La « crise de la procureure » fracture la police israélienne : au cœur du chaos institutionnel

Ce devait être une enquête judiciaire classique. C’est devenu un champ de bataille politique et policier. La « crise de la procureure militaire », qui secoue Israël depuis plusieurs semaines, a révélé au grand jour les luttes internes les plus profondes au sein de la police nationale. Alors que la justice cherche encore à comprendre comment un téléphone sensible a pu disparaître, puis réapparaître, au centre d’un scandale médiatique, la hiérarchie policière s’enlise dans des accusations croisées de manipulation, de trahison et de « tentative de coup d’État institutionnel ».

Au cœur de la tempête : la décision du commissaire de police, le général Danny Levy, de refuser la transmission de certains éléments de l’enquête à un juge extérieur, le magistrat à la retraite Asher Kula, pourtant désigné par le ministre de la Justice Yariv Levin. Pour un haut responsable cité par N12, cette décision aurait empêché « une véritable prise de contrôle politique de l’appareil judiciaire ». Selon cette même source, « le commissaire, épaulé par le chef de la division des enquêtes Boaz Balat et le conseiller juridique de la police, Elazar Kahana, a littéralement bloqué une tentative de subordination de la justice à l’exécutif ».

« On a essayé de contourner la Cour suprême et de remettre la direction des enquêtes à un juge choisi par le ministre. C’était une tentative de coup d’État institutionnel, » a affirmé ce responsable sous couvert d’anonymat.

Mais cette version, qui érige Levy en gardien de la démocratie, est loin de faire consensus. D’autres voix, tout aussi influentes dans la police, dénoncent une instrumentalisation médiatique orchestrée par Balat lui-même. Selon plusieurs cadres du ministère de la Sécurité nationale, le chef de la division des enquêtes aurait « déformé les faits » pour affaiblir ses rivaux internes et redorer son image auprès de la presse.

Les tensions atteignent leur paroxysme samedi soir, lorsque Channel 12 diffuse un reportage glorifiant le rôle du commissaire Levy dans la défense de la légalité républicaine. Dans les heures qui suivent, plusieurs officiers publient des démentis rageurs.
« Chaque camp manipule les faits à son avantage, » déplore un ancien commandant d’unité. « La police n’a jamais été aussi divisée, ni aussi politisée. »

Ces divisions s’ajoutent à une perte de confiance du public déjà marquée par la détention controversée de l’ancienne procureure militaire, Yifat Tomer-Yerushalmi, accusée de falsification et d’entrave à la justice. L’affaire du téléphone retrouvé sur la plage n’a fait qu’alimenter les soupçons de sabotage interne et d’ingérence politique.

Pour l’heure, le chef d’état-major Eyal Zamir et le ministre de la Défense Israël Katz suivent l’affaire de près. Katz a rappelé, dans un communiqué diffusé samedi soir :

« Les institutions de sécurité israéliennes doivent fonctionner dans la clarté, l’unité et la responsabilité. Les querelles internes sont un luxe qu’Israël ne peut pas se permettre alors que nos ennemis attendent la moindre faille. »

Derrière ce chaos, beaucoup voient la main du pouvoir politique. Depuis le début du mandat du gouvernement Netanyahou, la tension entre le ministère de la Justice et la Cour suprême n’a cessé de croître. La tentative de Levin d’imposer le juge Kula est perçue comme un nouvel épisode de cette guerre d’influence : affaiblir la Cour, renforcer le contrôle de l’exécutif sur les organes d’enquête.
Mais la police, longtemps considérée comme une institution unie, se retrouve désormais instrumentalisée comme champ de bataille politique, un phénomène que redoutaient déjà les anciens commissaires.

Un observateur proche du parquet militaire confie :

« Ce n’est plus une question de procédure judiciaire, c’est une lutte de pouvoir à ciel ouvert. Et c’est dangereux pour la stabilité de l’État. »

Cette crise sans précédent survient alors que le pays est encore en état de guerre prolongée, mobilisant des dizaines de milliers de soldats et de réservistes. L’opinion publique, sidérée, voit dans cette affaire un symptôme de désunion au sommet de l’appareil sécuritaire.
Les éditorialistes de Ynet et Maariv parlent de « fracture morale » : la police, censée incarner la force et la rigueur de l’État, se déchire en factions rivales.

Pour Israël, où l’armée et la police sont perçues comme les piliers de la cohésion nationale, le danger dépasse la simple crise d’image. Dans un contexte de menaces extérieures constantes, chaque fissure institutionnelle devient une porte ouverte pour la désinformation ennemie et la défiance interne.

Plus qu’une affaire judiciaire, la « crise de la procureure » devient ainsi le symbole d’un malaise plus profond : celui d’un État confronté à la guerre dehors, et à la désunion dedans.
Dans une époque où les frontières entre justice, politique et sécurité s’effacent, Israël se retrouve face à une exigence vitale — retrouver la discipline de ses institutions, pour défendre la solidité de sa démocratie.


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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