Nous, êtres humains, sommes-nous constitués de matière pénétrée de ces sons de Vie issue du souffle et du Verbe Divin, sommes-nous une note originale dans la symphonie de l’univers et notre conscience individuelle s’inscrit-elle sur les harmoniques d’un chant céleste ? Durant son existence, l’homme est principalement l’objet d’un train de vie qui ne lui autorise aucune liberté, surtout celle d’une remise en question concernant l’esprit de son histoire personnelle. Or à Rosh Hashana, le Shofar parvient à nous soustraire de cette léthargie indolente : à la faveur de ses sons si troublants et si cristallins, il agite notre être et nos sentiments.
« Le Shofar peut-il retentir dans la ville sans que le peuple ne soit pris de tremblements » remarque le prophète. Cet objet singulier venu du fond des âges, provoque en effet un renouveau au sein même des créatures que nous sommes et nous oblige à dépoussiérer notre véritable personnalité si naturellement noble. Il fut un temps ou la pensée humaine allégua que la parfaite pédagogie se devait de prescrire et de reproduire sur l’individu une conduite qui lui était foncièrement étrangère. Il s’agissait là d’une opinion qui tenait le haut du pavé en occident jusqu’au 19ème siècle.
Par la suite, certains esprits révoltés, comme Jean-Jacques Rousseau, prouvèrent que cette théorie était erronée et inepte : éduquer veut dire, délivrer l’homme de ses inclinations malveillantes, de son obscur penchant et permettre à son intériorité d’éclore. Lorsque l’homme se manifestera dans sa forme et son esprit le plus naturel, son initiation prospérera. Il s’agit ici d’une approche optimiste où l’être humain est essentiellement altruiste, cependant que l’humanité, la société agencée et l’ordinaire humain déforment son âme.
Cette théorie est similaire à celle de la Torah : « Dieu créa l’homme impeccablement, parfaitement », annonce la Bible dans les premiers chapitres de la Genèse. Nous devons donc, de temps à autre, soutenir l’être humain à se décharger de la domination de certaines emprises fatales. Ainsi Rousseau disait : « toute chose est bonne au moment où elle sort de la main du Créateur, alors qu’elle se détériore une fois parvenue dans la main de l’homme ». De ce fait l’éducation authentique de l’enfant réside dans la découverte de sa nature propre.
Il n’est nullement question d’une formule élémentaire de pédagogie, certainement très séduisante au demeurant pour l’enseignement scolaire actuel. Cet examen nous entraine bien au-delà : il se propose de reconsidérer intégralement l’ensemble des doctrines anciennes qui jugeait les gamins comme des « suppôts du Diable » simplement parce qu’à ces âges ils ne se préoccupaient de rien d’autre que de dormir et de manger. La croyance responsable de ces idées obsolètes tentait d’inculquer aux enfants, strictement, des « conduites bienfaisantes », afin de conjurer leurs « penchants diaboliques » spontanés. Observons d’autre part que ce procédé ne s’employait qu’à l’égard des individus de sexe masculin, les jeunes filles étant déjà proscrites dès leur naissance pour un satanisme permanent et définitif.
La Torah au contraire décrit d’une manière limpide le fait que l’homme possède une âme pure : « L’âme que Tu m’as donnée est pure », dit-on au matin dans la prière du réveil. Pour la Bible hébraïque, l’homme a été créé « à l’image de Dieu » et l’Ecclésiaste vient nous préciser que « Dieu a créé l’homme droit » – seule la vie terrestre entaille cette vérité.
Devrions-nous abandonner l’existence terrestre et sociale ? Ne sommes-nous pas ici-bas pour consacrer l’Eternel, un projet carrément plus compliqué que la charge des anges, lesquels se « limitent » quant à eux à consacrer D.ieu dans les firmaments ? La tonalité du Shofar vient nous ressusciter et nous remémorer ce que nous sommes véritablement, quels sont les buts éminents appartenant ici-bas à l’Homme et combien notre nature conceptuelle renferme de bonheurs engloutis.
Du reste cette corne est elle-même un objet « naturel », assurément le plus naturel qui puisse être, puisque celle-ci est simplement réalisée à partir d’une corne de bélier ! Pour Maïmonide, les voix du Shofar demeurent en conséquence au-delà de l’entendement humain, mais elles suscitent en nous l’espoir : le fait que leurs sonorités perçantes ou profondes, dénudées ou brisées, parfois même gémissantes, sachent ranimer fidèlement nos capacités dérobées. A SUIVRE…