Selon la tradition, la destruction du Premier Temple fut  causĂ©e  par  la  transgression  des  trois  mĂ©faits  les plus  strictement prohibĂ©s dans le judaĂŻsme: le meurtre, lâidolĂątrie et la dĂ©bauche. Ce sont en effet des interdits sur lesquels la Torah nous prescrit clairement: ŚŽVous mourrez mais vous ne les enfreindrez point !ŚŽ En revanche, câest Ă cause dâun seul crime, la haine gratuite, que le Second Temple a Ă©tĂ© dĂ©truit par les armĂ©es romaines !
Il existe  deux  formes  psychologiques  de  la  haine : la  haine de lâautre et la haine de soi â cette derniĂšre nâapparaissant pas en gĂ©nĂ©ral en tant que telle. Mais il faut comprendre que les deux ont une racine commune, le refus de la structure mentale Ă admettre ce qui lui est Ă©tranger.
La haine gĂ©nĂšre la guerre et se manifeste dans la guerre. La phrase dâAndrĂ© Malraux, dans Les noyers dâAltenburg :
ŚŽQue la victoire dans cette guerre reste Ă ceux qui lâauront faite sans lâaimer ŚŽ, exprime un vĆu rĂ©futĂ© dans la rĂ©alitĂ© de la quasi-totalitĂ© des conflits. Autrement, comment saisir que des millions et des millions de personnes Ă travers toute  lâhistoire  humaine  puissent,  en  une  fraction  de seconde, abattre des personnes qui leur sont inconnues et ĂȘtre tuĂ©s par elles ? Et, lorsque les composantes de ce rĂ©servoir de haine ne sont pas formellement dĂ©signĂ©es, alors elles se manifestent secrĂštement sous les formes du mĂ©pris, de la xĂ©nophobie et du racisme.
On aurait pu penser que pendant la période du second temple, le comportement des Juifs aurait été moins sujet à  récrimination. Mais le Talmud contredit cette réflexion et propose de juger les deux tragédies de la haine en fonction de leurs conséquences pour Israël dans le temps.
Le Talmud apprĂ©hende la faute de la haine gratuite, devenue  si  courante  à  lâĂ©poque  du  second  Temple, comme Ă©tant bien plus sĂ©rieuse que les trois interdits prĂ©alablement Ă©voquĂ©s. Selon lui, en ces temps troublĂ©s, le peuple juif pouvait paradoxalement cĂ©lĂ©brer la Torah et ces lois, pratiquer la charitĂ© envers autrui, et en mĂȘme temps, ĂȘtre  capable de sâabandonner Ă une haine dĂ©vastatrice et injuste ! Comment concevoir une telle contradiction ? Comment le peuple juif pouvait-il en mĂȘme temps Ă©tudier la Torah et se laisser aller Ă tant de haine ? Sâil agissait de la sorte, Ă©tait-ce en raison des carences dans son Ă©tude ? Comment pouvait-on observer les commandements tout en haĂŻssant lâautre?  Nâest-il  pas Ă©crit : ŚŽTu aimeras ton prochain comme toi-mĂȘmeŚŽ ? Le peuple avait-il donc omis dâĂ©tudier ce  commandement ? Et lorsquâil est question dâaltruisme, comment accorder ce trait de caractĂšre avec la haine gratuite ?
Il est intĂ©ressant de constater quâil suffit quâun certain nombre de personnes soient rĂ©unies par hasard dans le compartiment dâun train et quâelles sympathisent entre elles pour que soudain tous les autres passagers soient considĂ©rĂ©s dâun Ćil mĂ©fiant, si ce nâest vaguement hostile. Câest ainsi que commence tout sectarisme : des hommes parlent entre eux et les voilĂ misogynes, des autochtones se rencontrent et les voilĂ xĂ©nophobesâŠ
OĂč que lâon soit, avec qui que ce soit, un instinct grĂ©gaire nous rapproche et nous distingue du reste du monde : il y a âles miensâ⊠et il y a âles autresâ â et les manquants ont toujours tort ! Au niveau individuel, un homme cherchant Ă sâaffirmer se compare Ă un autre : lâautre, câest lâhorreur (ça rĂ©flĂ©chit ! ça ne me ressemble pas !  Câest  tellement  insolite,  il  nâest  pas  certain  quâil admette mes aptitudes !) il vit malgrĂ© que cela me gĂȘne et il mâest pourtant indispensable ! Il cherche Ă se distinguer, Ă se dĂ©couvrir lui-mĂȘme, il doit concĂ©der les limites du soi que  lâautre personnifie. Lâautre est une nĂ©gation de soi, le groupe  aura une mĂȘme impression face Ă un milieu inhabituel et qui peut ĂȘtre perçu comme opposĂ©. Il paraĂźt inacceptable que dâautres prĂŽnent des valeurs diffĂ©rentes, agissent de concert, mais pas comme nous. MĂȘme avec les  meilleurs  sentiments  du  monde  (par  exemple  en considĂ©rant que les Ă©trangers  sont des ĂȘtres de valeur parce que diffĂ©rents), nous nâĂ©vitons pas les guerres de clocher, ou plus exactement de synagogue : nous parlons, dans le meilleur des cas, dâintĂ©gration (il sâagira dâintĂ©grer les autres dans notre systĂšme), comme si les autres ne devaient pas rester trop longtemps hors de la sphĂšre qui est la nĂŽtre.
Chacun reprochera Ă son prochain de ne pas saisir lâĂ©vidente concordance de ses rĂšgles â lâautre Ă©tant fautif dâĂȘtre diffĂ©rent. Sa diffĂ©rence est perçue comme un dĂ©ni de communiquer. On lâincrimine de vouloir Ă©tablir une rupture inadmissible â et quand on le peut, on va pourtant jusquâĂ lâobliger, lui, Ă nous reconnaĂźtre ! On dĂ©sirerait bannir la diffĂ©rence jusquâĂ provoquer lâĂ©ruption dâun sentiment de meurtre pour que, enfin, nous ne soyons plus quâentre nous.
Les  autres  sont  des  objets  de  tentation  qui  nous fuient. Ils ne sont cependant pas des choses, nous le voudrions bien pourtant, et nous tentons sans cesse de les  transformer, de les exploiter, de les torturer jusquâĂ leur faire  admettre notre supĂ©rioritĂ©. Il faut vaincre pour convaincreâŠ
En rĂ©alitĂ©, les Juifs de lâĂ©poque saisissaient le commandement dâaimer son prochain Ă leur façon : ils allĂ©guaient que  ceux  sur  lesquels  la  Torah  discutait, nâĂ©taient que leurs âprochesâ, les gens de leur milieu, de leur groupe, et certainement pas lâensemble du peuple ! Ils estimaient ainsi possĂ©der la science infuse, tandis que les autres Ă©taient dans lâerreur et mĂ©ritaient la mort. Pour ces leaders de clans, le monde Ă©tait divisĂ© en deux parties : les  âbonsâ qui faisaient partie de leur entourage, et les autres quâils haĂŻssaient uniquement parce quâils nâĂ©taient pas de leur  avis. Ils disaient : ââQuiconque est diffĂ©rent de moi est mon ennemi !ââ
La haine gratuite nâest rien dâautre que la nĂ©gation de lâautre !
On est violent parce quâon ne sâaime pas, parce quâon se  nie  soi-mĂȘme.  La  brutalitĂ©  mâabandonne  lorsque je  suis  capable  de  mâaffirmer  moi-mĂȘme,  câest  une invraisemblance  car  on  croit  souvent  que  nâĂȘtre  pas violent, câest ŚŽpenser aux autresŚŽ, donc limiter lâaffirmation de soi. Or câest lâillusion sur laquelle repose toute violence, lâillusion  que nier lâautre câest sâaffirmer soi-mĂȘme; que lâaffirmation de soi implique la nĂ©gation de lâautre. Câest le contraire qui est vrai, la violence, la  nĂ©gation de lâautre, repose sur une  profonde nĂ©gation de soi, sur la haine de soi. Inversement,  lâauthentique rĂ©vĂ©lation de soi est toujours aussi rĂ©vĂ©lation de lâautre !
Le juste amour de soi est amour de lâautre, câest ce que  les sages nous enseignent. La sagesse, câest une rĂ©ception  inconditionnelle de lâĂȘtre, de soi et de lâautre. Câest  lâaffirmation  souveraine,  le  oui  sans  rĂ©serve  à lâabondance de la vie, Ă la naissance et Ă la mort des ĂȘtres. La sagesse est un oui Ă lâexistence et le sage est donc dans  lâaffirmation absolue de soi-mĂȘme, et câest ce qui lui permet  dâĂȘtre dans lâaffirmation, dans la confirmation absolue de lâautre. Face Ă un sage, on se sent accueilli inconditionnellement, on se sent aimĂ©. La violence est un non ontologique alors que la sagesse est un oui existentiel. La sagesse est la seule vĂ©ritable non-violence.
Mais  que  signifie  âhaĂŻr  gratuitementâ ?  Lorsquâelle motivĂ©e par la conduite pernicieuse du prochain, la haine nâest donc pas vraiment gratuite et sans raison, mais elle nâen  demeure pas moins interdite. Au lieu dâ haĂŻr notre prochain, essayons de le comprendre et surmontons notre ressentiment malsain que lâon Ă©prouve pour lui.
Le  premier  entendement  est  la  conception  initiale de soi Ă soi, car comprendre, câest prendre avec soi. La principale intimitĂ© est la familiaritĂ© originelle de soi Ă soi, car nul ne saurait ĂȘtre lâintime de qui que ce soit, sâil nâest dâabord  lâintime de lui-mĂȘme. Câest uniquement quand la conscience  de soi est indĂ©niable que la conscience de lâautre peut  également lâĂȘtre, mĂȘme quand elle est extĂ©rieure Ă la pensĂ©e, dans le cĆur par exemple ! Câest dans lâharmonie du sentiment, au-delĂ de toute diffĂ©rence et distinction, que vient sâinstaller la facultĂ©. Il nâexiste pas de confusion ni de rupture dans le renvoi Ă soi mais unitĂ©. Il y a Ă©veil de lâun par lâautre, comprĂ©hension au sens pur du terme de lâun par lâautre, câest-Ă -dire prise de lâun en lâautre et lâautre et lâun. Les termes autre et un ne sont pas rĂ©versibles, car lâautre est dans lâun et câest dans lâun que lâautre est aimĂ© et acceptĂ© pour ce quâil est.
Dans les milles façons de sâexprimer, de raconter lâunitĂ©, il y a celle qui se hasarde au jeu de la diffĂ©rence et qui dĂ©cide que, dans cette totalitĂ©, tout sert Ă lâunitĂ©, rien ne peut ĂȘtre en dehors dâelle. Elle est la voix qui dit dâouvrir les bras et le cĆur et de prendre tout en soi, de prendre tout, câest lâacceptation. Le Oui intĂ©gral Ă la Vie, Ă la vie qui est prĂ©cisĂ©ment le jeu de lâunitĂ© dans la multiplicitĂ©. Ce  que  nous  avons  besoin  de  redĂ©couvrir  encore  et encore, ce nâest pas tant de reconnaĂźtre par la pensĂ©e que lâautre est autre et tout autre, que dâaller trouver lâautre en soi-mĂȘme. Visitez les demeures des autres qui sont en vous, allez rencontrer les autres qui sont en vous.  Faites lâexercice de retrouver en vous â par le sentiment le plus profond â la prĂ©sence de lâautre.
Dans son introduction Ă son commentaire sur la Torah intitulĂ©  Hamek  Davar,  le  Natziv,  Rabbi  Naphtali Tzvi Yehouda Berlin, estime que la haine gratuite est lâexclusion de personnes diffĂ©rentes de soi ou appartenant Ă un autre courant de pensĂ©e que le sien : on ne hait pas de haine gratuite une  personne spĂ©cifique, mais on peut haĂŻr un groupe de personnes. Pourtant, chaque ĂȘtre humain est diffĂ©rent de lâautre et ce droit Ă la diffĂ©rence est essentiel. (A SUIVREâŠ)
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RONY toujours aussi clair dans tes explications BRAVO….