L’affaire Elizabeth Tsurkov : un tweet sur des enfants de Gaza relance la controverse en Israël

Quelques mois seulement après sa libération du captivité en Irak, la militante et chercheuse israélienne Elizabeth Tsurkov se retrouve à nouveau au cœur d’une tempête médiatique. Un simple tweet, publié depuis son compte sur le réseau X, a suffi pour rallumer des tensions explosives autour de son rapport au conflit et de sa place dans la société israélienne.
Source : https://www.kikar.co.il

Samedi soir, Tsurkov a réagi à une brève de la chaîne N12 concernant la neutralisation de deux suspects dans le sud de la bande de Gaza, près du « ligne jaune » de Khan Younès. Le communiqué militaire indiquait que l’aviation avait éliminé “deux suspects ayant franchi la zone interdite”. Mais la chercheuse, en citant le lien, a reformulé l’événement sous un angle totalement différent : elle affirmait que les deux morts étaient “des garçons de 10 et 12 ans”. Une phrase qui a immédiatement déclenché l’embrasement.

Dans son message en anglais, Tsurkov écrivait : « Voilà comment la chaîne 12, la plus regardée en Israël, rapporte l’exécution de deux garçons de 10 et 12 ans à Khan Younès ». Pour beaucoup d’Israéliens, cette formulation constituait une accusation directe contre Tsahal, considérée comme infondée et dangereuse en temps de guerre. Les réactions ont afflué en quelques minutes, du simple reproche au discours haineux.

Lorsque qu’un utilisateur lui a répondu en joignant une image présentée comme celle des deux mineurs, l’accompagnant du mot “les suspects”, elle a répondu : « Que Dieu ait pitié d’eux ».


L’affaire a pris d’autant plus d’ampleur que Tsurkov, longtemps active dans les milieux de recherche liés aux droits humains, est encore associée à son enlèvement : elle avait été kidnappée par les milices chiites pro-iraniennes des Kataeb Hezbollah en Irak, en mars 2023. Elle a passé près de deux ans et demi en captivité avant d’être rapatriée vivant en Israël, un événement qui avait ému le public et mobilisé de nombreuses instances diplomatiques.
Source : https://www.kikar.co.il

Mais à peine revenue, elle s’est retrouvée confrontée à une forte hostilité. Certains Israéliens lui reprochent ses positions progressistes, d’autres sa critique régulière de l’armée durant le conflit à Gaza. Dans son tweet du mois dernier – publié le 7 octobre, date marquant deux ans de guerre – Tsurkov avait déjà suscité la colère en exprimant de la compassion pour les civils de Gaza. Ce message avait entraîné une vague d’insultes, allant jusqu’à des menaces, qu’elle avait ensuite publiées en captures d’écran.

Elle avait alors écrit : « Voici quelques extraits des messages reçus : insultes, accusations de trahison, souhaits d’un nouvel enlèvement. Tout cela parce que j’ai exprimé de la compassion pour le peuple de Gaza ». Elle affirmait également que même durant son enlèvement, certains commentaires se réjouissaient de sa capture car elle était considérée comme “pro-arabe”.


Dans son nouveau tweet, ce dimanche, les critiques n’ont pas tardé. Pour beaucoup, Tsurkov ne vérifie pas suffisamment ses sources, extrapole et adopte une grille de lecture politique bien plus critique envers Israël que ne le permettent les informations disponibles. D’autres, plus radicaux, estiment que ses déclarations constituent une forme de délégitimation active de Tsahal en pleine guerre. Le débat a rapidement dépassé les faits pour se transformer en confrontation idéologique.

Il est important de rappeler que Tsahal n’a, à ce stade, pas confirmé l’âge des individus tués. Le communiqué militaire évoquait seulement “deux suspects franchissant la ligne jaune”. La formulation de Tsurkov repose donc sur des données qui ne proviennent pas de l’armée mais de messages circulant en ligne, ce que ses opposants lui reprochent vivement.

En Israël, où le conflit du Sud reste brûlant et où l’armée poursuit ses opérations contre les cellules armées autour de Khan Younès, toute remise en cause du récit sécuritaire officiel est immédiatement sensible. La mémoire collective est encore marquée par des cas de désinformation exploitée par des organisations hostiles, ce qui renforce la suspicion envers toute interprétation qui semble s’aligner sur les narratifs adverses.


Pour comprendre l’intensité des réactions, il faut aussi replacer l’affaire dans un contexte sociopolitique plus large : de plus en plus de chercheurs, artistes ou militants progressistes ayant critiqué l’armée se retrouvent sous pression, symboles d’un climat national durci depuis le 7 octobre. À l’inverse, certains segments de la société israélienne estiment que la critique interne doit rester possible, même en temps de guerre, notamment lorsqu’il s’agit d’atteintes potentielles aux civils.

Tsurkov, qui a consacré de nombreuses années à l’étude des sociétés du Moyen-Orient et aux droits humains, incarne cette ligne minoritaire. Pour ses partisans, elle rappelle des vérités difficiles ; pour ses opposants, elle jette de l’huile sur le feu et fournit des arguments aux ennemis d’Israël.

Pour elle-même, cette controverse s’ajoute à un parcours personnel marqué par la violence et la survie. Elle affirme continuer de défendre “les droits humains pour tous”, qu’il s’agisse des Israéliens victimes du terrorisme ou des civils palestiniens pris dans les zones de combat. Mais ses déclarations risquent de l’enfermer dans un rôle intenable : celui de l’intellectuelle libérée de captivité mais rejetée par une partie de son propre pays.


Alors qu’Israël demeure en guerre au Nord et au Sud, et que la société reste fracturée, l’affaire Tsurkov illustre la tension grandissante entre sécurité nationale, liberté d’expression et mémoire collective. Le débat dépasse largement sa personne : il touche à la façon dont Israël accepte – ou rejette – les voix dissonantes en temps de conflit. Et dans ce climat d’extrême sensibilité, un simple tweet peut suffire à déclencher un séisme politique et social.


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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