« Le Hamas a construit des tunnels sous la maison de ma famille Ă  Gaza. Aujourd’hui, elle est en ruine. »

Sept ans se sont Ă©coulĂ©s depuis que je me suis Ă©chappĂ© de ma ville assiĂ©gĂ©e de Gaza et que je suis arrivĂ© aux États-Unis. Le jour de Thanksgiving, ma mĂšre m’a envoyĂ© une photo d’un arbre tombĂ© de quatre mĂštres dans le sud de la bande de Gaza, oĂč ma famille s’est rĂ©fugiĂ©e ces derniĂšres semaines. Dix membres de ma famille se trouvent dans la rue, entourant l’arbre, et l’un d’eux coupe ses branches. Il est impossible d’avoir du gaz pour cuisiner et cet arbre est dĂ©sormais le bois de chauffage qui leur permettra de prĂ©parer leur prochain repas.

Depuis les atroces attaques du Hamas contre IsraĂ«l le 7 octobre – qui ont fait quelque 1 200 morts, soit le plus grand massacre de Juifs en un seul jour depuis l’Holocauste – les systĂšmes qui approvisionnent Gaza en nourriture, en eau et en mĂ©dicaments sont en dĂ©clin urgent. En rĂ©ponse, Israel poursuit ses bombardements sur la bande de Gaza. Depuis lors, au moins 27 000 Palestiniens ont Ă©tĂ© tuĂ©s, dont des milliers seraient des combattants du Hamas, et quelque 1,7 million des 2,3 millions d’habitants de Gaza ont Ă©tĂ© dĂ©placĂ©s, ainsi que des dizaines de milliers d’IsraĂ©liens, par les tirs de roquettes continus du Hezbollah dans le sud et au Liban. Une grande partie de la bande de Gaza a Ă©tĂ© rĂ©duite en ruines. Mais le sentiment de dĂ©sordre et d’urgence qui rĂšgne aujourd’hui dans l’enclave cĂŽtiĂšre remonte bien plus loin dans le temps.

Depuis la violente prise de Gaza par le Hamas en 2007, les belles rues animĂ©es que j’ai connues ont Ă©tĂ© dominĂ©es par le chaos terroriste. Le Hamas est motivĂ© par une position idĂ©ologique nĂ©e du concept d’anĂ©antissement de l’État d’IsraĂ«l et de son remplacement par un État palestinien islamique. Dans ses efforts pour faire de cela une rĂ©alitĂ©, le Hamas a normalisĂ© la violence et la militarisation dans tous les aspects de la vie publique et privĂ©e dans la bande de Gaza. Ce faisant, ils ont Ă©liminĂ© les chances d’un État palestinien prospĂšre aux cĂŽtĂ©s d’IsraĂ«l, mĂȘme si la perspective d’un tel État semblait de plus en plus lointaine au milieu des gouvernements israĂ©liens successifs qui s’y opposaient.

Nous avons vĂ©cu dans l’appartement de la famille de mon pĂšre Imad et avons Ă©conomisĂ© de l’argent pendant prĂšs de 18 ans jusqu’à ce que nous puissions construire notre propre maison dans le nord de Gaza. Le premier signe indiquant que le Hamas construisait des tunnels sous notre maison est apparu en juillet 2013, alors que les travaux Ă©taient en cours. Notre future nouvelle voisine, Um Yazid Salha, a contactĂ© ma mĂšre Saadia pour lui demander pourquoi mon frĂšre Hamza et moi venions toujours sur le chantier aprĂšs minuit.

L’ouvrage Ă  deux Ă©tages Ă©tait entourĂ© d’un mur et de deux portes. Mais nous Ă©tions tous les soirs dans l’appartement de la famille de mon pĂšre, dont la porte est verrouillĂ©e Ă  22 heures. « Personne ne vient ni ne sort aprĂšs 22 heures », a dit ma mĂšre Ă  Um Yazid.

Le lendemain, je suis allĂ© sur le chantier avec ma mĂšre et Hamza. AprĂšs un rapide coup d’Ɠil, nous n’avons rien trouvĂ© d’étrange. Mais en examinant les travaux de plus prĂšs, nous avons dĂ©couvert plusieurs dalles de bĂ©ton sous l’escalier intĂ©rieur, chacune mesurant environ 2,5 mĂštres de long. Nous avons Ă©galement trouvĂ© une zone de terre fraĂźchement remuĂ©e Ă  droite de notre maison et du mur qui l’entourait.

Mon frĂšre Hamza et moi avons creusĂ© cette terre pendant que notre mĂšre regardait. Nous tombons bientĂŽt sur une porte mĂ©tallique fermĂ©e par un cadenas. Nous n’avions aucune idĂ©e de ce que c’était ni pourquoi c’était lĂ . Hamza et moi avons rapidement recouvert la zone de terre et sommes allĂ©s directement chez notre voisin.

Avant notre visite, Um Yazid nous a racontĂ© que certaines nuits, elle regardait par les fenĂȘtres de son immeuble de quatre Ă©tages le mur qui entourait notre maison et voyait arriver une camionnette. Les gens sont sortis du vĂ©hicule et ont accrochĂ© une bĂąche pour cacher ce qu’ils faisaient. Um Yazid a entendu des bruits de chargement et de dĂ©chargement et a ressenti des vibrations creusĂ©es venant du terrain vide derriĂšre notre maison. Il soupçonnait que quelqu’un creusait un tunnel.

Le lendemain de l’inspection de la maison, Um Yazid nous a appelĂ© pour nous dire que les hommes Ă©taient revenus dans la soirĂ©e. Ma mĂšre ne voulait pas que j’y aille, mais je me suis habillĂ© et je suis allĂ© seul Ă  la maison inachevĂ©e. Quand j’ai atteint la porte en fer de la maison, j’ai commencĂ© Ă  entendre le mouvement des gens Ă  l’intĂ©rieur. J’ai frappĂ© Ă  la porte et une personne masquĂ©e l’a ouverte et m’a demandĂ© de reculer un peu. Puis il l’a fermĂ© et m’a demandĂ© qui j’étais. D’un air de dĂ©fi, je lui ai dit que j’étais le propriĂ©taire de la maison. « Qui es-tu ? » lui ai-je demandĂ©.

Rencontrer des hommes masquĂ©s est une chose Ă  laquelle nous sommes habituĂ©s dans diffĂ©rents aspects de la vie Ă  Gaza. Nous discutons. Je lui ai dit que mon oncle, qui Ă©tait membre du Hamas et procureur au sein de leur gouvernement, les empĂȘcherait de construire un tunnel. L’homme au masque a insistĂ© sur le fait qu’ils continueraient comme ils le voulaient. Il m’a dit que je ne devais pas avoir peur et que ce ne serait qu’une petite piĂšce fermĂ©e qui resterait enfouie sous terre. Personne ne pouvait entrer ou sortir. En outre, il m’a dit que ce n’est qu’en cas d’invasion terrestre israĂ©lienne de cette zone et de dĂ©placement des habitants que ces salles seraient utilisĂ©es pour fournir des armes.

« Nous ne voulons pas vivre au-dessus d’un dĂ©pĂŽt d’armes », lui ai-je dit, juste avant qu’il ne me force Ă  partir.

Les travaux se sont poursuivis et Um Yazid a continuĂ© Ă  nous informer de l’activitĂ© nocturne. Hamza et moi, qui lui rendions visite toutes les quelques semaines, trouvions toujours la mĂȘme porte. Nous n’étions jamais sĂ»rs de ce que nous pouvions faire ni de ce qui se passait rĂ©ellement derriĂšre elle. Notre oncle nous a assurĂ© que nous n’avions rien Ă  craindre.

En fĂ©vrier 2014, je me suis mariĂ© et j’ai quittĂ© le domicile familial. La mĂȘme annĂ©e, ma mĂšre Hamza et mes deux petites sƓurs ont emmĂ©nagĂ© dans la maison nouvellement achevĂ©e. Avant cela, Hamza et moi avons creusĂ© Ă  nouveau et cette fois nous n’avons trouvĂ© qu’un mĂštre de sable puis une grande dalle de ciment. Nous l’avons couvert, croyant qu’ils avaient finalement fermĂ© la « piĂšce » sur l’insistance de notre oncle.

Depuis lors, ma famille ou leurs voisins entendaient des bruits ou des mouvements de temps en temps. Parfois, ils se demandaient s’il y avait rĂ©ellement des tunnels, s’ils Ă©taient actifs. Ma famille avait trop peur pour en parler Ă  qui que ce soit, c’était donc notre secret. C’était honteux, mĂȘme si nous savions que nous Ă©tions profondĂ©ment opposĂ©s Ă  ce que le Hamas avait fait de l’autre cĂŽtĂ© de cette dalle de ciment.

Quand quelque chose n’est pas dit pendant si longtemps, il commence Ă  sembler impossible que la vĂ©ritĂ© soit un jour connue. J’ai toujours espĂ©rĂ© qu’un moment viendrait oĂč ma famille et d’autres comme nous seraient autorisĂ©s Ă  parler de ces tunnels, de la vie dangereuse que le Hamas imposait aux Gazaouis. Maintenant que je suis dĂ©terminĂ© Ă  en parler ouvertement, je ne sais mĂȘme pas si cela compte.

Ma famille a Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©e vers le sud peu aprĂšs le 7 octobre. Quelques mois plus tard, nous avons reçu des photos de notre maison et de notre quartier, tous deux en ruines. Il ne saura peut-ĂȘtre jamais si la maison a Ă©tĂ© dĂ©truite par les attaques israĂ©liennes ou par les combats entre le Hamas et IsraĂ«l. Mais le rĂ©sultat est le mĂȘme. Notre maison, ainsi que de nombreux autres membres de notre communautĂ©, ont Ă©tĂ© rasĂ©s, accompagnĂ©s d’une histoire et de souvenirs inestimables.

Et c’est l’hĂ©ritage du Hamas. Ils ont commencĂ© Ă  dĂ©truire ma maison familiale en 2013 en construisant des tunnels en dessous. Ils ont continuĂ© Ă  menacer notre sĂ©curitĂ© pendant une dĂ©cennie : nous avons toujours su que nous pourrions devoir Ă©vacuer Ă  tout moment. Nous avons toujours eu peur de la violence. Les habitants de Gaza mĂ©ritent un vĂ©ritable gouvernement palestinien qui soutient les intĂ©rĂȘts de ses citoyens, et non des terroristes qui mettent en Ɠuvre leurs propres plans. Le Hamas ne combat pas IsraĂ«l. Ils dĂ©truisent Gaza.

Par Jehad Al-Saftawi – TIME.


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