Dans le premier acte de PriĂšre pour la RĂ©publique française, la piĂšce de Joshua Harmon de 2024 sur une famille juive française qui lutte pour dĂ©cider si elle veut rester en France, le fils Daniel, qui porte une kippa en public malgrĂ© les supplications de sa mĂšre, rentre Ă la maison avec la tĂȘte et le visage ensanglantĂ©s. « Qui lui a fait ça? » sa mĂšre pleure. « Qui pensez-vous? » rĂ©pond le pĂšre.
Le public comprend que les assaillants sont des Français musulmans ou des migrants musulmans, mĂȘme si cela reste inexprimĂ©. Au troisiĂšme acte, la famille dĂ©cide de quitter la France pour IsraĂ«l. Mais en fin de compte, le facteur le plus important dans cette dĂ©cision douloureuse nâest pas la menace rĂ©elle de violence islamiste qui a dĂ©clenchĂ© le drame. Il sâagit de la menace, insistante mais tout Ă fait hypothĂ©tique, dâune victoire de Marine Le Pen et de son parti de droite, le Rassemblement national, aux prochaines Ă©lections. La famille Benhamou est donc incitĂ©e Ă sâinterroger sur son avenir en France en raison du danger que reprĂ©sente la population immigrĂ©e musulmane du pays â et finit par partir parce que le parti politique qui promet de rĂ©duire lâimmigration musulmane en France pourrait gagner. Harmon met la main Ă la pĂąte dans une scĂšne involontairement drĂŽle, lorsque la famille refuse dâenvisager dâĂ©migrer aux Ătats-Unis, non pas parce quâelle est française, mais Ă cause de la menace encore plus grave que reprĂ©sente Donald Trump pour la sĂ©curitĂ© des Juifs.
Personne ne pourrait confondre Prayer avec une piĂšce française, Ă©tant donnĂ© la confusion typiquement amĂ©ricaine qui lâhabite. Mais dans la peine quâil faut pour Ă©viter Ă tout prix de paraĂźtre islamophobe et chercher refuge dans la menace plus confortable de la haine des Juifs de droite (rappelez-vous les nazis !), cela reflĂšte un piĂšge intellectuel qui a pris au piĂšge la gauche en France alors que autant que son homologue aux Ătats-Unis. Câest pourquoi, lorsque jâai vu la piĂšce Ă Broadway en janvier, jâai pensĂ©, comme souvent depuis le 7 octobre, Ă Manuel Valls.
Premier ministre socialiste français de mars 2014 Ă dĂ©cembre 2016, Valls peut lĂ©gitimement prĂ©tendre ĂȘtre lâhomme qui a fait plus que tout autre pour maintenir lâunitĂ© de la France pendant sa plus grande crise depuis un demi-siĂšcle. Au cours dâune vague dâincidents terroristes anti-juifs en 2014, et de la vague terroriste encore plus meurtriĂšre pour lâĂ©galitĂ© des chances qui a suivi en 2015-2016 â notamment les meurtres Ă Charlie Hebdo et au marchĂ© casher Hypercacher Ă Paris, le massacre du Bataclan et les massacres de masse Ă Nice le 14 juillet â la France Ă©tait dĂ©chirĂ©e par des dĂ©bats sur le meurtre et la signification de la terreur musulmane, sans parler de la capacitĂ© fondamentale de lâĂtat Ă protĂ©ger ses citoyens. Les rĂ©seaux conservateurs musulmans et islamistes en France ont-ils eu une influence dĂ©cisive sur les assassins, ou Ă©taient-ils tous des « loups solitaires » ?
Ătait-ce une coĂŻncidence si le Bataclan appartenait Ă deux frĂšres juifs et que Charlie Hebdo Ă©tait considĂ©rĂ© comme Ă©tant « contrĂŽlĂ© par les sionistes » ? Dans quelle mesure les actions militaires israĂ©liennes Ă Gaza Ă lâĂ©poque pourraient-elles ĂȘtre imputĂ©es Ă lâeffusion de sang en France ?
Valls, membre du Parti socialiste depuis 1980, nâen veut pas. Il nâa pas seulement dirigĂ© une vague de lois visant Ă Ă©tendre les capacitĂ©s de surveillance et de renseignement antiterroristes, les restrictions de voyage, la surveillance et la dĂ©tention, ainsi que les mesures dâurgence telles que les assignations Ă rĂ©sidence, les perquisitions et les saisies, et Ă renforcer la sĂ©curitĂ© des Ă©coles, des entreprises et des synagogues juives. Alors que les cris de Juif, la France nâest pas Ă toi (« Juif, la France nâest pas Ă toi »), « Juifs, hors de France » et « lâhistoire des chambres Ă gaz, câest des conneries », ont Ă©tĂ© entendus tout au long dâune « JournĂ©e de la rage » Ă Paris, avec un bal des sorciĂšres rassemblant des dizaines de milliers de militants dâextrĂȘme droite, anti-avortement, royalistes et salafistes exĂ©cutant la « quenelle » (un salut nazi inversĂ© popularisĂ© par le comĂ©dien antisĂ©mite soutenu par lâIran DieudonnĂ© Mâ bala Mâbala), Valls a Ă©galement prononcĂ© une sĂ©rie de discours et dâentretiens sobres, non dĂ©magogiques, parfois churchilliens, liant la sĂ©curitĂ© de la communautĂ© juive française Ă la survie de la Ve RĂ©publique elle-mĂȘme.
« LâantisĂ©mitisme, cette vieille maladie europĂ©enne », a dĂ©clarĂ© Valls dans un discours prononcĂ© aprĂšs la JournĂ©e de la colĂšre, « a pris une nouvelle forme. Elle se propage sur Internet, dans nos quartiers populaires, auprĂšs dâune jeunesse qui a perdu ses repĂšres, qui nâa aucune conscience de lâhistoire et qui se cache derriĂšre un faux antisionisme.» « Il est lĂ©gitime de critiquer la politique dâIsraĂ«l. Cette critique existe en IsraĂ«l mĂȘme », a expliquĂ© Valls dans une interview ultĂ©rieure. « Mais ce nâest pas de cela dont on parle en France. Il sâagit dâune critique radicale de lâexistence mĂȘme dâIsraĂ«l, qui est antisĂ©mite. Il existe un lien incontestable entre lâantisionisme et lâantisĂ©mitisme. DerriĂšre lâantisionisme se cache lâantisĂ©mitisme.
« Le choix a Ă©tĂ© fait par la RĂ©volution française en 1789 de reconnaĂźtre les Juifs comme citoyens Ă part entiĂšre », explique Valls, passionnĂ©. « Pour comprendre lâidĂ©e de rĂ©publique, il faut comprendre le rĂŽle central jouĂ© par lâĂ©mancipation des Juifs. Câest un principe fondateur.
Lâancien Premier ministre, nĂ© Ă Barcelone, a dĂ©clarĂ© Ă propos de la forte augmentation des dĂ©parts de Juifs français vers IsraĂ«l lors de la vague terroriste : « Si 100 000 Français dâorigine espagnole partaient, je ne dirais jamais que la France nâest pas La France. Mais si 100 000 Juifs partent, la France ne sera plus la France. La RĂ©publique française sera considĂ©rĂ©e comme un Ă©chec.»
AprĂšs avoir fĂ©licitĂ© Jacques Chirac pour avoir Ă©tĂ© le premier prĂ©sident Ă reconnaĂźtre officiellement la complicitĂ© de la France dans lâHolocauste en 1995 (« Il a eu le courage de nous libĂ©rer de nous-mĂȘmes »), Valls a Ă©tĂ© attaquĂ© par le parti du Front National (aujourdâhui rebaptisĂ© « Rassemblement National ») pour ce quâils appelaient sa « haine de la France ». Sa volontĂ© dâĂȘtre accusĂ© de telles absurditĂ©s â y compris lâaccusation, formulĂ©e par un ancien ministre des Affaires Ă©trangĂšres, selon laquelle il Ă©tait sous le contrĂŽle de son Ă©pouse juive â contrastait fortement avec le prĂ©sident de lâĂ©poque et compatriote socialiste François Hollande, qui cherchait Ă Ă©viter lâimpression de « prendre parti » en soutenant trop les juifs français contre leurs agresseurs.
AprĂšs avoir finalement soutenu puis brouillĂ© avec Emmanuel Macron, Valls â un membre de longue date de la gauche politique, dont le cabinet en tant que Premier ministre comprenait des membres du Parti radical de gauche â a depuis dĂ©clarĂ© le Parti socialiste « mort » et a a errĂ© dans le dĂ©sert politique, y compris son Ă©trange dĂ©cision en 2019 de se prĂ©senter Ă la mairie de Barcelone afin dâempĂȘcher lâĂ©lection dâun sĂ©paratiste catalan. RĂ©cemment, il a Ă©crit un livre, Le courage guidait leurs pas , sur Clemenceau, Louise Michel, Camus, Malraux, Charb (le caricaturiste assassinĂ© des caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo ) et dâautres, et il diffuse occasionnellement ses opinions dans les mĂ©dias dont le public aime entendre parler de lui de nos jours, Ă savoir ceux de droite.
Le « Je nâai pas quittĂ© la gauche, la gauche mâa quittĂ© » est dĂ©sormais un archĂ©type fatiguĂ© et ennuyeux en AmĂ©rique, et souvent peu convaincant. Valls a vĂ©cu son parcours politique avec plus dâhonnĂȘtetĂ©, face Ă des enjeux professionnels bien plus importants et dans des circonstances oĂč les coĂ»ts de son style de leadership chargĂ© de convictions Ă©taient bien plus Ă©levĂ©s. Câest pourquoi jâai pensĂ© Ă lui, et câest ce quâil doit penser, dans les jours qui ont suivi le 7 octobre, lorsque les « manifestants pro-palestiniens » scandaient « gazez les Juifs ! Ă Sydney, « jâemmerde les Juifs ! » Ă Londres, ont fait le salut nazi Ă Paris, et tandis que les rues des villes amĂ©ricaines et les campus universitaires Ă©clataient dans une frĂ©nĂ©sie de haine contre les Juifs â avec le soutien institutionnel de la gauche du pays, bien sĂ»r.
Â
« Mon pĂšre, qui Ă©tait peintre, Ă©tait ami avec Vladimir Yankelevich, qui Ă©tait un grand critique littĂ©raire et thĂ©oricien », raconte-t-il. « Yankelevich Ă©tait trĂšs perspicace, mĂȘme dans les annĂ©es 60, du lien entre lâantisĂ©mitisme et lâantisionisme. Il a Ă©crit un livre important en 1967 [ Le Pardon ], que jâai lu quand jâĂ©tais jeune, sur le fait que ce type dâantisionisme noble Ă©tait en rĂ©alitĂ© de lâantisĂ©mitisme. Et aprĂšs avoir Ă©tĂ© prĂ©sident des Jeunes Socialistes en France aprĂšs 1982, je me suis rendu Ă plusieurs reprises en IsraĂ«l et jâai eu des relations au sein du Parti travailliste et Ă©galement du Mapai. Jâavais une comprĂ©hension classique de la politique israĂ©lienne⊠Jâai dĂ©plorĂ© lâassassinat de Rabin et pleurĂ© la perte de Shimon Peres au profit de Netanyahu. CâĂ©tait un profil israĂ©lien socialiste trĂšs typique.
La comprĂ©hension de Valls a changĂ© dans les annĂ©es 2000, dâabord avec la Seconde Intifada, puis avec la tristement cĂ©lĂšbre confĂ©rence de Durban. Ă lâĂ©poque, Valls Ă©tait maire dâĂvry, une ville situĂ©e Ă 30 kilomĂštres au sud de Paris. « Jâai Ă©tĂ© tĂ©moin de ces actes antisĂ©mites commis par des jeunes enfants dâimmigrĂ©s maghrĂ©bins », dit-il. « Vitrines brisĂ©es, effractions dans des synagogues et attaques le jour du Shabbat, ce genre de choses. Et vous avez compris quâil y avait une tendance antisĂ©mite qui commençait Ă Ă©merger de lâimmigration musulmane. Et peu Ă peu, une partie de la gauche, non pas toute la gauche, mais une partie de la gauche, a commencĂ© Ă sâaligner sur cette tendance.»
Son expĂ©rience Ă Ăvry, dit-il, a influencĂ© sa comprĂ©hension, au cours du dernier quart de siĂšcle, de lâantisionisme comme forme socialement sanctionnĂ©e mais mal voilĂ©e dâune haine ancienne. « Jâai dĂ©cidĂ© que je le dĂ©clarerais toujours clairement, quel que soit le rĂŽle politique que jâoccupais â et avec la conscience que si les Juifs quittaient la France, cela constituerait un traumatisme et un changement profond pour lâidĂ©e de la civilisation française⊠Il existe un lien civilisationnel entre et la dĂ©pendance entre IsraĂ«l et la France. Celles-ci sont profondĂ©ment liĂ©es, lâidĂ©e civilisationnelle de la France et lâidĂ©e civilisationnelle dâIsraĂ«l.
Quand je lui demande sâil pense quâil y aura des implications pour la paix et la sĂ©curitĂ© de la France si le Hamas nâest pas vaincu Ă Gaza, Valls explique quâ« il y a deux lignes de front en Europe. LâUkraine en est une. Et puis il y a la lutte contre lâislamisme, qui est un front qui traverse lâEurope et le monde, y compris bien sĂ»r le monde musulman. Islamisme, salafisme, FrĂšres musulmans, islam politique, Iran, qui sont Ă la fois diffĂ©rents les uns des autres mais aussi complĂ©mentaires dans la mesure oĂč ils sont tous en guerre contre nous. Ils sont engagĂ©s dans une guerre civilisationnelle dont lâobjectif est de changer la communautĂ© musulmane en Europe.»
« Si nous cĂ©dons au Hamas », dit-il en regardant derriĂšre moi, « si nous ne parvenons pas Ă apporter notre soutien Ă IsraĂ«l dans ce moment difficile, il y aura une grande brĂšche en Europe. Cela serait perçu comme un signe de faiblesse. Câest pourquoi la meilleure façon de lutter contre toutes sortes dâantisĂ©mitisme est de soutenir IsraĂ«l. Mais nous devons soutenir IsraĂ«l dans sa lutte contre lâislamisme, qui est la mĂȘme lutte sous une forme diffĂ©rente que celle que nous menons ici. Les Français ont Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©s de la ressemblance entre ce qui sâest passĂ© dans le NĂ©guev et ce qui sâest passĂ© ici au Bataclan.
« Je suis malheureusement redevenu Ă la mode depuis le 7 octobre, dit-il, car je rĂ©pĂšte toujours et encore les mĂȘmes choses sur lâislamisme et lâantisĂ©mitisme. Mais dâailleurs, je nâaime plus vraiment le terme « antisĂ©mitisme », car la haine des Juifs et la haine dâIsraĂ«l sont la mĂȘme chose.»
Je prĂ©cise que la veille, alors que mes collĂšgues de Tablet et moi dĂźnions avec Bernard-Henri LĂ©vy et ses amis au restaurant Quayside de LapĂ©rouse, Salman Rushdie, qui dĂźnait par hasard dans la salle dâĂ cĂŽtĂ©, est venu dire bonjour Ă son camarade Bernard (et pour nous fĂ©liciter tous pour ce qui lui semblait ĂȘtre une grande quantitĂ© de vin bu). Rushdie, bien sĂ»r, a eu beaucoup Ă dire sur lâutilisation du terme « islamophobie ».
« La bataille des mots, ou du langage, est importante », explique Valls. « Je pense par exemple Ă ce que lâon essaie de nous imposer dans notre comprĂ©hension de Gaza afin de discrĂ©diter IsraĂ«l. «La nazification dâIsraĂ«l.» âApartĂ©.â « Colonisation », mot qui vient de lâOccident blanc et de son humiliation des colonisĂ©s. Et maintenant, bien sĂ»r, « gĂ©nocide », mot utilisĂ© pour discrĂ©diter IsraĂ«l et remettre en question son existence. Et « lâislamophobie » fait partie de cette guerre des langues. Jâai toujours trouvĂ© les explications de Salman Rushdie sur ce sujet Ă©clairantes. Y compris dans son livre le plus rĂ©cent, Knife , que jâai dĂ©chirĂ©.
Valls raconte lâexplication de Rushdie sur la façon dont le terme islamophobie a Ă©tĂ© inventĂ© principalement par le rĂ©gime iranien pour dĂ©tourner les critiques de lâislamisme et discrĂ©diter des gens comme lui, par exemple, qui sont opposĂ©s Ă toute forme dâidĂ©ologie totalitaire. Il sâirrite de « la gauche politique qui nâa montrĂ© aucun soutien Ă Rushdie ou Ă Charlie Hebdo », ce qui, selon lui, est particuliĂšrement inexcusable de la part des Français â en raison de leur expĂ©rience, de mĂ©moire dâhomme, de la guerre civile algĂ©rienne des annĂ©es 1980 lorsque les artistes algĂ©riens et lâintelligentsia du pays ont Ă©tĂ© exterminĂ©s.
Si nous cédons au Hamas, si nous ne parvenons pas à apporter notre soutien à Israël dans ces moments difficiles, il y aura une grande brÚche en Europe.
«La chance de la France, câest quâil existe encore de nombreux intellectuels, Ă droite comme Ă gauche, qui refusent cette conceptualisation et soutiennent Rushdie. Des gens comme Bernard-Henri LĂ©vy, [Pascal] Bruckner, Caroline Fourest, des politiques comme moi et des universitaires ici qui luttent contre cette alliance quâon voit aussi aux Etats-Unis entre islamisme et wokisme.»
Valls, qui était chef du gouvernement socialiste il y a moins de huit ans, se considÚre-t-il toujours comme un homme de gauche ?
« Oui », dit-il solennellement, regardant maintenant ses chaussures. « Pour reprendre une belle phrase dâAlbert Camus : je mourrai Ă gauche malgrĂ© elle, et malgrĂ© moi. » Il dit quâil lui arrive parfois de dĂ©sespĂ©rer de la gauche Ă cause de ce quâil considĂšre comme son incomprĂ©hension dâun monde en Ă©volution. Il reconnaĂźt que les mĂ©dias de droite constituent dĂ©sormais le seul « espace sĂ»r » oĂč les hommes politiques et les intellectuels comme lui peuvent sâexprimer et dĂ©fendre leurs idĂ©es, et que « câest un problĂšme ».
Valls estime quâaprĂšs que la crise financiĂšre de 2008 a renversĂ© le consensus social-dĂ©mocrate en France et poussĂ© la classe moyenne en dĂ©clin dans les bras des populistes, une partie importante de la gauche du pays sâest mise Ă la recherche dâune base de soutien de substitution. « La classe ouvriĂšre française a disparu, explique-t-il, et il y a un nouveau prolĂ©tariat. Il est composĂ© dâimmigrĂ©s minoritaires musulmans et africains. Et bien sĂ»r, » il parle maintenant entre guillemets invisibles, « ils sont dans cette position Ă cause du capitalisme, et donc ils ont Ă©tĂ© mis lĂ par les Juifs. Ils ont Ă©tĂ© opprimĂ©s par le monde occidental blanc et colonisĂ©s par lui â donc IsraĂ«l. Nous sommes donc tous coupables. Et il faut essayer de comprendre ce prolĂ©tariat, y compris ses actes de rĂ©sistance, dont fait partie le Hamas.»
« Câest Ă©videmment une lecture grotesque, mais cela semble fonctionner. Surtout parmi les jeunes, et surtout sur les campus universitaires.
Alors, quel genre de gauchiste est-il ? « Ma gauche est : je suis un universaliste de lâĂ©galitĂ© entre les hommes et les femmes. LibertĂ© de conscience et de religion, mais Ă sa place dans la sphĂšre privĂ©e. Vous devez dĂ©fendre la dĂ©mocratie, dĂ©fendre Salman Rushdie et Charlie Hebdo , ainsi que tous les enseignants qui ont Ă©tĂ© tuĂ©s ici en France. Universalisme et laĂŻcitĂ©, câest ma gauche. Je me dĂ©finis avant tout comme un rĂ©publicain français et je suis donc effrayĂ© par les vicissitudes et les folies de la gauche.»
Â
Quand je lui demande sâil existe une gauche politique dans le monde occidental Ă laquelle Valls admire ou Ă laquelle il sâidentifie, il rĂ©pond sans hĂ©siter : « Non ». « La social-dĂ©mocratie est en crise, explique-t-il, parce quâelle a gagnĂ©. Il pensait quâavec la chute du bloc soviĂ©tique, lâhistoire Ă©tait terminĂ©e et que lâEurope Ă©tait la social-dĂ©mocratie. Mais elle nâavait pas bien compris lâessentiel, câest-Ă -dire quâil y avait aussi une crise dâidentité⊠Il faut que les gens aient une culture et une identitĂ©. Ils ne peuvent pas en ĂȘtre dĂ©possĂ©dĂ©s. Alors que la mondialisation prive en fait les gens de ce sentiment dâappartenance culturelle.
Jâai lâimpression, lui dis-je, que contrairement Ă lâanglosphĂšre, la France a Ă©tĂ© plus ou moins immunisĂ©e contre le wokisme. « Câest vrai quâil y a en France une profusion de livres contre le wokeisme et sa culture », dit-il. « Et je pense que nous avons le meilleur spĂ©cialiste de lâislamisme, Gilles Kepel, que vous connaissez, et aussi Hugo Micheron. Mais nous avons aussi bien sĂ»r eu des intellectuels cĂ©lĂšbres qui ont souvent Ă©tĂ© complices du stalinisme, et ceux qui ont Ă©tĂ© sĂ©duits au moment de la rĂ©volution iranienne par lâayatollah Khomeini et ce quâil reprĂ©sentait. Surtout Foucault, qui a bien sĂ»r eu une Ă©norme influence sur votre pays. En rĂ©alitĂ©, câest toute la gauche politique et intellectuelle qui est en crise.»
Pendant ce temps, il ne fait aucun doute que ce qui passe pour la droite dure en Europe est en hausse. Aux Ă©lections europĂ©ennes qui auront lieu ce week-end, le parti de Marine Le Pen arrive en tĂȘte des sondages avec 33%, devant lâalliance Ensemble de Macron avec 15%, les socialistes menĂ©s par RaphaĂ«l Glucksmann avec 14% et la France insoumise, dirigĂ© par Jean-Luc MĂ©lenchon, un anti-juif, Ă 7 %. (Ă propos de Glucksmann, Valls mâa dit : « Il est trĂšs clair sur lâUkraine et sur les critiques de Poutine. Mais sur IsraĂ«l, il a une position un peu moins courageuse, moins que son pĂšre. Mais lâautre jour, il a Ă©tĂ© chassĂ© dâune manifestation par des partisans extrĂ©mistes. des militants de gauche portant des kaffiyehs. Il est donc de toute façon rĂ©intĂ©grĂ© Ă son identitĂ© juive. »)
Dans le mĂȘme temps, les Ă©lections europĂ©ennes sont souvent moins un signe avant-coureur des rĂ©sultats des Ă©lections nationales quâun moyen pour les Ă©lecteurs de se dĂ©fouler. La version de la droite de Marine Le Pen ne semble pas non plus constituer une menace particuliĂšre pour les Juifs français. La personnalitĂ© politique Ă droite de Le Pen, lâancien candidat Ă la prĂ©sidentielle et expert politique Eric Zemmour, qui est Ă©galement candidat Ă un siĂšge au Parlement europĂ©en, est lui-mĂȘme juif et jouit dâun large public parmi les Juifs français. Ainsi, pour le meilleur ou pour le pire, les batailles qui prĂ©occupent le plus les Juifs français se dĂ©rouleront Ă gauche, lĂ oĂč Valls a pris position solitaire.
En nous disant au revoir, jâai pensĂ© Ă la Synagogue des Tournelles, oĂč mes collĂšgues Tablet et moi avions assistĂ© Ă un service de Yom HaShoah quelques nuits auparavant. Construit Ă lâorigine pour les juifs dâAlsace-Lorraine, le bĂątiment de style romano-byzantin est depuis devenu un foyer majoritairement juif dâAfrique du Nord, bien que le clergĂ© reste majoritairement ashkĂ©naze. Dans son sermon, le rabbin a tenu Ă situer le massacre du 7 octobre dans un continuum avec la Shoah et avec lâexpulsion des Juifs du monde arabe de 1948 jusquâau dĂ©but des annĂ©es 1970. Pour les Juifs ashkĂ©nazes de France, de moins en moins nombreux, les annĂ©es 1940 restent la grande catastrophe dans la vie de leurs familles, alors que pour les Juifs algĂ©riens, tunisiens et marocains de France, ce sont les annĂ©es 1960. Le 7 octobre, comme Valls lâa compris, est la date limite pour tous.
IntriguĂ© par la suggestion de Valls dâun mouvement de gauche capable de gouverner avec la droite, jâai recherchĂ© Benjamin Haddad, dĂ©putĂ© du 16e arrondissement de Paris et porte-parole en chef du parti Renaissance de Macron. Membre des commissions des affaires Ă©trangĂšres et des affaires europĂ©ennes, Haddad â contributeur de Tablet â est omniprĂ©sent dans les mĂ©dias français, notamment sur les questions de politique Ă©trangĂšre. [Divulgation complĂšte : en 2020, Haddad mâa nommĂ© chercheur principal non rĂ©munĂ©rĂ© et non-rĂ©sident Ă lâAtlantic Council Ă Washington, oĂč il Ă©tait alors directeur de son Centre Europe.]
Â
Jâai rencontrĂ© lâĂ©toile politique montante de 38 ans un lundi matin au Palais Bourbon, oĂč il occupe un siĂšge bien en vue Ă trois rangs du sol, au centre-droit. Lors dâun dĂ©jeuner Ă la Brasserie Le Bourbon, coin minou de lâAssemblĂ©e nationale, nous discutons des Territoires perdus de la RĂ©publique , un livre de 2006 Ă©crit par des enseignants français sur les difficultĂ©s quâils ont rencontrĂ©es Ă dispenser une Ă©ducation aux valeurs rĂ©publicaines dans des quartiers en proie Ă lâantisĂ©mitisme et au sexisme. et le sĂ©paratisme islamique. « CâĂ©tait controversĂ© Ă lâĂ©poque, cela sâest produit juste aprĂšs la Seconde Intifada, mais maintenant, fondamentalement, tout le monde est dâaccord avec cela », explique Haddad. « Ils ont Ă©crit quâil Ă©tait devenu trĂšs difficile dâenseigner lâHolocauste et la biologie dans certains quartiers. Ă lâĂ©poque, cela avait suscitĂ© un vaste dĂ©bat. Mais maintenant tout le monde sait que câest vrai⊠La question est de savoir comment ne pas perdre des quartiers entiers, des territoires, Ă cause du sĂ©paratisme. Nous avons donc vraiment renforcĂ© la lĂ©gislation sur la rĂ©duction des financements Ă©trangers, la possibilitĂ© de fermer les mosquĂ©es [salafistes financĂ©es par lâĂ©tranger], les associations soupçonnĂ©es de liens avec le radicalisme, lâexpulsion des imams. Et nous lâavons fait rapidement.
Haddad a attirĂ© lâattention de Macron pour la premiĂšre fois en 2015, lorsque lâactuel prĂ©sident français Ă©tait ministre de lâĂconomie dans le cabinet Valls. Ils sont restĂ©s en contact aprĂšs la victoire de Macron en 2017, alors que Haddad Ă©tait encore Ă Washington, oĂč il a créé un comitĂ© de soutien au programme de rĂ©formes de Macron. « Je pense aussi quâil a apprĂ©ciĂ© le fait que jâai dĂ©fendu trĂšs clairement notre modĂšle de laĂŻcité française dans les mĂ©dias amĂ©ricains lorsquâil Ă©tait attaquĂ©, car cela le troublait beaucoup », dit Haddad. « AprĂšs le meurtre de Samuel Paty [un enseignant dĂ©capitĂ© par un islamiste tchĂ©tchĂšne pour avoir montrĂ© Ă ses Ă©lĂšves une caricature de Mahomet Ă Â Charlie Hebdo ], il y a eu 48 heures de solidaritĂ©, mais ensuite ça sâest transformĂ© en quelque chose du genre : « Eh bien, câest vous qui lâavez causĂ©, France ». . Câest ta faute. Votre laĂŻcité est islamophobe, câest radicalisant.â»
«Câest de la connerie totale», dit-il. « Je veux dire, il y a mĂȘme eu un article, il a Ă©tĂ© complĂštement dĂ©mystifiĂ©, mais Ă lâĂ©poque il avait eu beaucoup de succĂšs, Ă©crit par des chercheurs de la Brookings Institution qui dĂ©montraient quâil y avait une surreprĂ©sentation des djihadistes venant de France â ce qui nâest pas vrai, lĂ -bas. Il nây avait pas de mĂ©thodologie scientifique pour cela â mais ils ont dit que cela devait ĂȘtre dĂ» Ă notre laĂŻcitĂ©. Et puis le Washington Post a affirmĂ© que nous avions des cartes dâidentitĂ© spĂ©cifiques pour les jeunes musulmans. CâĂ©tait complĂštement hors de contrĂŽle⊠Je pense que lorsque le Washington Post écrivait sur lâislamophobie et la France, il Ă©crivait en fait sur lâAmĂ©rique, et ils ne se souciaient pas vraiment de lâexactitude de leurs propos sur nous. Jâai donc passĂ© beaucoup de temps Ă essayer de dĂ©mystifier ces conneries dans les mĂ©dias amĂ©ricains. »
Une autre raison pour laquelle Macron a peut-ĂȘtre apprĂ©ciĂ© le rĂŽle de Haddad Ă Washington est quâil Ă©tait un parfait porte-parole des AmĂ©ricains obsĂ©dĂ©s par la race. Son pĂšre est nĂ© en Tunisie et a dĂ©mĂ©nagĂ© avec sa sĆur et ses parents en 1961 Ă Bordeaux, oĂč les grands-parents ont changĂ© leurs noms dâIsaac et Nasria en Jacques et Roseline. Ils se sont vite assimilĂ©s. « La seule fois oĂč jâai entendu mon grand-pĂšre parler arabe, câĂ©tait dans ses derniĂšres annĂ©es, lorsquâil souffrait de la maladie dâAlzheimer et quâil Ă©tait revenu Ă la langue de son enfance. Mon pĂšre Ă©tait le seul [sur cinq enfants] Ă comprendre le dialecte tunisien, car ils le parlaient encore un peu quand il Ă©tait enfant. Mais sinon, ils sont restĂ©s trĂšs attachĂ©s au judaĂŻsme, mais sont devenus des patriotes pleinement français, rĂ©publicains, trĂšs attachĂ©s au fait dâĂȘtre accueillis ici et dâavoir fait leur vie ici. La mĂšre de Haddad, professeur de mathĂ©matiques, est issue dâune famille catholique bourgeoise du Pays basque français qui « a participĂ© Ă diffĂ©rents niveaux Ă la RĂ©sistance ». Mais « je ne suis pas gaulliste », dit-il, « plutĂŽt une famille libĂ©rale de centre-droit ».
Quand il avait 5 ans, la famille de Haddad a dĂ©mĂ©nagĂ© Ă Boston pendant un an pour le travail de son pĂšre. « Jâai vĂ©cu toute lâexpĂ©rience amĂ©ricaine », dit-il, « le bus jaune, le terrain de baseball. Je me souviens que câĂ©tait un moment trĂšs agrĂ©able.
Haddad a Ă©tĂ© prĂ©sident de classe au lycĂ©e, dont il a obtenu son diplĂŽme peu aprĂšs lâinvasion amĂ©ricaine de lâIrak, puis a Ă©tudiĂ© les relations internationales Ă Sciences Po, le terrain de formation de lâĂ©lite politique française. « La premiĂšre chose que jâai faite en arrivant sur place, câest de prendre ma carte de lâUMP [Union pour un mouvement populaire], le parti de centre droit de lâĂ©poque. Et jâai essentiellement passĂ© mes annĂ©es dâĂ©tudiant en tant que militant. JâĂ©tais toujours Ă gauche de la droite. Pro-europĂ©en, pas si pro-conservateur.» Selon lui, son voyage Ă Kiev en 2014 pour assister et soutenir la rĂ©volution MaĂŻdan a Ă©tĂ© une expĂ©rience formatrice. Aujourdâhui Ă lâAssemblĂ©e nationale, il est une figure de proue de la lutte pour lâextension du soutien Ă lâUkraine.
Haddad dit quâil trouverait Ă©touffant de devoir voter aux Ătats-Unis. « Je pense que sur les questions Ă©conomiques, je suis plus proche des dĂ©mocrates modĂ©rĂ©s. Mais je suis trĂšs inquiet du discours politique identitaire Ă©veillĂ© que jâai vu se dĂ©velopper. Et je me souviens que lorsque je vivais Ă Washington, jâavais vu cela se produire pour la premiĂšre fois sur les campus et les gens le rejetaient en disant : « Oh, ce ne sont que des enfants ». Mais ensuite ces enfants ont rejoint des institutions culturelles, le New York Times , CNN, des groupes de rĂ©flexion. Cela commence Ă avoir un impact sur la façon dont vous ĂȘtes autorisĂ© Ă parler, sur ce que vous ĂȘtes autorisĂ© Ă dire, et aussi sur une obsession pour la race et lâidentitĂ© qui a peut-ĂȘtre toujours Ă©tĂ© plus centrale dans la façon dont les AmĂ©ricains perçoivent la politique. Je pense que la race et lâidentitĂ© sont devenues une obsession aux Ătats-Unis et sont trĂšs Ă©trangĂšres Ă la façon dont nous concevons les choses ici. »
La tendance universaliste de la France, explique-t-il, Ă©tait fondĂ©e sur la liberté de religion, contrairement au fondement amĂ©ricain sur la liberté de religion. Câest pourquoi, dit-il, il est absurde de prĂ©tendre que la laĂŻcité est une feinte utilisĂ©e pour supprimer les communautĂ©s musulmanes. « Nos principes rĂ©publicains et notre universalisme sont antĂ©rieurs mĂȘme Ă la prĂ©sence de lâIslam en France. La question est de savoir comment parvenir Ă une mobilitĂ© sociale qui fonctionne, Ă une intĂ©gration qui fonctionne, tout en restant fidĂšle Ă nos principes.»
Ă ce stade de notre conversation, comme par lâopĂ©ration de la main invisible dâune divinitĂ© dotĂ©e dâun sens de lâhumour familial du Vieux Monde, notre table est ornĂ©e de la figure imposante de Meyer Habib, le collĂšgue de Haddad. Ăgalement issu dâune famille juive tunisienne, Habib reprĂ©sente les citoyens français dâoutre-mer Ă lâAssemblĂ©e nationale et agit comme reprĂ©sentant officieux de Benjamin Netanyahu Ă Paris. En 2014, alors quâil sâopposait Ă la tĂ©lĂ©vision Ă une rĂ©solution appelant Ă la « reconnaissance officielle » dâun Ătat palestinien par la France, Habib a Ă©tĂ© critiquĂ© par un ancien ministre socialiste pour son « intensitĂ© inquiĂ©tante ». CâĂ©tait certes une critique humiliante, mais Ă mesure quâil rattrape Haddad, je comprends de quoi parlait lâancien ministre. « Il est amusant », confirme Haddad, « trĂšs exagĂ©ré ». Quand je lui demande sur quoi portait leur courte interaction, Haddad rĂ©pond quâil taquinait Habib pour avoir tweetĂ© un mĂšme la veille de montrer Hitler dans un kaffiyeh avec les mots « Mein Campus ».
AprĂšs le dĂ©part dâHabib, Haddad est rĂ©cupĂ©rĂ© par une Française blonde en costume bleu qui lâinforme quâun groupe dâĂ©coliers attend dehors pour prendre une photo avec lui â une scĂšne que jâaurais soupçonnĂ©e orchestrĂ©e Ă lâavance par les mĂ©dias avertis. jeune homme politique sauf que jâai choisi le cafĂ©. Haddad accepte volontiers et me dit que les questions que les enfants lui posent le plus souvent sont : « As-tu rencontrĂ© Macron, as-tu rencontrĂ© Le Pen et quel est ton salaire ? Il fait une impression du souffle effrayĂ© des enfants lorsquâil leur dit que, oui, il a rencontrĂ© Marine Le Pen.
Je pense que la race et lâidentitĂ© sont devenues une obsession aux Ătats-Unis et sont trĂšs Ă©trangĂšres Ă la façon dont nous concevons les choses ici.
A son retour, on Ă©voque sa circonscription â lâune des circonscriptions les plus riches du pays â quâil a remportĂ©e en 2022 avec 53 % des voix. Il comprend une forte communautĂ© juive et, fait inhabituel, une communautĂ© catholique pratiquante. Ses parents et sa sĆur y vivent Ă©galement. « Si vous regardez la sociologie Ă©lectorale, dit-il, ce qui est vraiment fascinant, câest que la base Macron a changĂ©. Ainsi, en 2017, câest un ancien socialiste et la plupart de sa base Ă©tait constituĂ©e de personnes modĂ©rĂ©es de centre-gauche. Et puis il y en avait Ă droite, comme moi, qui Ă©taient assez intriguĂ©s par ce type. Et au fond, il a rĂ©uni ces gens, pour la plupart des gens qui avaient deux choses en commun : un attachement naturel Ă lâEurope et une volontĂ© de rĂ©former le pays. Des lois sur le travail, des rĂ©ductions dâimpĂŽts, mais pas de maniĂšre fiscalement conservatrice. Plus prĂ©cisĂ©ment, nous allons libĂ©rer lâentrepreneuriat, aider les enfants issus de milieux dĂ©favorisĂ©s Ă trouver un emploi. Et les rĂ©sultats sont bons. Je veux dire, nous avons le taux de chĂŽmage le plus bas depuis 40 ans, 7,5 %. Quand jâĂ©tais enfant, nous Ă©tions condamnĂ©s Ă atteindre 10%⊠Câest pourquoi la base de Macron a commencĂ© plutĂŽt au centre-gauche et sâest orientĂ©e davantage vers la droite ces derniĂšres annĂ©es.»
Haddad dit quâen abordant des questions difficiles mais nĂ©cessaires comme la rĂ©forme des retraites, Macron a dĂ©montrĂ© quâil Ă©tait prĂȘt Ă sâaliĂ©ner une partie de la gauche. «Je pense quâil y a aussi eu une sorte de rupture avec la rĂ©alitĂ© en ce qui concerne lâislamisme, la criminalitĂ© et la nĂ©cessitĂ© de rĂ©tablir lâordre⊠Mais les islamistes testent les limites. Lorsquâils mettent des femmes en abayas, elles savent exactement ce quâelles font. Ils essaient de voir sâils peuvent ainsi contourner la loi [interdisant la burqa].» La question du sĂ©paratisme nâĂ©tait pas au cĆur de lâĂ©lection de Macron en 2017, explique Haddad, mais elle est dĂ©sormais devenue une question centrale pour lui.
Dans le mĂȘme temps, Haddad, comme dâautres observateurs avec lesquels nous discutons Ă Paris, se montre sombre quant aux prochaines Ă©lections europĂ©ennes, au cours desquelles Macron sera dĂ©bordĂ© par Le Pen. « Lâun des obstacles est la limite de deux mandats Ă la prĂ©sidence », explique Haddad. « Le Pen a trĂšs bien tentĂ© de dĂ©-diaboliser le parti [Rassemblement National], dâexpulser les personnes racistes ou antisĂ©mites, de le rendre beaucoup plus respectable, mais au point quâils ne disent plus rien de substantiel. Lors des Ă©lections europĂ©ennes que nous avons, je ne sais vraiment pas ce quâils reprĂ©sentent. Ils disent quâils Ă©taient pour le Frexit, mais plus maintenant. Ils disent quâils Ă©taient autrefois favorables Ă la sortie de lâeuro, mais ce nâest plus le cas. Ils disent quâils Ă©taient autrefois favorables Ă une sortie de lâOTAN, mais ils ont renoncĂ© Ă dire : « Eh bien, nous sommes au milieu dâune guerre, alors ne quittons pas lâOTAN. » Soyons clairs, ils sont toujours pour tout cela, le fond est le mĂȘme, mais ils avancent de maniĂšre cachĂ©e.»
Le pĂšre de Le Pen, Jean-Marie, Ă©tait un authentique antisĂ©mite dont les commentaires gratuits minimisant lâHolocauste ont forcĂ© sa fille Ă lâexpulser du parti quâil avait fondĂ© en 2015, aprĂšs quâil se soit prĂ©sentĂ© Ă la prĂ©sidence, et quâil ait perdu cinq fois. Les gens intelligents que je connais semblent penser que Marine a en fait rĂ©ussi Ă purger lâantisĂ©mitisme du parti et Ă le reconstruire avec un nouveau cadre de politiciens locaux et nationaux qui font appel aux Ă©lecteurs et aux industries traditionnels. Mais ils continuent de critiquer le Rassemblement national comme Ă©tant une version moins extrĂȘme de lâAfD en Allemagne : incompĂ©tente, incohĂ©rente et sans but. (Le 21 mai, le Rassemblement national a annoncĂ© sa rupture avec lâAfD, refusant de siĂ©ger avec elle dans le mĂȘme groupe au Parlement europĂ©en, en raison des scandales rĂ©pĂ©tĂ©s du parti allemand.)
« Mon sentiment est que si vous voulez les combattre, vous devez respecter les Ă©lecteurs mais combattre le parti, et vous devez faire deux choses », explique Haddad. « Il faut sâattaquer de front, sans dĂ©ni, aux problĂšmes sur lesquels ils prospĂšrent. Soyez donc trĂšs lucide sur la criminalitĂ©, sur lâimmigration, sur lâislamisme. Mais il faut aussi ĂȘtre trĂšs dur avec eux. Et le fait quâils ne proposent aucune solution raisonnable et que leur programme, notamment sur lâĂ©conomie et la diplomatie, nous isolerait et serait un dĂ©sastre pour le pays. Ils sont favorables au retour Ă lâĂąge de la retraite Ă 60 ans. Je veux dire, câest complĂštement dĂ©magogique. Cela ferait exploser les dĂ©penses publiques. Leur programme est donc en rĂ©alitĂ© trĂšs Ă gauche sur les questions Ă©conomiques.»
Haddad dit avoir appris de son expĂ©rience Ă Washington lors de lâĂ©lection de Donald Trump lâimportance de sortir de Paris le plus souvent possible. « Jâai rĂ©cemment rencontrĂ© des Ă©leveurs de moutons du sud-ouest et des maires locaux de villes dâenviron 800 habitants seulement⊠Cela vous en dit plus sur le pays et sur ce que nous pouvons faire. Mais on voit aussi la colĂšre monter Ă propos de certaines choses. Les gens qui ont le sentiment de travailler dur et ceux qui travaillent moins gagnent presque autant dâargent grĂące Ă lâaide sociale et au bien-ĂȘtre social. Le sentiment dâĂȘtre Ă©crasĂ© par les normes et la bureaucratie est quelque chose quâon entend partout.» Dans le mĂȘme temps, aprĂšs que Macron a entrepris une rĂ©forme des retraites, Haddad a dĂ©clarĂ© avoir commencĂ© Ă recevoir des courriels de personnes disant : « âPutain de connard, je vais devoir travailler davantage maintenant. Je devais prendre ma retraite en septembre et maintenant je ne peux pas prendre ma retraite avant dĂ©cembre. Quand je reçois quelque chose comme ça, je ne peux pas simplement lâĂ©carter. Je dois comprendre dâoĂč cela vient, car cela signifie que les gens ne trouvent pas de sens Ă leur travail.»
Ă lâimage de Valls, Haddad dĂ©plore la recherche dâun sens perdu quâil voit dans la vie de nombreuses personnes. « La France a rĂ©sistĂ© au dĂ©clin dĂ©mographique plus longtemps que les autres pays dâEurope, mais aujourdâhui, nous aussi, nous sommes en baisse. Donc vous ne trouvez pas de sens au travail, vous nâavez pas dâenfants ou beaucoup dâenfants. Vous vous engagez de moins en moins dans la politique, les associations, les Ă©glises, les syndicats. Alors câest quoi? Netflix vous procure du plaisir et du divertissement, mais pas de sens. Il y a une petite dĂ©pression collective qui nâest pas spĂ©cifique Ă la France, mais je pense quâelle est trĂšs spĂ©cifique Ă lâEurope. Je ne pense pas que ce soit uniquement une question de politique.
« En mĂȘme temps, conclut-il, la Ve RĂ©publique nâest pas parfaite, mais elle constitue une trĂšs bonne synthĂšse de notre histoire. Il synthĂ©tise lâancien rĂ©gime avec ce qui est issu de la RĂ©volution. Parce que de Gaulle possĂ©dait une telle profondeur culturelle sur notre pays, notre histoire, notre littĂ©rature, notre esprit, il sâen est inspirĂ© de maniĂšre trĂšs efficace. Et je pense que vous pouvez toujours rĂ©former, comme nous le faisons rĂ©guliĂšrement. Mais je pense quâil serait difficile de trouver quelque chose de mieux.
RĂ©daction francophone Infos Israel News pour lâactualitĂ© israĂ©lienne
© 2025 â Tous droits rĂ©servĂ©s