Le monde religieux israélien en ébullition : polémique autour d’un appel rabbinique contre la contraception féminine

Une nouvelle tempête secoue le secteur religieux en Israël. Un texte signé par le grand rabbin David Yossef, fils du regretté Rav Ovadia Yossef et actuel « Rishon LeTsion », appelle les femmes à renoncer à toute forme de contraception. Diffusée dans les bulletins de Shabbat et affichée dans plusieurs mikvaot à travers le pays, cette directive a immédiatement suscité une onde de choc dans la société israélienne, bien au-delà du monde orthodoxe.

Le message, sobrement intitulé « Bnot Israël Haykarot » – « Chères filles d’Israël » – exhorte les femmes à ne pas retarder les grossesses, et à considérer toute méthode de prévention comme un acte interdit « sauf en cas de nécessité médicale réelle et après consultation d’un rav compétent ». Selon le rabbin David Yossef, la multiplication de l’usage de moyens contraceptifs mettrait en danger la continuité du peuple juif. L’appel a été relayé dans plusieurs journaux communautaires et accompagné de citations d’autres rabbins influents affirmant que « la femme juive a été créée pour enfanter et multiplier la lumière d’Israël ».

Mais en l’espace de quelques heures, la réaction a été fulgurante. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses femmes pratiquantes ont dénoncé une prise de position « archaïque et violente ». Dans le groupe Facebook Féministes halakhiques, on pouvait lire des messages indignés : « C’est révoltant ! Nous ne sommes pas des machines à enfants », ou encore : « Les rabbins devraient s’occuper des violences domestiques plutôt que de nos utérus. » D’autres rappellent que de nombreux décisionnaires halakhiques, y compris dans le courant sioniste-religieux, autorisent l’usage de moyens contraceptifs sous supervision rabbinique et pour le bien-être du couple.

Interrogée par Israël Hayom, la porte-parole du grand rabbinat a tenté de calmer les esprits : « Il n’y a rien de nouveau dans cette directive. Des instructions similaires existent depuis des années dans les mikvaot, notamment pour rappeler qu’une décision aussi délicate doit être prise avec discernement et non à la légère. » Pourtant, selon plusieurs responsables de mikvaot contactés par N12, le ton et la diffusion massive de cette lettre, désormais signée par le chef spirituel du courant shas, donnent au message une dimension quasi-officielle.

L’affaire prend une tournure politique : des députées du camp centriste et de gauche ont dénoncé une « ingérence religieuse intolérable dans la vie des femmes ». La députée Naama Lazimi (Parti travailliste) a déclaré : « Cette lettre illustre parfaitement la dérive théocratique qui gagne certains milieux. Les femmes ne sont pas la propriété de la halakha, et la maternité ne se décrète pas par décret rabbinique. »
À droite, plusieurs voix religieuses défendent la légitimité du rabbin Yossef. Le député Moshe Arbel (Shas) affirme : « La Torah défend la vie et bénit la fécondité. Ceux qui s’offusquent d’un appel à respecter cette valeur fondamentale démontrent leur éloignement de nos racines. »

Cette controverse n’est pas anodine. Elle s’inscrit dans un climat de tension plus large entre les autorités religieuses et les mouvements féminins israéliens. Depuis plusieurs années, des voix de femmes orthodoxes réclament une interprétation plus moderne du droit rabbinique, notamment sur les questions de fertilité, de divorce et de place des femmes dans les institutions religieuses. La diffusion d’une telle lettre, au moment où la société israélienne débat de la relation entre religion et État, agit comme un catalyseur émotionnel.

Au sein même du public religieux, les avis divergent. Des enseignants de yeshivot soulignent qu’« aucune autorité sérieuse ne prône d’interdire toutes les formes de contraception », tandis que d’autres, plus traditionalistes, voient dans l’appel du Rav Yossef un rappel bienvenu de la mission divine assignée à la femme juive. Une éducatrice religieuse confie à Haaretz : « Il existe un vrai malaise. D’un côté, les familles religieuses vivent une pression énorme pour procréer. De l’autre, de nombreuses femmes souffrent d’épuisement, de pauvreté, et de manque de soutien. »

En toile de fond, cette polémique révèle une fracture générationnelle. Les jeunes femmes religieuses, souvent diplômées et connectées, refusent de laisser aux autorités rabbinique la main sur leurs choix intimes. Leur réaction massive, amplifiée par les réseaux sociaux, prouve qu’une partie du judaïsme israélien aspire à redéfinir le rapport entre foi et liberté personnelle.

Ce débat dépasse la seule question de la contraception : il interroge le pouvoir de la religion dans la vie quotidienne, la place des femmes dans le judaïsme et la capacité d’Israël à concilier modernité et tradition. Dans un pays où la démographie est une arme politique et identitaire, chaque grossesse, chaque décision familiale devient un enjeu national.

L’appel du Rav Yossef, voulu comme un message spirituel, pourrait bien devenir un tournant sociétal : celui d’une génération de femmes décidées à affirmer que la foi n’exclut pas le droit de choisir.


Rédaction francophone Infos Israel News pour l’actualité israélienne
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