Dans un entretien accordé à L’Opinion, Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l’antisémitisme (LBCA), dresse un constat implacable : l’avenir des Juifs en Belgique est compromis. Face à la montée des agressions, des insultes et d’un climat délétère dans le royaume, il redoute que sa génération soit « la dernière à vivre en Belgique ». Une alerte qui résonne comme un signal d’urgence pour toute l’Europe.
La peur au quotidien
La communauté juive de Belgique, déjà réduite en nombre, vit sous tension permanente. À Bruxelles comme à Anvers, les Juifs pratiquants préfèrent se dissimuler. Le grand rabbin de Bruxelles, Albert Guigui, sort désormais coiffé d’une casquette plutôt que de sa kippa, par crainte d’agressions. Cette invisibilité forcée illustre le climat pesant qui s’est installé.
Les incidents sont multiples : insultes, menaces, agressions physiques. Un écrivain, Herman Brusselmans, a récemment choqué en écrivant son « envie d’enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque juif » qu’il croiserait. Le tribunal de Gand l’a pourtant acquitté, estimant que ses propos ne constituaient pas une infraction. Pour Joël Rubinfeld, ce jugement résume l’impunité dont bénéficie désormais l’antisémitisme dans son pays.
Un antisémitisme banalisé
« Nous assistons à une banalisation inquiétante », alerte le président de la LBCA. « Les actes et propos antisémites ne suscitent plus la réaction ferme qui s’impose. Ils sont relativisés, excusés, minimisés au nom de la liberté d’expression. »
Cette tolérance à l’égard des discours de haine renforce le sentiment d’abandon chez les Juifs belges. Selon Rubinfeld, l’antisémitisme ne provient pas d’un seul camp. Il prend racine dans trois sources distinctes : l’extrême droite identitaire, l’extrême gauche radicale et les milieux islamistes. Ces trois mouvances, pourtant antagonistes, convergent dans une même obsession : le rejet des Juifs et d’Israël.
Un climat politique ambigu
Pour Rubinfeld, le rôle des autorités belges est en cause. Si la police assure une protection ponctuelle des synagogues et des écoles, l’État peine à envoyer des signaux clairs. « On condamne du bout des lèvres, mais sans actes à la hauteur. Les Juifs de Belgique ne se sentent plus protégés. »
La montée en puissance des partis populistes, mais aussi l’influence croissante de groupes pro-palestiniens radicalisés, contribuent à alimenter un climat de défiance. À chaque flambée de violence au Moyen-Orient, la Belgique voit se multiplier des manifestations hostiles à Israël où se glissent des slogans antisémites.
Une diaspora sur le départ
Cette atmosphère pousse de nombreux Juifs belges à envisager l’exil. Israël reste la première destination, via l’Alya, mais certains choisissent aussi la France, le Canada ou les États-Unis. « Nous assistons à un exode silencieux », regrette Rubinfeld. « Des familles entières partent, incapables de voir un avenir pour leurs enfants ici. »
Le constat est implacable : la population juive de Belgique est passée de 60 000 personnes dans les années 1970 à environ 30 000 aujourd’hui. À Bruxelles, certaines écoles juives ferment des classes faute d’élèves. « Nous sommes probablement la dernière génération juive à vivre en Belgique », affirme Rubinfeld avec gravité.
La comparaison avec la France
La situation en Belgique fait écho à celle de la France, où les actes antisémites explosent depuis le 7 octobre 2023. Mais selon Rubinfeld, il existe une différence majeure : en France, malgré leurs limites, les autorités ont mis en place une réponse institutionnelle avec le plan Vigipirate, la présence de militaires devant les écoles juives et des sanctions judiciaires plus fréquentes. En Belgique, dit-il, « nous en sommes loin. Les actes antisémites sont trop souvent ignorés ou jugés mineurs ».
Israël, un refuge mais aussi un repère moral
Derrière son constat sombre, Joël Rubinfeld exprime aussi une conviction : Israël demeure la seule garantie de survie du peuple juif. « L’État d’Israël n’est pas seulement un refuge, il est l’assurance que nous ne serons jamais à nouveau sans défense. »
Ses propos rejoignent ceux de nombreux intellectuels juifs européens, qui estiment que la diaspora en Europe occidentale est entrée dans une phase de déclin irréversible. Pour eux, la montée de l’antisémitisme n’est pas seulement un phénomène sécuritaire, mais une remise en cause existentielle de la place des Juifs dans les sociétés européennes.
Une alerte pour toute l’Europe
L’avertissement lancé par Rubinfeld dépasse les frontières belges. En Allemagne, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et bien sûr en France, les mêmes symptômes apparaissent : dissimulation des signes religieux, multiplication des attaques, indifférence d’une partie des élites politiques.
L’Union européenne aime se présenter comme un espace de tolérance et de diversité, mais l’antisémitisme y prospère à nouveau, sous des formes multiples. Pour Israël, cette évolution confirme une leçon historique : la sécurité du peuple juif ne peut jamais être laissée aux seules promesses des démocraties européennes.
Conclusion : un cri d’alarme
Joël Rubinfeld ne mâche pas ses mots : « Nous sommes probablement la dernière génération juive à vivre en Belgique. » Ce cri d’alarme illustre la gravité d’une situation qui ne cesse de s’aggraver. Face à la banalisation de l’antisémitisme et à l’indifférence politique, de nombreux Juifs belges choisissent l’exil, laissant présager la fin d’une histoire séculaire.
Plus qu’une analyse, c’est un avertissement : si la Belgique, et plus largement l’Europe, ne réagissent pas, elles assisteront à la disparition progressive de leurs communautés juives. Et ce ne sera pas seulement une tragédie pour les Juifs, mais une défaite pour la civilisation européenne elle-même.
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