Ils ont dĂ©chargĂ© les corps de la voiture – comme pendant l’Holocauste » : le mĂ©decin qui a installĂ© un poste mĂ©dical se souvient des moments dramatiques du 7 octobre

Les bruits de fond de cette interview sont ahurissants. Le chant constant des oiseaux dans l’air, le chant des perroquets dans la grande cage prĂšs de la porte d’entrĂ©e et une sorte de silence qu’on peut rĂ©ellement entendre, interrompu seulement de temps en temps par une explosion lointaine. Il est difficile d’imaginer que dans la cour de la maison tranquille du Moshav Shuva, la famille Fandel a menĂ© une opĂ©ration de sauvetage privĂ©e, qui est devenue la premiĂšre Ă©tape oĂč les survivants du massacre du 7 octobre ont rencontrĂ© des regards bienveillants, une partie de rami, des toasts et tongs.

Tandis que la mĂšre de famille, Merav, gĂ©rait le commandement de la maison – au front, sur la route qui mĂšne au moshav, le pĂšre de famille, le docteur Gedalya Fandel, installait et gĂ©rait une salle d’urgence improvisĂ©e. Il m’a appelĂ©, moi, un ami d’enfance de SdĂ©rot, pour raconter cette histoire inĂ©dite, six mois aprĂšs les Ă©vĂ©nements, et m’a dĂ©crit en dĂ©tail les corps, les blessĂ©s, les soldats choquĂ©s et les enfants de la famille Idan, qu’il a rencontrĂ©s. quelques instants aprĂšs avoir Ă©tĂ© secourus de Kfar Azza.

« 6h30, je me suis rĂ©veillĂ© au son de ‘ Tzeva Adom ‘ (le systĂšme de sirĂšnes) et d’un nombre insensĂ© de boum. Par hasard, toute la famille dormait dans notre chambre cette nuit-lĂ . J’ai mis mes plus beaux vĂȘtements parce que j’étais sĂ»r qu’ils allaient au MIKLAT, et de lĂ  prier dans la synagogue. Nous avons couru en bas, et Sushi (notre berger allemand) Ă©tait dĂ©jĂ  Ă  l’intĂ©rieur. Nous venions de rentrer vivre Ă  Shuva, aprĂšs dix-huit mois Ă  Eilat. Nos plus jeunes enfants ne se souvenaient pas des sirĂšnes et les plus ĂągĂ©s Ă©taient encore traumatisĂ©s par les attaques prĂ©cĂ©dentes. AprĂšs dix minutes passĂ©es dans l’abri, je suis sorti sur la terrasse et j’ai vu tout le spectacle devant moi, en direct vers Gaza. J’ai vu les missiles qui Ă©taient tirĂ©s vers le centre du pays et vers Sderot et le DĂŽme de Fer. J’ai rĂ©alisĂ© que cette fois-ci, la situation Ă©tait grave. Puis j’ai commencĂ© Ă  entendre des tirs incessants comme si c’était depuis notre jardin et des roquettes ont sifflĂ© au-dessus de la maison. J’ai emmenĂ© nos enfants dehors et je leur ai dit : « Regardez, ce sont nos avions. N’ayez pas peur.' »

À ce stade, les messages WhatsApp ont commencĂ© Ă  donner des fragments d’informations sur l’attaque. Les images de Sderot lui paraissaient de la science-fiction. Son beau-frĂšre les a appelĂ©s et leur a proposĂ© de se rendre en Samarie. RĂ©trospectivement, ils ont Ă©tĂ© sauvĂ©s de la route sanglante reliant Sderot aux localitĂ©s d’Otef [communautĂ©s entourant la bande de Gaza], oĂč sĂ©vissaient Ă  l’époque les terroristes du Hamas. Plus tard dans la matinĂ©e, lorsque le rythme des alarmes le permit, Fandel sortit. « Je fais partie de l’équipe de premiĂšre intervention du moshav, mais je n’ai pas d’arme, car ils avaient plus peur des cambriolages que du risque pour la sĂ©curitĂ©. Je suis sorti sur la route principale et j’ai rencontrĂ© deux autres amis qui avaient des armes. Ils s’appuyaient sur la Tesla, je leur ai offert du gĂąteau et une boisson [c’était le matin de Sim’hat Torah] et puis j’ai rĂ©alisĂ© qu’ils n’étaient pas au courant et qu’ils ne savaient pas ce qui se passait. Ils gardaient juste la porte du moshav de loin.

« Je leur ai dit que des villages ici avaient Ă©tĂ© envahis. Ils m’ont regardĂ© sous le choc et ne m’ont pas cru. Je leur ai dit qu’ils n’avaient aucune raison de prendre la route. « Vous mourrez d’abord », leur ai-je dit.  » Il faut monter sur les toits. Ensuite, j’ai rejoint l’équipe qui se cachait dans les vergers au bout du moshav, vers Alumim, pour dĂ©tecter si quelqu’un arrivait. J’ai dit Ă  Merav : « Tu t’enfermes dans l’abri, personne n’entre ni ne sort. Tenez fermement la poignĂ©e.' »

Les rumeurs des combats et du massacre qui ont eu lieu Ă  quelques minutes seulement de notre moshav, Ă  Re’im, Be’eri, Kfar Azza et Sderot, ont commencĂ© Ă  affluer, et les membres de notre premiĂšre Ă©quipe d’intervention ont resserrĂ© leur garde. « Il y avait des rumeurs selon lesquelles ils arrivaient Ă  Zimrat (le moshav Ă  cĂŽtĂ© de chez nous) et qu’il y avait eu un affrontement prĂšs de Tekuma. Ils Ă©taient Ă©galement sur la route en route vers nous mais n’ont pas pu aller aussi loin. Pendant que nous nous cachions dans les arbres dans les vergers, l’un des gars m’a dit qu’il allait dĂźner pour la fĂȘte avec sa famille et m’a donnĂ© son arme. Il n’a pas compris ce qui se passait », rĂ©pĂšte Gedalya. « En fait, nous regardions la route depuis l’extĂ©rieur du mochav, en face d’un miroir rond. Quand nous voyions un vĂ©hicule arriver, nous essayions d’abord de le repĂ©rer, et vous devez comprendre, chaque vĂ©hicule avait dĂ©gainĂ© avec des armes. Des soldats dans des voitures particuliĂšres. Nous Ă©tions tous portant des vĂȘtements de Shabbat, donc c’était facile Ă  identifier.

Point de rencontre

ConsidĂ©rant une Ă©ventuelle infiltration, les membres de la premiĂšre Ă©quipe d’intervention ont reçu un rapport selon lequel deux terroristes s’approchaient du moshav, et ils Ă©taient prĂȘts. « J’ai envoyĂ© un message Ă  un ami du Moshav Shokeda et lui ai demandĂ© des armes. Il a rĂ©pondu : ‘FrĂšre’, nous sommes sans rien. » La mĂȘme chose s’est produite avec un ami de Kfar Maimon. Un moment plus tard, une voiture avec des soldats est passĂ©e, nous avons entendu des coups de feu et nous avons rĂ©alisĂ© qu’il y avait eu une fusillade et que la menace avait Ă©tĂ© Ă©cartĂ©e. J’ai reçu un appel tĂ©lĂ©phonique : ‘Gedalya, nous venons te chercher. Les blessĂ©s et les morts ont commencĂ© Ă  arriver au carrefour.' »

Q : Qui a appelé ?

« Un membre de l’équipe de premiĂšre intervention. Avec un autre mĂ©decin, nous avons quittĂ© le moshav et sommes allĂ©s en voiture jusqu’au carrefour. C’était effrayant, mais nous n’avions toujours pas compris l’ampleur de l’évĂ©nement. »

Q : Pourquoi les blessés vous ont-ils été envoyés spécifiquement ?

« Nous Ă©tions en fait le premier carrefour exempt de terroristes. Il y a eu des affrontements Ă  Sa’ad, il y a eu des affrontements Ă  Re’im, Beeri et Alumim Ă©tait au milieu. Ils ont commencĂ© Ă  arriver dans des ambulances et des vĂ©hicules privĂ©s, et ils n’ont pas arrĂȘtĂ© d’arriver. Les morts, les blessĂ©s, les choquĂ©s. Nous avons commencĂ© Ă  les soigner mĂȘme si nous n’avions pas assez de matĂ©riel, avec une force militaire non organisĂ©e, sur la route Ă  l’extĂ©rieur du moshav.  »

Q : Vous ĂȘtes donc devenu la premiĂšre salle d’urgence d’intervention pour les kibboutz et les moshavim ?

« Je ne sais pas comment l’appeler. Un hĂŽpital de campagne. Il n’y a tout simplement pas de dĂ©finition. Nous sommes mĂ©decins, et une infirmiĂšre est venue du moshav et nous avons commencĂ© Ă  soigner tous ceux qui venaient chez nous. Au dĂ©but, il y avait surtout des soldats avec toutes sortes de blessures. Il y avait un jeune soldat qui avait reçu une balle dans les testicules et qui Ă©tait considĂ©rĂ© comme lĂ©gĂšrement blessĂ©, et des ThaĂŻlandais avec des blessures et des contusions. Ils Ă©taient incroyablement maigres et on pouvait voir une cĂŽte cassĂ©e de l’extĂ©rieur et un grand nombre de blessures par balle, de blessures Ă  l’abdomen et des morts. Un corps gravement brĂ»lĂ© a Ă©tĂ© amenĂ© d’Alumim. Un vĂ©hicule est arrivĂ© avec une remorque avec des cadavres dessus, ils ont jetĂ© les corps en tas Ă  cĂŽtĂ© de nous, comme pendant la Shoah.

Q : Que veux-tu dire ? Ils viennent de décharger des corps prÚs de chez toi ?

« Des dizaines de corps. Je ne pouvais pas les compter, mais nous les avons tous dĂ©placĂ©s dans le fossĂ© Ă  cĂŽtĂ© de la route, en considĂ©rant deux options : nous avions besoin d’un endroit sur la route pour soigner les blessĂ©s, et aussi qu’il y avait beaucoup de victimes des balles et nous ne voulions pas qu’ils voient les corps. À un moment donnĂ©, les gens ont compris que je gĂ©rais le carrefour et les gens se sont tournĂ©s vers moi, il y avait quelqu’un de l’armĂ©e qui gĂ©rait les soldats et qui est devenu l’officier d’état civil pour eux qui venait et avec quels blessĂ©s. En dĂ©but de soirĂ©e, un bus rempli de militaires est arrivĂ© au carrefour, et quand ils ont ouvert l’abri, nous avons commencĂ© Ă  sortir les corps, c’était incroyable !

Des pancartes électorales locales étaient accrochées sur les cÎtés du carrefour, sur les clÎtures. Fandel les ramassa et en couvrit les corps entassés sur les bords de la route.

Q : Tous les blessés et morts étaient-ils jeunes ?

« Oui. Des jeunes soldats. Voulez-vous que je vous dise Ă  quel point nous n’avons pas compris l’ampleur de l’évĂ©nement ? Au dĂ©but, les soldats blessĂ©s sont arrivĂ©s, et j’essayais encore de plaisanter avec eux : ‘Oh, vous 800 imbĂ©ciles [surnom du 890e bataillon de parachutistes ; auteur), si tu Ă©tais le 101e bataillon, tu aurais rĂ©ussi Ă  finir.’ Mais je n’arrivais pas Ă  les faire sourire. Je parvenais gĂ©nĂ©ralement Ă  briser la glace avec mon sens de l’humour, mais je ne voyais que des visages figĂ©s et je ne comprenais pas ce qui se passait. Un homme griĂšvement blessĂ© est arrivĂ© et a dĂ» ĂȘtre Ă©vacuĂ© avec un avion. mĂ©decin, et je l’ai accompagnĂ©. Nous sommes montĂ©s dans l’ambulance avec trois autres personnes griĂšvement blessĂ©es, l’une d’elles Ă©tait sous respirateur, et ils m’ont dit : ne nous soignez pas, soignez-le. Nous sommes arrivĂ©s au carrefour Heletz via Sderot, oĂč j’ai rencontrĂ© d’autres ambulances et un mĂ©decin qui les a Ă©vacuĂ©s vers les hĂŽpitaux. Puis je suis retournĂ© Ă  Shuva.

Q : Ne saviez-vous pas que les routes étaient pleines de terroristes ?

« Les routes Ă©taient ouvertes et les scĂšnes Ă©taient terribles. Des cadavres sur la route, des vĂ©hicules brĂ»lĂ©s, une poussette renversĂ©e, des rehausseurs jetĂ©s hors des voitures. Il y avait des vues trĂšs difficiles au carrefour de Shaar Negev. Plus bas, il y avait des blessĂ©s allongĂ©s sur la route. J’ai essayĂ© de dĂ©terminer s’ils Ă©taient les nĂŽtres ou ceux du Hamas, mais j’ai simplement dit au chauffeur de l’ambulance : « Allez, allez ». J’ai reçu des informations faisant Ă©tat d’une voiture de police qui avait Ă©tĂ© dĂ©tournĂ©e et qui roulait sur les routes, et j’ai commencĂ© Ă  comprendre un peu plus le scĂ©nario. Je suis arrivĂ©e au carrefour avec un anesthĂ©siste, je leur ai dit que nous avions une plus grande place Ă  Shuva et qu’ ils devraient s’y installer. Il Ă©tait dĂ©jĂ  16h00.

« Les premiers yeux que j’ai vus »

Gedalya est le fils du rabbin David Fandel, chef de la yeshiva Hesder Ă  Sderot, mais il n’a pas parlĂ© Ă  sa famille tout au long de la journĂ©e. « Je ne les ai pas appelĂ©s, mais j’étais trĂšs inquiĂšte. Ma belle-sƓur Ă©tait lĂ  une semaine aprĂšs avoir accouchĂ©, avec un bĂ©bĂ© que j’avais personnellement circoncis. Ils Ă©taient tous Ă  la yeshiva. Si les terroristes Ă©taient arrivĂ©s un heure plus tard, cela aurait Ă©tĂ© dĂ©sastreux. Il y aurait eu des dĂ©filĂ©s avec des familles, des poussettes et des enfants qui couraient partout. Vous vous souvenez de ce que c’était ? Cela aurait pu ĂȘtre un massacre fou. Ils ne sont mĂȘme pas arrivĂ©s Ă  la yeshiva. Je pensais qu’ils Ă©taient en vacances. Les FDI m’ont Ă©galement appelĂ© dans la journĂ©e et je leur ai dit : ‘Écoutez, il y a quoi faire ici, je n’ai aucune raison de venir vers vous.’

Fandel dĂ©crit les Ă©vĂ©nements de ce jour sanglant Ă  la premiĂšre personne, bien sĂ»r, mais il avait de nombreux partenaires pour l’aider. « Je me souviens qu’il y avait un homme sous le choc, qui Ă©tait complĂštement gelĂ©. Il me regardait et ne pouvait pas parler. Je ne savais pas quoi faire de lui. J’ai dĂ©crochĂ© le tĂ©lĂ©phone et j’ai appelĂ© mon beau-frĂšre. , qui est officier de santĂ© mentale Ă  la base de Tsahal Ir Habahadim dans le NĂ©guev, j’ai donnĂ© mon tĂ©lĂ©phone au soldat, je l’ai mis sur haut-parleur, et depuis sa maison, il a commencĂ© Ă  soigner des soldats souffrant de chocs d’obus. Il leur a dit qu’il Ă©tait trĂšs important d’essayer de les soigner le plus rapidement possible. Il leur a donnĂ© des instructions – s’asseoir sur la route, vĂ©rifier qu’il n’y avait pas de terroristes, toutes sortes de tĂąches non pertinentes. Je me souviens trĂšs bien de mon sentiment d’impuissance face Ă  cette situation. Et personne ne pouvait leur prĂȘter attention, car il y avait d’autres soldats blessĂ©s, avec des blessures qui saignaient.

Tout au long de la journĂ©e, il y avait trois Ă  quatre mĂ©decins au carrefour, dont Gedalya, l’infirmiĂšre Shira du moshav, une Ă©quipe militaire, Ihud Hatzala et des ambulanciers qui allaient et venaient en ambulance. L’ensemble de la zone Ă©tait un dĂ©cor terrible de blessĂ©s et de cadavres : une ambulance est arrivĂ©e, s’est arrĂȘtĂ©e Ă  l’entrĂ©e du moshav, a fait un tour Ă  l’intĂ©rieur de Shuva et est revenue pour trouver d’autres blessĂ©s.

Q : D’oĂč venaient les blessĂ©s ?

« De Kfar Azza, d’Alumim, des routes. Dans la soirĂ©e, diffĂ©rents types de blessĂ©s ont commencĂ© Ă  nous arriver. Maintenant, c’étaient des civils, blessĂ©s et non blessĂ©s. Je me souviens de six policiers en civil qui sont venus au carrefour; ils avaient peur. Il s’agissait de membres du personnel du ministĂšre de la DĂ©fense qui travaillaient Ă  Kfar Azza. Ils ont Ă©tĂ© enfermĂ©s dans la salle sĂ©curisĂ©e pendant toute la durĂ©e de l’évĂ©nement et ils Ă©taient trĂšs frustrĂ©s. Ils Ă©taient des combattants de haut niveau et ils n’ont pas pu sortir vers moi,  » Gedalya, tu ne comprends pas ce qui se passe lĂ -bas. Tu n’as rien ici. Tu n’est pas au courant. Obtenez plus d’équipement. Vous n’avez aucune idĂ©e de ce qui se passe lĂ -bas. ça se passe lĂ -bas
, rĂ©pĂ©ta-t-il. Tout au long de la journĂ©e, les blessĂ©s ont Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©s du carrefour en ambulance ou, en cas d’urgence, par des hĂ©licoptĂšres d’évacuation qui atterrissaient constamment dans le champ voisin.

Dans la soirĂ©e, des habitants de Beeri ont commencĂ© Ă  arriver. « Je me souviens du premier homme qui est venu, Yitzhak. RĂ©trospectivement, c’était l’évĂ©nement le plus Ă©mouvant que j’ai eu ce jour-lĂ . Il m’a dit qu’il Ă©tait de Beeri et j’ai rĂ©pondu : ‘Je suis si heureux de vous voir, j’étais sĂ»r que vous aviez tous Ă©tĂ© assassinĂ©s. Voir un citoyen quitter Beeri en bonne santĂ©, intact et sans blessure, c’était fou. Je lui ai fait un cĂąlin et donnĂ© de l’eau. Il avait 72 ans. Il est venu avec sa femme, Aliza. Ils Ă©taient tous les deux pieds nus. Ils n’avaient rien avec eux. J’ai pris l’un des gars Ă  part et je lui ai dit de les emmener chez moi. »

J’ai pris une arme à feu à l’un des morts

C’est Ă  ce moment-lĂ  que la maison de la famille Fandel est devenue un poste d’arriĂšre-garde sous le commandement de Merav. De plus en plus de survivants de Beeri affluĂšrent dans la maison ; des soldats qui avaient besoin de repos et deux enfants, peu aprĂšs que leurs parents aient Ă©tĂ© assassinĂ©s et que leur sƓur ait Ă©tĂ© prise en otage Ă  Gaza. Gedalya, qui se trouvait toujours Ă  l’entrĂ©e du moshav, a vĂ©rifiĂ© qui irait Ă  l’hĂŽpital et qui irait se reposer et rĂ©cupĂ©rer chez lui. « Une femme qui a reçu une balle dans le haut du corps est arrivĂ©e dans l’une des ambulances. Deux mois plus tard, je l’ai rencontrĂ©e dans un hĂŽtel et elle m’a dit : ‘Vous avez Ă©tĂ© les premiers yeux qui m’ont remarquĂ©, qui m’ont regardĂ© dans les yeux.’ Elle voulait accompagner son amie dans l’ambulance, mais le chauffeur a refusĂ©. Finalement, nous avons rĂ©ussi Ă  le convaincre.

« Elle m’a dit : ‘Mon mari a Ă©tĂ© tuĂ© juste devant moi et ma copine est la seule personne qui me reste. Je ne la quitte pas.' » Un peu plus tard, Sapir, enceinte de 40 semaines, et Ofir, sa fille sont venu le voir, tous deux aprĂšs ĂȘtre restĂ©s dans la piĂšce sĂ©curisĂ©e de Beeri, sans nourriture ni eau. « Elle a dit : ‘Je n’ai pas ressenti de mouvements depuis ce matin, presque 12 heures. Nous avions une demi-bouteille de Sprite pour six personnes. Je dois aller Ă  l’hĂŽpital. C’était son premier enfant et elle souffrait d’anxiĂ©tĂ©. Il y a eu une grosse dispute entre moi et l’équipe de l’ambulance. Je leur ai dit qu’elle ne partait pas et qu’elle avait besoin de chocolat et d’un lit chaud. »

Q : En fait, pourquoi ne pas l’évacuer ?

« Elle Ă©tait en bonne santĂ© et j’ai compris ce qui se passait dans les hĂŽpitaux Ă  ce moment-lĂ . Il y avait une surcharge et des scĂšnes difficiles. Elle Ă©tait dĂ©jĂ  dans l’ambulance quand je lui ai dit que si elle Ă©tait ma femme, c’est ce que je lui proposerais. Elle est immĂ©diatement sortie de l’ambulance et je les ai envoyĂ©s chez moi. Mes quatre enfants ont Ă©tĂ© formidables et ont aidĂ© Merav Ă  soigner tous ceux qui sont venus lĂ -bas. Ils ont servi de l’eau et de la nourriture que nous avions prĂ©parĂ©es pour Simchat Torah. Deux soldats dont le vĂ©hicule a Ă©galement Ă©tĂ© touchĂ©. Ils Ă©taient fondamentalement dysfonctionnels et ont dormi chez nous pendant trois ou quatre nuits jusqu’à ce qu’ils reprennent leurs forces. » Sapir et Ofir eurent plus tard une fille qu’ils appelĂšrent Arbel. Nos deux familles, dont les destins Ă©taient liĂ©s, sont devenues amies, tout comme nous l’avons fait avec Yitzhak et Aliza.

Plus tard dans la soirĂ©e, la journaliste Ilana Curiel s’est rendue au carrefour de Shuva avec les deux enfants de la famille Idan, qui ont Ă©tĂ© tĂ©moins du meurtre de leurs parents. Un Ă©pisode du documentaire tĂ©lĂ©visĂ© Uvda raconte leurs expĂ©riences ce jour-lĂ , mais ici, pour la premiĂšre fois, Gedalya dĂ©crit ce qui s’est passĂ© pendant leurs premiĂšres heures au domicile de sa famille. « Quelque temps plus tard, deux adorables enfants, Michael, 9 ans, et Amalia, 6 ans, sont venus me voir Ă  l’intersection, avec Ilana Curiel. Je suis montĂ© dans la voiture et leur ai demandĂ© : « Comment vas-tu ? » Ils ont dit : « Nous avons faim ». J’ai immĂ©diatement criĂ© : « Apportez des bonbons ! J’ai Ă©galement demandĂ© Ă  Ilana si elle savait s’ils avaient droit aux bonbons la nuit.

« Mais ensuite ils ont dit : ‘Nous avons faim. Nous n’avons pas dĂźnĂ© parce que notre mĂšre et notre pĂšre sont morts, et nous ne savons pas comment prĂ©parer le dĂźner nous-mĂȘmes. Nous Ă©tions censĂ©s aller chez grand-mĂšre et grand-pĂšre, mais notre Maman et papa sont morts et nous ne savons pas conduire », se souvient-il en retenant ses larmes. « C’était la premiĂšre fois que je pleurais ce jour-lĂ . Je les ai Ă©galement envoyĂ©s voir Merav et les enfants. J’ai pensĂ© que c’était une bonne dĂ©cision de ne pas voyager sur les routes et que ce serait bien pour eux de rencontrer d’autres enfants. La robe d’Amalia Ă©tait totalement tachĂ©e de sang.

« Quand ils sont arrivĂ©s chez nous, les enfants Ă©taient sĂ»rs que leur sƓur Avigail avait Ă©tĂ© tuĂ©e. Ils sont entrĂ©s dans la piĂšce sĂ©curisĂ©e . Avec un autre voisin venu les aider, nos enfants leur ont fait raconter l’histoire encore et encore parce que c’est ce qui se passait. À ce jour, ils ne peuvent plus l’entendre. Mais en temps rĂ©el, les adultes jouaient au rami et aux cartes avec eux, et ma fille Ahava a mis du vernis sur les ongles d’Amalia. Mes enfants se souviennent qu’ils ne savaient pas quoi faire quand ils leur ont demandĂ© s’ils voulaient du pain grillĂ© ou des boulettes de viande (en termes de cashrout ), et Amelia a rĂ©pondu qu’elle voulait du pain grillĂ© avec des boulettes de viande.

Gedaliah s’en souvient rapidement et je suis entraĂźnĂ© dans l’histoire d’une famille qui est devenue des hĂ©ros israĂ©liens lors du massacre de cette journĂ©e noire. Il complĂšte les dĂ©tails manquants au fil des heures qui passent, jusqu’à ce que l’oncle des enfants vienne les chercher. « Nous avons rapidement envoyĂ© des messages aux groupes moshav disant que nous recherchions la plus belle robe car Ilana a dit qu’Amalia ne porterait rien de moins que parfait. Nous avons apportĂ© une robe des voisins qui lui plaisait, des vĂȘtements pour Michael et des chaussures pour Yitzhak, 72 ans, et sa femme. Nous avons amenĂ© quelqu’un pour parler Ă  Sapir, qui Ă©tait enceinte, Michael et Amelia sont partis d’ici pendant la nuit, et les deux couples sont restĂ©s avec nous jusqu’au matin.

Ce n’est que vers 1h00 du matin que le personnel mĂ©dical du carrefour a commencĂ© Ă  sentir que la pression diminuait, et Gedalya et un autre mĂ©decin nommĂ© Shlomo sont allĂ©s aider Ă  Be’eri. Ce mĂ©decin n’avait dĂ©jĂ  plus l’arme empruntĂ©e. « Nous sommes arrivĂ©s Ă  Beeri, et lĂ  le dĂ©sastre a continuĂ© – des blessĂ©s sortaient des maisons et des coups de feu tout le temps. Nous avons Ă©vacuĂ© les blessĂ©s et avons ramenĂ© deux cadavres de soldats. Juste avant cela, l’armĂ©e m’a reprochĂ© de me promener dans les environs sans gilet pare-balles ni arme. J’ai pris une arme Ă  feu Ă  l’un des morts. J’ai utilisĂ© cette mĂȘme arme pendant mon service de rĂ©serve Ă  Gaza, pendant prĂšs de 150 jours.

« De lĂ , nous sommes retournĂ©s Ă  Shuva, et des cadavres et des blessĂ©s ont continuĂ© Ă  arriver, ainsi que des hĂ©licoptĂšres pour les Ă©vacuer. J’ai vu qu’Ihud Hatzala avait commencĂ© Ă  fermer les portes et j’ai demandĂ© Ă  Shlomo oĂč il allait. Je ne savais pas ce qui allait arriver. Il m’a dit que l’armĂ©e Ă©tait partie et qu’ils ne pouvaient pas rester sans armĂ©e. Il Ă©tait 02h30 du matin et j’ai dĂ©cidĂ© de regarder.  Quelqu’un a dit qu’il y avait beaucoup de soldats au carrefour de Sa’ad. J’ai cherchĂ© le commandant adjoint de la brigade, j’étais trĂšs en colĂšre et je lui ai criĂ© : « Vous m’avez amenĂ© les blessĂ©s et vous ĂȘtes parti, je ne peux pas travailler comme ça. Il m’a dit que si je trouvais un endroit oĂč il n’y avait aucun risque d’ĂȘtre Ă©crasĂ© et oĂč il y avait un endroit oĂč se cacher des Qassams, sans ĂȘtre exposĂ© aux yeux du public, il enverrait une force.

Gedalya Ă©tait debout, fonctionnant pendant des heures et des heures, jusqu’à dimanche matin, grĂące Ă  ce qu’il appelle « l’hyperactivitĂ© », qui lui a Ă©galement Ă©tĂ© trĂšs utile Ă  Gaza pendant les premiĂšres semaines de la guerre. Il a utilisĂ© cette Ă©nergie innĂ©e au milieu de la nuit pour transfĂ©rer des civiĂšres et du matĂ©riel mĂ©dical, mais aussi pour apporter du cafĂ© et des gĂąteaux, contribution des rĂ©sidents locaux, sur la route intĂ©rieure menant au moshav, oĂč se trouve aujourd’hui une station fournissant de la nourriture et boisson pour les soldats allant et revenant de Gaza. Peu de temps aprĂšs, les forces militaires sont arrivĂ©es et avec elles les volontaires d’Ihud Hatzala.

En passant devant le carrefour, aprĂšs que Gedalya m’a montrĂ© la tranchĂ©e oĂč l’on a dĂ©posĂ© les assassinĂ©s et l’endroit oĂč les civiĂšres pour les dizaines de blessĂ©s ont Ă©tĂ© placĂ©es pendant des heures le 7 octobre, nous passons Ă©galement devant le poste de distribution de nourriture et de boissons aux soldats. Il ne reste plus rien des urgences, des civiĂšres et des images des cadavres, mais il promet d’établir un lieu commĂ©moratif pour ceux qui ont Ă©tĂ© assassinĂ©s, et en mĂ©moire des opĂ©rations de sauvetage qui y ont Ă©tĂ© menĂ©es pour les nombreux dont la vie a Ă©tĂ© sauvĂ©e.

Q : Voyez-vous la situation de l’extĂ©rieur pendant votre journĂ©e de travail ?

« Non. Tout le monde dit que j’ai besoin d’une thĂ©rapie et Ă  ce jour, je n’ai pas eu le temps de traiter ce que j’ai vĂ©cu. Je dis que je ne l’ai pas vĂ©cu, et c’est ennuyeux de dire ça. Peut-ĂȘtre que ce n’est pas vrai non plus. J’ai arrĂȘtĂ© de venir et les routes sont devenues plus sĂ»res. Je suis rentrĂ© Ă  la maison et tout le monde Ă©tait dans le salon. « Merav a emballĂ© quelques affaires et nous sommes partis. Tout le monde est montĂ© dans notre voiture – Sapir et Ofir, Yitzhak et Aliza, quatre enfants, Merav et Sushi le chien. Yahel, 11 ans, a prĂ©parĂ© lui-mĂȘme une trousse d’hĂŽpital pour Sapir. »

Et maintenant, Ă  Gaza

09h00, dimanche 8 octobre. La famille Fandel et les survivants de Be’eri sont partis pour Timna. En chemin, le tĂ©lĂ©phone de Gedalya a sonnĂ© : « Ils m’ont dit : « Gedalya, je comprends que tu Ă©tais responsable du carrefour. Vous avez laissĂ© des corps ici. Que fait-on avec eux ? C’était surrĂ©aliste. J’ai dit : ‘Appelle Zaka ? Comment devrais-je le savoir ? J’ai mĂȘme appelĂ© le rabbinat militaire par la suite pour savoir. » Ils ont dĂ©posĂ© leurs compagnons de voyage Ă  la gare de Beer Sheva, et ont procĂ©dĂ© Ă  l’accueil particuliĂšrement chaleureux qui les attendait Ă  Timna. Gedalya, en tant que membre de la premiĂšre rĂ©ponse Ă©quipe, avait l’intention de retourner Ă  Shuva, pas avant de charger sa voiture de nourriture, gracieusetĂ© du kibboutz, qui envoyait de la nourriture aux soldats qu’il rencontrerait en chemin.

« Je suis restĂ© ici jusqu’à ce que je sois enrĂŽlĂ©, et je surveillais du toit avec un Ă©quipement de vision nocturne que j’avais reçu de l’armĂ©e. J’ai dormi ici sur le toit la nuit. Je n’avais pas eu l’occasion de m’asseoir et de tout traiter jusqu’à ce jour, mĂȘme Merav ne sait pas ce qui s’est passĂ©. AprĂšs cela, quand je revenais occasionnellement de Gaza et que je regardais les histoires Ă  la tĂ©lĂ©vision, je disais : « Quelle est mon histoire par rapport Ă  la leur ? nous Ă©tions vraiment en « mode survie » et nous n’avions pas le temps de parler. Ensuite, j’ai participĂ© Ă  un cours de mĂ©decin militaire de deux jours et je suis allĂ© Ă  Gaza. »

« Il y avait une femme ĂągĂ©e que nous avons reconnue Ă  l’entrĂ©e d’une Ă©cole de l’UNRWA – une sacrĂ©e Ă©cole – qui Ă©tait assise en face de nous. Nous avons fait un couloir humanitaire et sa famille l’a laissĂ©e derriĂšre. Nous lui avons apportĂ© de la nourriture, de l’eau, un matelas et des couvertures – et ils l’ont emmenĂ©e.

Comme si les premiĂšres semaines n’étaient pas assez intenses, Gedalya s’est prĂ©cipitĂ©e dans la bataille dans la bande de Gaza. « J’ai demandĂ© Ă  entrer, Ă  ĂȘtre Ă  l’intĂ©rieur autant que possible. On m’a proposĂ© un char Golani Merkava et j’ai dit que ce n’était pas suffisant. J’ai Ă©tĂ© envoyĂ© dans des chars. J’ai vu le char. C’est presque impossible d’ĂȘtre dans un char.  »

À cette Ă©poque, en tant que soldat de rĂ©serve, Gedalya m’envoyait des vidĂ©os le montrant en train d’aider les personnes ĂągĂ©es de la bande de Gaza. Et mĂȘme si je suis mĂ©content de sa gentillesse envers une population qui a glorifiĂ© nos meurtriers ce Shabbat, c’est lui, en particulier, qui a connu de prĂšs les consĂ©quences du mal, et qui refuse toujours de renoncer Ă  sa compassion. «Lorsqu’il y avait un autre couloir humanitaire, l’officier de brigade ne m’a pas permis de traverser une route principale trĂšs ouverte aux tireurs d’élite, mais j’ai insistĂ©.  »

Plus tard, Gedalya passa devant les ruines d’une maison avec des corps en dessous. « J’ai demandĂ© d’essayer de les sauver, et quand j’ai demandĂ© cela, j’ai commencĂ© Ă  pleurer. Le commandant de la brigade a dit : « Gardez votre misĂ©ricorde et vos Ă©motions pour nous. Mais voir des petits enfants portant des pots, des enfants plus petits dans le couloir humanitaire, et un garçon de deux ans qui ne voulait pas continuer Ă  marcher
 J’ai pleurĂ© lĂ  aussi.

« Les premiers jours de combat ont Ă©tĂ© les plus intenses. Le commandant de la compagnie a Ă©tĂ© touchĂ© par un Ă©clat d’obus qui lui a pĂ©nĂ©trĂ© la mĂąchoire. En trente secondes, nous Ă©tions Ă  cĂŽtĂ© de lui et un autre soldat a rĂ©ussi Ă  le tirer dans le char. Je lui ai donnĂ© les premiers soins. Ensuite, il y a eu un autre obus de mortier, avec Yedidya Eliyahu qui a Ă©tĂ© tuĂ© et deux soldats blessĂ©s de l’unitĂ© du gĂ©nie que nous avons soignĂ©. À un moment donnĂ©, lorsque nous sommes arrivĂ©s Ă  Khan Yunis, le commandant de la brigade s’est rendu compte que j’étais hyperactif. Il y a deux options : soit vous commencez Ă  vous blesser, soit vous me chargez de faire plus d’activitĂ©s. »

Q : N’y a-t-il pas eu un moment oĂč Merav vous a dit : « Allez, rentre chez toi », ou plutĂŽt Ă  l’hĂŽtel ?

« Tout le temps. Mais ensuite, chaque fois, juste avant que j’étais sur le point de quitter Gaza, elle m’appelait et me disait : ‘Continuez. Nous pouvons nous en sortir.' »

Gedalya souhaite que l’histoire du carrefour et du sauvetage fasse partie de l’hĂ©ritage de bataille des communautĂ©s Otef : « Tout comme les gens viennent entendre l’histoire de Beeri et de Sderot, nous devons tous connaĂźtre l’histoire du carrefour de Shuva. » Cette interview est la premiĂšre Ă©tape, et dans les mois Ă  venir, il continuera Ă  diffuser son histoire personnelle et celle des autres personnes qui ont participĂ© au sauvetage de tant de personnes lors de ce Shabbat, afin de l’incorporer dans le patrimoine israĂ©lien.

L’étendue de l’optimisme de Gedalya Ă  l’égard de l’Otef peut ĂȘtre apprise du fait qu’avant notre sĂ©paration, il essayait encore de me convaincre de dĂ©mĂ©nager dans ce lieu magique, oĂč les oiseaux revenaient gazouiller, oĂč la floraison Ă©tait Ă  son apogĂ©e – et le silence reviendra, encore une fois pour y habiter.


RĂ©daction francophone Infos Israel News pour l’actualitĂ© israĂ©lienne
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