Israël en état d’urgence permanent : ce que cela signifie vraiment pour la démocratie et le quotidien des citoyens

Depuis sa création, Israël vit dans une situation juridique exceptionnelle : un état d’urgence permanent, reconduit année après année depuis 1948, et dont les implications touchent aussi bien le fonctionnement des institutions que les libertés individuelles. Alors que la situation sécuritaire reste fragile malgré la récente cessation des hostilités à Gaza, la classe politique et les médias rappellent régulièrement que le pays se tient en permanence sur une ligne de crête. Mais au-delà du discours, que signifie réellement cet état d’urgence, en quoi consiste-t-il, et que se passerait-il si un jour la Knesset décidait de le lever ?

L’état d’urgence, en Israël comme ailleurs, permet au pouvoir exécutif d’agir plus rapidement que dans les conditions normales du processus législatif. Comme l’explique le professeur Ali Zaltsberger, spécialiste du droit en situations d’exception, il s’agit d’un transfert temporaire de capacités législatives de la Knesset vers le gouvernement, afin de faire face à une menace : guerre, terrorisme, tremblement de terre, inondation ou crise économique majeure. Cette philosophie de concentration des pouvoirs dans des moments critiques remonte à l’Antiquité : dans la République romaine, un dictateur était nommé pour une durée limitée afin de gérer une crise.

Au fil de l’histoire, les abus de ce mécanisme ont toutefois conduit de nombreux pays à encadrer strictement cet outil. L’exemple le plus marquant demeure celui de la République de Weimar : Hitler utilisa les pouvoirs d’urgence pour démanteler les institutions démocratiques. Depuis, de nombreuses constitutions exigent qu’aucun dirigeant ne puisse déclarer seul l’état d’urgence.

En Israël, qui ne possède pas de constitution formelle, ce dispositif est défini dans la Loi fondamentale : le Gouvernement. Celle-ci charge la Knesset de proclamer l’état d’urgence et autorise le gouvernement à adopter des règlements d’urgence. Ces règlements ont un pouvoir exceptionnel : ils peuvent modifier des lois, suspendre temporairement leur application ou instaurer de nouvelles obligations, y compris fiscales, à condition de ne pas violer des lois fondamentales telles que celle sur la dignité humaine et la liberté.

En pratique, ces règlements expirent après trois mois sauf renouvellement, et l’état d’urgence lui-même doit être reconduit chaque année. Pourtant, depuis 1948, il n’a jamais été interrompu, ce qui fait d’Israël un cas unique parmi les démocraties modernes. Comme le rappelle le Dr Amir Fuchs de l’Institut israélien pour la démocratie, le pays se trouve ainsi depuis des décennies dans une situation paradoxale : un état d’urgence devenu routine.

Ce statut maintient en vigueur plusieurs lois essentielles qui cesseraient d’exister s’il était levé, notamment celles relatives à la détention administrative ou au contrôle des produits et services stratégiques. L’État reconnaît lui-même, dans une réponse fournie à la Cour suprême en 1999, que la pérennité de ces lois dépend du maintien de l’état d’urgence jusqu’à leur réexamen ou leur intégration dans la législation régulière. Un vaste projet entrepris par le ministère de la Justice a permis d’en réduire le nombre, mais il n’est pas achevé.

Si l’état d’urgence donne au gouvernement des pouvoirs élargis, il n’est pas sans limites. Depuis les années 1990, plusieurs décisions de la Cour suprême ont restreint son usage abusif. Ainsi, elle a censuré l’utilisation de règlements d’urgence pour accélérer des procédures de construction destinées à accueillir des immigrants, estimant que la Knesset pouvait légiférer elle-même dans un délai raisonnable. Elle a également invalidé des mesures visant à contourner les règles électorales sous prétexte de tensions administratives. Ces décisions ont établi un principe : l’état d’urgence ne peut servir que lorsqu’il répond à une menace réelle et immédiate, non pour pallier un blocage politique ou administratif.

La crise du Covid-19 a toutefois ravivé l’usage intensif des règlements d’urgence, avant que la législation spécifique dite “loi du coronavirus” ne reprenne le relais. Ce retour soudain à des mécanismes exceptionnels montre la fragilité d’un système où l’état d’urgence permanent rend indispensable la création de nouveaux sous-états d’urgence : “situation spéciale à l’arrière”, “événement de catastrophe de masse”, etc. En d’autres termes, le caractère routinier de l’état d’urgence a paradoxalement affaibli son sens originel.

Israël se trouve ainsi dans un équilibre délicat : maintenir un cadre juridique permettant de répondre à des menaces réelles, tout en évitant que ces outils ne deviennent une alternative commode à la législation régulière. Tant que les lois dépendantes de l’état d’urgence n’auront pas été entièrement normalisées, il restera difficile d’y renoncer. Mais la question demeure : un pays exposé en permanence à la guerre, au terrorisme ou à des crises régionales peut-il réellement se passer d’un mécanisme pensé pour l’exception, mais devenu, avec le temps, la règle ?


🔗 Liens internes Infos-Israel.News

🔗 Source externe fiable

https://www.globes.co.il (Globes – article d’origine)

 


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
© 2025 – Tous droits réservés