Israël-Qatar : la frappe ratée qui a tout changé

L’histoire retiendra peut-être cet épisode comme l’un des paradoxes de la guerre de Gaza : une frappe israélienne manquée, des dirigeants du Hamas indemnes — mais un accord soudainement débloqué. Dans les coulisses, ce fiasco militaire apparent s’est transformé en levier diplomatique inattendu.

Au petit matin, après une nuit de discussions fiévreuses, le président israélien, encore engourdi de fatigue, donna son feu vert. La frappe eut lieu. Les cibles, elles, disparurent dans la brume du désert. Jusqu’à aujourd’hui, personne ne sait vraiment comment les hauts responsables du Hamas ont échappé à la mort. Mais une chose est certaine : cette attaque manquée a accéléré le processus de négociation. Certains à Jérusalem l’ont baptisée « l’assassinat raté le plus réussi de l’histoire ».

Le « spoiler » du Golfe

Pour Ron Dermer, ministre proche de Benyamin Netanyahou et négociateur chevronné, le lien entre la frappe et l’accord est indiscutable, mais l’interprétation diverge. Selon lui, c’est moins la peur que la colère du Qatar qui a tout déclenché.

Les dirigeants de Doha avaient cru que leur rôle d’hôtes des pourparlers leur conférait une forme d’immunité. Quand les bombes israéliennes ont frôlé leur zone d’influence, ils y ont vu une humiliation personnelle. Dans les capitales occidentales, on appelle le Qatar un broker. À Jérusalem, on le surnomme plutôt « l’État saboteur ». Car s’il échoue souvent à construire la paix, il excelle à détruire celle des autres. Les responsables israéliens rappellent ainsi comment Doha avait torpillé le printemps précédent un accord en gestation avec l’Égypte pour la libération des otages.

« Le Qatar est un pays complexe », a résumé récemment Netanyahou. Complexe, et divisé. D’un côté, la mère et le frère de l’émir, fervents partisans des Frères musulmans et farouches ennemis d’Israël ; de l’autre, le Premier ministre et quelques hauts fonctionnaires cherchant à renforcer leurs liens avec Washington.

Le tournant du printemps

Au mois d’avril, un changement de ton a été perçu dans les palais de Doha. L’alliance avec les États-Unis s’est consolidée, tandis que le Hamas, longtemps choyé, est devenu un fardeau encombrant. Les États arabes, eux, ont accouru à la conférence de l’émir, partagés entre la colère envers Israël et la crainte d’un Moyen-Orient dominé par Tsahal.

L’habileté américaine a été de transformer cette hostilité en moteur diplomatique. « Vous voulez qu’Israël arrête ? » ont glissé les émissaires américains. « Alors aidez-nous à en finir avec le Hamas. » De là est née une coalition improbable : une promesse pan-arabe, presque pan-musulmane, de neutraliser le mouvement islamiste.

Dermer rédigea une lettre d’excuses officielle pour la mort d’un officier qatari survenue durant la frappe. Doha répondit en signe d’apaisement : les journalistes d’Al-Jazeera, jusque-là d’une virulence extrême, reçurent l’ordre de « baisser le ton ».

Un cadre nouveau — sans l’Autorité palestinienne

L’exploit n’a pas seulement consisté à réunir des États arabes hostiles autour d’un objectif commun : il a abouti à un plan qui, pour la première fois, contourne l’Autorité palestinienne. C’est cette absence qui avait bloqué la participation des Émirats arabes unis un an et demi plus tôt.

Dans cette nouvelle architecture, Gaza n’est plus administrée par le Fatah, mais par un cadre arabo-international provisoire. L’Autorité palestinienne, usée et déconsidérée, a fini par accepter : sa haine du Hamas dépassait tout.

Le « deux États » redéfini

« Oui, il y aura une solution à deux États », a affirmé cette semaine Ron Dermer. « Mais pas entre le Jourdain et la mer : à l’intérieur même de la bande de Gaza. »

L’idée est déroutante : tant que le Hamas refusera de déposer les armes, la reconstruction ne concernera que la moitié du territoire, celle désormais sous contrôle israélien. L’autre moitié restera livrée à la misère et à la loi des milices. Le calcul est cynique mais lucide : ce que deux années de guerre n’ont pas pu imposer, les dynamiques économiques le feront. Les Gazaouis choisiront où vivre : dans les ruines sous la botte islamiste, ou dans des zones reconstruites, avec école émiratie et logement préfabriqué pour chaque famille.

Les Américains y voient une étape transitoire avant le désarmement du Hamas. Les Israéliens, eux, en doutent.

L’éternel scepticisme israélien

Lors d’une conversation tendue, le chef d’état-major Eyal Zamir lança : « Expliquez-moi comment votre force multinationale, composée de quelques compagnies, réagit quand elle tombe sur un tunnel plein de combattants du Hamas. Qui prend les armes ? Et que se passe-t-il s’ils refusent ? »

Les Américains répliquèrent calmement : « Vous ne croyiez pas non plus que la première phase verrait le jour. Ayez un peu de foi pour la suivante. »

Une foi — ce mot même que Dermer et ses interlocuteurs israéliens portaient sur leurs insignes, côte à côte avec le drapeau américain.

Dans cette convergence entre pragmatisme stratégique et croyance en un avenir possible, Israël trace une nouvelle ligne : celle d’une paix qui ne repose plus sur des promesses de conférences internationales, mais sur la transformation graduelle du terrain — une paix façonnée non par des signatures, mais par des choix.


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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