Les chercheurs de Rehovot découvrent pourquoi les personnes qui ont perdu la vue continuent de « voir »

En 1769, un mĂ©decin suisse du nom de Charles Bonnet a remarquĂ© comment son grand-pĂšre complĂštement aveugle avait des visions vives et dĂ©taillĂ©es de personnes, d’animaux et d’objets. Il a ensuite Ă©tĂ© nommĂ© «syndrome de Charles Bonnet», mais les scientifiques n’ont pas compris comment cela Ă©tait possible.

DĂ©sormais, des chercheurs de l’Institut Weizmann des Sciences de Rehovot ont observĂ© des fluctuations spontanĂ©es lentes dans les centres visuels du cerveau qui ont prĂ©cĂ©dĂ© les hallucinations visuelles chez les personnes ayant perdu la vue. Il vient d’ĂȘtre publiĂ© dans la revue Brain sous le titre «Comment les aveugles voient-ils » ? Le rĂŽle de l’activitĂ© cĂ©rĂ©brale spontanĂ©e dans la perception auto-gĂ©nĂ©rĂ©e.

Le professeur Rafael Malach et les membres de son groupe du dĂ©partement de neurobiologie de l’institut ont Ă©tudiĂ© le phĂ©nomĂšne des fluctuations spontanĂ©es de «l’état de repos» dans le cerveau. Ces mystĂ©rieuses fluctuations lentes, qui se produisent dans tout le cerveau, se produisent bien en dessous du seuil de conscience. MalgrĂ© de nombreuses recherches sur ces fluctuations spontanĂ©es, leur fonction est encore largement inconnue.

Le groupe de recherche a suggĂ©rĂ© que ces fluctuations sous-tendent les comportements spontanĂ©s. Cependant, il est gĂ©nĂ©ralement difficile d’étudier des comportements vĂ©ritablement spontanĂ©s de maniĂšre scientifique pour deux raisons. La premiĂšre est qu’instruire les gens Ă  se comporter spontanĂ©ment est gĂ©nĂ©ralement un tueur de spontanĂ©itĂ©. DeuxiĂšmement, il est difficile de sĂ©parer les fluctuations spontanĂ©es du cerveau des autres activitĂ©s cĂ©rĂ©brales liĂ©es Ă  la tĂąche. La question Ă©tait : comment pouvaient-ils isoler un cas de comportement vraiment spontanĂ©, spontanĂ©, dans lequel le rĂŽle de l’activitĂ© cĂ©rĂ©brale spontanĂ©e pourrait ĂȘtre testĂ© ?

Les personnes souffrant d’hallucinations visuelles de Charles Bonnet ont offert au groupe une rare occasion d’enquĂȘter sur leur hypothĂšse. En effet, dans le syndrome, les hallucinations apparaissent au hasard, de maniĂšre vraiment spontanĂ©e, et les centres visuels du cerveau ne traitent pas les stimuli extĂ©rieurs (car ces individus sont aveugles). En consĂ©quence, ils sont activĂ©s spontanĂ©ment. Dans une Ă©tude dirigĂ©e par le Dr Avital Hahamy, un ancien Ă©tudiant-chercheur du laboratoire de Malach qui est maintenant chercheur postdoctoral Ă  l’University College London, la relation entre ces hallucinations et l’activitĂ© cĂ©rĂ©brale spontanĂ©e a en effet Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e.

Les chercheurs ont d’abord invitĂ© dans leur laboratoire cinq personnes qui avaient perdu la vue et ont dĂ©clarĂ© avoir parfois des hallucinations visuelles claires. L’activitĂ© cĂ©rĂ©brale de ces participants a Ă©tĂ© mesurĂ©e Ă  l’aide d’un scanner IRM fonctionnel (IRMf) pendant qu’ils dĂ©crivaient leurs hallucinations au fur et Ă  mesure qu’elles se produisaient. Les scientifiques ont ensuite créé des films basĂ©s sur les descriptions verbales des participants et ont montrĂ© ces films Ă  un groupe tĂ©moin voyant, Ă©galement Ă  l’intĂ©rieur du scanner IRMf. Un deuxiĂšme groupe tĂ©moin Ă©tait constituĂ© de personnes aveugles qui avaient perdu la vue mais qui n’avaient pas eu d’hallucinations visuelles. On leur a demandĂ© d’imaginer des images visuelles similaires dans le scanner.

Étant donnĂ© que certains participants atteints du syndrome avaient une vision rĂ©siduelle, quoique minime, tous ceux qui ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©s ont Ă©tĂ© invitĂ©s Ă  fermer les yeux pendant toute la procĂ©dure de numĂ©risation. Les participants ont Ă©tĂ© formĂ©s Ă  parler sans bouger la tĂȘte, Ă  la fois Ă  l’extĂ©rieur et Ă  l’intĂ©rieur du scanner. Des rapports verbaux d’hallucinations dans le scanner ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s et lus aux participants Ă  l’extĂ©rieur du scanner Ă  la fin de chaque session, leur demandant de donner des dĂ©tails sur ces Ă©vĂ©nements hallucinatoires. Comme l’acuitĂ© visuelle de tous les participants s’est dĂ©tĂ©riorĂ©e Ă  un stade relativement tardif de leur vie, leur description des hallucinations Ă©tait basĂ©e sur leurs expĂ©riences visuelles antĂ©rieures.

Les mĂȘmes zones visuelles du cerveau Ă©taient actives dans les trois groupes – celles qui hallucinaient, celles qui regardaient les films et celles qui crĂ©aient des images dans l’Ɠil de leur esprit. Mais les chercheurs ont notĂ© une diffĂ©rence dans le moment de l’activitĂ© neuronale entre ces groupes. Tant chez les participants voyants que chez ceux du groupe d’imagerie, l’activitĂ© s’est dĂ©roulĂ©e en rĂ©ponse soit Ă  une entrĂ©e visuelle, soit aux instructions dĂ©finies dans la tĂąche. Mais dans le groupe avec le syndrome de Charles Bonnet, les scientifiques ont observĂ© une vague d’activitĂ© progressivement croissante, rappelant les fluctuations spontanĂ©es lentes, qui ont Ă©mergĂ© juste avant le dĂ©but des hallucinations. En d’autres termes, les hallucinations n’étaient pas le rĂ©sultat de stimuli externes (images sensorielles ou instructions pour imaginer des choses spĂ©cifiques), mais Ă©taient plutĂŽt Ă©voquĂ©es en interne par le lent, spontanĂ©.

«Nos recherches montrent clairement que le mĂȘme systĂšme visuel est actif lorsque nous voyons le monde extĂ©rieur Ă  nous, lorsque nous l’imaginons, lorsque nous hallucinons et probablement aussi lorsque nous rĂȘvons», explique Malach. «Il illustre Ă©galement le pouvoir crĂ©atif de la vision et la contribution de l’activitĂ© cĂ©rĂ©brale spontanĂ©e Ă  des comportements spontanĂ©s et crĂ©atifs.»

En plus de la valeur scientifique du travail, Hahamy espĂšre que cela pourra sensibiliser au syndrome de Charles Bonnet, qui peut effrayer ceux qui en font l’expĂ©rience. «Ces personnes peuvent garder secrĂštes leurs hallucinations visuelles – mĂȘme celles des mĂ©decins et de la famille – et nous voulons qu’elles comprennent que ces visions sont le produit naturel d’un cerveau sain, dans lequel les centres visuels restent intacts, mĂȘme si les yeux ont cessĂ© de voir envoyez-leur des informations sensorielles », a conclu Hahamy.


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