L’industrie israélienne de la haute technologie traverse une phase de mutation. Les données publiées à l’issue du troisième trimestre 2025 par Startup Nation Central (SNC) et croisées avec celles de LeumiTech et d’IVC brossent un tableau contrasté. D’un côté, une baisse marquée du nombre de levées de fonds et un recentrage sur un petit nombre de sociétés, essentiellement dans la cybersécurité et l’intelligence artificielle. De l’autre, une effervescence inédite du marché des fusions et acquisitions, portée par des transactions colossales.
Selon Avi Hasson, directeur général de SNC, « nous sommes face à un marché en période de transition ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes : seulement 141 tours de table entre juillet et septembre, soit une baisse de 24 % par rapport au trimestre précédent et de 38 % par rapport à la même période en 2024. Même en termes de montants, le recul est net : hors l’opération exceptionnelle de Safe Superintelligence, fondée par l’ancien co-créateur d’OpenAI Ilya Sutskever, les start-up israéliennes n’ont levé que 2,4 milliards de dollars sur le trimestre.
Moins de deals, plus d’argent concentré
La tendance générale souligne un paradoxe : moins de transactions, mais davantage de capitaux concentrés sur quelques acteurs triés sur le volet. « Si l’on observe les neuf premiers mois de 2025, on constate une baisse de 22 % du nombre de tours de financement mais une hausse de 13 % des montants investis. Autrement dit, un peu plus d’argent qui se répartit entre moins de sociétés », explique Hasson.
Les investisseurs se montrent plus sélectifs, préférant renforcer leurs positions dans des entreprises déjà soutenues plutôt que de parier sur de nouveaux entrants. Une attitude prudente qui s’explique par l’incertitude économique mondiale, mais aussi par la guerre en cours qui a fragilisé l’écosystème israélien. Les jeunes pousses doivent donc se battre pour capter l’attention, et beaucoup échouent à franchir le premier seuil de financement.
Lueur d’espoir pour les start-up émergentes
Pourtant, tout n’est pas sombre. SNC relève que les fonds levés par les jeunes sociétés aux premiers stades de développement ont augmenté de 43 % au troisième trimestre, atteignant environ 1 milliard de dollars. Une dynamique qui s’explique par des tours de financement plus conséquents, surtout en série A. Reste à savoir si cette embellie constitue un début de tendance ou un simple sursaut ponctuel.
À l’inverse, l’analyse de LeumiTech et d’IVC nuance cette lecture optimiste : certes, davantage de jeunes entreprises ont obtenu du capital, mais dans des volumes beaucoup plus modestes. Pour Guy Holtzman, président d’IVC, « les investisseurs de capital-risque cherchent avant tout à limiter la dispersion de leurs fonds. Cela n’est pas propre à Israël : on observe le même phénomène aux États-Unis ».
Cyber et IA raflent la mise
La concentration sectorielle est encore plus flagrante. Près de 40 % des investissements réalisés entre juillet et septembre se sont dirigés vers des entreprises de cybersécurité. En ajoutant l’intelligence artificielle, ce sont 60 % du capital privé injecté dans le high-tech israélien qui se retrouvent dans ces deux secteurs. Les autres domaines, tels que l’agritech ou la santé numérique, peinent à lever des fonds significatifs.
Ce déséquilibre pose une question stratégique : le modèle israélien, longtemps salué pour sa diversité d’innovations, ne risque-t-il pas de se refermer sur quelques créneaux phares ? Certes, la cybersécurité est une spécialité israélienne reconnue à l’échelle mondiale, mais délaisser d’autres filières pourrait fragiliser la résilience globale de l’écosystème.
Fusions et acquisitions en plein essor
Paradoxalement, si les financements directs ralentissent, les transactions de fusion-acquisition atteignent des sommets. Rien que sur le troisième trimestre 2025, leur valeur totale s’élève à 31,8 milliards de dollars, dopée par l’énorme rachat de CyberArk par Palo Alto Networks pour 25 milliards de dollars.
Ces opérations témoignent d’un intérêt stratégique fort de la part de grands groupes internationaux qui cherchent à intégrer le savoir-faire israélien. Elles confirment aussi la vitalité d’un marché où l’innovation reste un produit d’exportation prisé, même si les jeunes sociétés locales peinent parfois à se maintenir indépendantes à long terme.
Les investisseurs étrangers toujours présents
Un autre enseignement marquant réside dans la fidélité des investisseurs étrangers. Selon SNC, ils représentent encore 57 % de l’ensemble des acteurs du capital-risque en Israël, un taux stable malgré les turbulences. Toutefois, le nombre total d’investisseurs a chuté de 20 %, au plus bas depuis début 2024. Cela illustre un paradoxe : l’intérêt international pour l’innovation israélienne demeure fort, mais il se concentre entre moins de mains.
Cette dépendance est cependant source d’inquiétude. Le rapport annuel 2024 du Conseil national pour la recherche et le développement (MOLMOP) rappelle que plus de la moitié du financement de la R&D israélienne provient de capitaux étrangers, contre seulement 2 % issus de financements publics. Une vulnérabilité qui pourrait peser lourd en cas de retrait ou de désengagement des investisseurs internationaux.
Entre inquiétudes et opportunités
Pour Hasson, le trimestre écoulé reflète un « marché en transition ». Moins de cash pour les nouveaux entrants, mais des tickets plus élevés pour les champions existants. Moins de diversité, mais une affirmation encore plus forte des piliers stratégiques que sont la cybersécurité et l’IA. Moins d’investisseurs, mais des partenaires étrangers qui continuent de croire dans le « miracle israélien ».
Le Premier ministre lui-même, dans son récent « discours de Sparte », a mis en avant la capacité d’Israël à mobiliser des financements extérieurs comme une force. Mais les experts soulignent qu’une telle dépendance pourrait freiner la croissance à long terme, surtout dans un climat géopolitique où les alliances peuvent se fragiliser rapidement.
L’avenir du high-tech israélien se jouera donc sur un équilibre délicat : préserver la confiance des investisseurs étrangers tout en renforçant les bases locales, diversifier les secteurs financés au-delà du cyber et de l’IA, et donner une chance aux start-up émergentes malgré la prudence accrue des capitaux-risqueurs.
Dans un monde marqué par l’instabilité et la compétition technologique globale, le « passage à vide » que connaît l’écosystème israélien pourrait bien se révéler une opportunité de restructuration. Mais il faudra pour cela des choix stratégiques clairs, une vision politique cohérente, et un engagement fort pour maintenir Israël en tête de l’innovation mondiale.
Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
© 2025 – Tous droits réservés