Le livre de Ruth nous introduit dès son début dans l’antichambre du récit: l’action se situe à l’époque de la judicature, une famine oblige une célèbre famille de Bethléem à émigrer vers le pays de Moav. Le père, Elimelech, se morfond de douleurs lorsque ses deux fils lui annoncent leur intention d’épouser des filles moabites. Cette tragédie familiale coutera non seulement la vie à Elimelech, mais sera suivi très rapidement aussi par la disparition de ses deux garçonsen terre étrangère. Nos sages s’interrogent sur les raisons d’un tel drame : leur réponse est sans appel, ils ont abandonné la terre d’Israël ! L’introduction de ce livre célèbre met face à face Israël et sa responsabilité unique de mettre en valeur et de faire valoir la terre offerte par l’Eternel D.ieu d’Israël. Le midrash explicite le sujet et raconte que jamais au grand jamais l’Eternel de miséricorde n’exige de ses enfants une prise de conscience immédiate. Elimelech et ces deux garçons, Mahlon et Kahlon avaient reçu un certain nombre de signes avant-coureurs, leurs chevaux avaient péri, puis leurs chameaux, leurs ânes, ce n’est qu’ensuite que la mort survint et encorepas tous ensemble mais bien l’un après l’autre. Certes notre maître Maimonide enseigne qu’en cas de famine il est permis de quitter Eretz Israël, néanmoins il faut y réfléchir avec droiture avant de prendre une telle décision. Grâce à D.ieu, aujourd’hui, ce n’est plus un cas de figure et qui plus est le Rambam termine son propos en déclarant que si jamais cela se devait d’être, ce ne serait pas une ‘attitude noble’. Certains individus s’imposent toutes sortes de rigueur rigoureuse bien au-delà de ce que la loi, pure et dure, leur demande, toutefois il serait de bon aloi d’appliquer cette règle à l’ensemble des prescriptions toraniques, comme celle de résider en terre d’Israël, coute que coute. Le Rambam, toujours lui, avertis les dirigeants de ne point délaisser la terre envers et contre tous les aléas possibles, sinon cela révèlerait une méconnaissance et une inconsistance quant à l’alliance établie par D.ieu avec les Hébreux. Le récit commence donc par une critique acerbe du comportement de cette famille et va peu à peu se recentrer grâce à Noémie, la mère veuve, qui décide de rentrer vers son foyer ancestrale. L’une de ses brus, Orpa, préfère retourner chez ses parents, l’autre, Ruth, insiste pour la suivre et la soutenir dans son deuil et sa misère : « où tu iras, j’irai, où tu demeureras, je demeurerai. Ton peuple sera mon peuple et ton D.ieu sera mon D.ieu, seule la mort nous séparera. » Déclaration d’un amour à tout prix, une histoire d’amour qui va se dérouler à la lumière et à la chaleur du pays d’Israël. Le regard est ému, les gestes tendres se consacrent au labeur de la terre, empli d’une espérance où la conjugaison de l’hébreu avec sa terre sera porteuse des fruits de leur passion. Toutes les rencontres n’engendrent pas les attentes souhaitées pour Israël, seule sa conjugalité avec sa terre promise promet les vrais lendemains. Arrivés a Bethléem, pauvres et abandonnées, Noémie et Ruth sont protégées et secourues par un de leurs parents, Boaz, un riche notable aussi Juge d’Israël. La personnalité de ce dernier est emblématique, il ne peut résister aux commandements liés au terroir malgré ses responsabilités politiques, et c’est donc la nuit à la lueur de la lune et des étoiles qu’il sort ensemencer ses terres. Certains individus pensent impossible le mariage du corps et du Moi ou si vous préférez l’union de la matière avec l’esprit. Concernant la nation d’Israël, cela est vrai lorsque le peuple est déchu de sa souveraineté et qu’il se retrouve mis en exil et dispersé, mais en aucun cas quand la terre et le peuple se rejoignent, bien au contraire ! Un jeune juif arrivé de France me posa une question originale : « comment est-ce possible de délaisser la torah et de travailler en Israël ?! Peut-être bien, alors, que les seconds servent aux premiers! » Il est clair que de tels propos sont d’abord et avant tout le fruit d’une éducation exilique et fourvoyante, l’expression d’une ignorance totale des textes fondamentaux et en particulier d’une méconnaissance maladive du livre des livres, c’est-à-dire du Tanach’ (la bible). Il existe là un manquement d’appréciation quant à l’évènement et l’avènement du peuple et de l’état Hébreu, mais peut être une volonté insidieuse de préserver les acquis communautaires face aux exigences de la nation d’Israël. Durant plus de 1800 ans il nous fallut préserver notre identité spirituelle, survivre et réussir à traverser le temps et l’espace d’un exil maudit, ‘on ne peut rentrer chez le tanneur et ressortir sans odeur’. De retour au pays, la matière, le corps, le séculier recouvraient leurs lettres de noblesse grâce aux enfants revenant à la maison et consacrant, par leurs efforts, une réalité profane en un sanctuaire pour un Eternel D.ieu d’Israël, languissant son peuple et sa terre. Rien de comparable avec nos pérégrinations galoutiques qui nous salirent, nous dépravèrent et nous souillèrent, ici sur cette terre choisie par D.ieu, travailler son sol, nous rend gracieux, agréable et attentif à l’être prochain. Boaz le juge, le paysan, se nourrissait des produits de son fermage et devenait plus débonnaire, son bon cœur n’était que le reflet de son être vivant et vibrant. En Eretz Israël aucune divergence ni même antinomie entre la matière et l’esprit, nul besoin d’éliminer l’un au soit disant profit de l’autre, il est possible de demeurer le noble et l’idéaliste de cette osmose.
Le rayonnement moral de Ruth, sa bonté et sa pureté forcent l’admiration de Boaz qui, réalisant l’institution du rachat et du lévirat, restitue a Noémie son patrimoine et épouse Ruth. Prosélyte venue du dehors « s’abriter sous les ailes du D.ieu d’Israël », Ruth dépasse par le prestige moral de sa personne tous les Hébreux de naissance. Comme autrefois Tamar la bru de Yehuda et l’aïeule de Boaz, Ruth permet à l’histoire providentielle de se continuer. Elle est comme un relais sur la route qui de yehuda mène messianiquement à David.