Le billet de Charles Rojzman frappe par sa clarté brutale : il rappelle que l’obsession antisémite échappe à la raison, qu’elle est une mécanique immuable, traversant les siècles et se réinventant sous de nouveaux masques. Pour beaucoup, écrit-il, la disparition d’Israël est devenue une « promesse de rédemption », comme si l’existence même du peuple juif constituait un scandale permanent.
L’histoire européenne en a donné la matrice : du « peuple déicide » au « corrupteur cosmopolite », des pogroms médiévaux à la Shoah, le Juif a été systématiquement désigné comme le porteur du mal. Et lorsque l’Europe sécularisée a cru s’émanciper de ses vieilles haines religieuses, elle a simplement troqué les dogmes théologiques pour des accusations sociales et politiques : le banquier, le révolutionnaire, l’apatride. Toujours, le même schéma : ce peuple incarne le négatif, il est le miroir commode des angoisses et des fautes des autres.
Aujourd’hui, cette obsession a changé d’échelle. Ce n’est plus seulement l’individu juif qui est visé mais Israël, l’État juif. Ce transfert symbolique n’a pas modifié le mécanisme : la culpabilité est devenue nationale. Israël, parce qu’il a survécu à l’histoire et s’est affirmé comme puissance souveraine, est perçu comme une offense à l’ordre du monde. Dès lors, il devient le bouc émissaire global. Les slogans qui saturent les manifestations — « Justice pour la Palestine », « Israël criminel » — rejouent l’antique refrain : la victime est coupable de sa propre persécution, sa défense est un crime, son existence même un scandale.
Le vocabulaire a changé, mais la fonction reste identique. Hier les croix gammées, aujourd’hui les banderoles d’ONG ; hier les sermons religieux, aujourd’hui les incantations humanitaires. Israël est accusé d’être colonial, raciste, génocidaire. Ses ennemis se proclament défenseurs de l’universel, persuadés d’incarner le Bien. Mais comme le souligne Rojzman, il s’agit toujours du même processus d’inversion : transformer la cible en symbole du mal absolu pour se sauver soi-même.
Ce mécanisme se manifeste avec une intensité particulière dans les forums internationaux, les médias et les universités occidentales. Ce n’est plus « À mort le Juif », mais « Boycott Israël » ou « Israël apartheid ». Pourtant, le ressort psychologique est le même : désigner un peuple ou un État comme coupable universel, pour expier ses propres fautes. Le Palestinien est érigé en figure christique, victime rédemptrice des colonisations européennes ; Israël, en bourreau métaphysique.
La force de ce texte est de montrer que l’antisémitisme n’a jamais véritablement parlé des Juifs. Il a toujours parlé des autres : de l’Occident qui voulait masquer son histoire coloniale, du monde musulman qui projetait sur eux ses humiliations, des modernes qui cherchaient un responsable à leurs désordres. Les Juifs n’ont jamais été coupables : ils ont été l’alibi, l’écran sur lequel d’autres ont projeté leur besoin de purification.
Aujourd’hui, la haine s’est « sophistiquée », comme le rappelle Rojzman. Elle a changé de syntaxe, abandonnant les outrances raciales pour le lexique des droits de l’homme. Mais son essence demeure : l’obsession qu’il existe encore un peuple qui a survécu à toutes les catastrophes et qui, au lieu de disparaître ou de tendre l’autre joue, ose proclamer sa souveraineté, défendre ses frontières et tenir une arme.
Cette réflexion éclaire l’actualité brûlante. Les accusations de « génocide » contre Israël, portées par certains chercheurs ou militants, s’inscrivent exactement dans ce cycle de culpabilisation. Elles prolongent le vieux schéma : impossible innocence, impossible légitimité. De siècle en siècle, le discours s’adapte mais la cible reste la même.
En conclusion, la formule de Rojzman résonne comme une alerte : Israël est devenu pour le monde contemporain ce que le Juif était pour l’Europe médiévale et moderne — le signe d’infamie nécessaire, le coupable par essence, la figure à abattre pour que d’autres puissent croire en leur vertu. Cette continuité tragique rappelle que la lutte contre l’antisémitisme ne peut se réduire à des condamnations de façade. Elle exige une lucidité politique et morale : reconnaître que derrière le masque du militantisme humanitaire, c’est la vieille haine immuable qui se rejoue. Et que la survie d’Israël demeure l’épreuve ultime de la sincérité du monde libre.
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