent, où chaque rencontre secrète vaut parfois plus qu’une salve de roquettes.


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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