Les juifs espagnols jouent dans une nouvelle sĂ©rie Netflix sur l’Inquisition

La sĂ©rie « Heirs of the Earth » (HĂ©ritiers de la Terre) qui a Ă©tĂ© créée sur Netflix le mois dernier semble, Ă  premiĂšre vue, un Ă©pisode de plus du genre croissant des drames d’époque espagnols.

D’une certaine maniĂšre, c’est le cas, car il prĂ©sente le mĂ©lange familier de romance, de violence et d’une dramatisation libĂ©rale des Ă©vĂ©nements historiques majeurs de l’Espagne mĂ©diĂ©vale qui ont fait de plusieurs productions espagnoles rĂ©centes telles que « Isabel » et « El Cid » des succĂšs internationaux.

Mais « HĂ©ritiers de la Terre » plonge Ă©galement dans ce que signifiait vivre en tant que juif en Espagne Ă  une Ă©poque oĂč le pays strictement catholique a commencĂ© sa descente dans la persĂ©cution organisĂ©e des minoritĂ©s qui a abouti Ă  l’Inquisition.

La sĂ©rie reflĂšte l’appĂ©tit croissant en Espagne pour explorer l’histoire locale en gĂ©nĂ©ral, en particulier ses chapitres juifs souvent ignorĂ©s.

Il est de plus en plus bien compris en Espagne que l’histoire sĂ©farade n’a rien Ă  voir avec ‘eux’ mais avec ‘nous’, a dĂ©clarĂ© David Hatchwell Altaras, ancien prĂ©sident de la communautĂ© juive de Madrid et l’un des co-fondateurs du projet de musĂ©e juif Ă  Madrid.

Les crĂ©ateurs de l’émission ont dĂ©clarĂ© vouloir aller au-delĂ  des scĂšnes dramatiques d’exĂ©cution et de violence typiques des productions espagnoles dramatisant l’histoire des Juifs sĂ©farades.

« Il y a de multiples rĂ©fĂ©rences Ă  l’Inquisition et Ă  l’antisĂ©mitisme dans la production historique rĂ©cente, mais je voulais aller plus loin et montrer la texture de la vie d’un Juif en Espagne juste avant l’expulsion », a dĂ©clarĂ© le producteur exĂ©cutif Jordi Frades.

La deuxiĂšme saison de « HĂ©ritiers de la Terre », basĂ©e sur un roman d’Ildefonso Falcones, suit la vie d’Hugo Llor, un personnage fictif nĂ© Ă  Barcelone au XIVe siĂšcle.

Fils analphabĂšte d’une femme de mĂ©nage, Llor a des dĂ©mĂȘlĂ©s avec la justice et trouve refuge dans une famille juive qui lui apprend Ă  devenir vigneron, lui ouvrant ainsi la voie vers les hautes sphĂšres de la sociĂ©tĂ©.

Son voyage nous offre une fenĂȘtre sur la rĂ©action de centaines de milliers de Juifs sĂ©farades au siĂšge qui a mis fin Ă  leur prĂ©sence en tant que communautĂ© dynamique dans la pĂ©ninsule ibĂ©rique.

Alors que les productions prĂ©cĂ©dentes sur l’Inquisition – y compris la sĂ©rie Netflix « La Catedral del Mar », que Frades a Ă©galement rĂ©alisĂ©e, et le film Netflix « Aquelarre de Hermanas » – dĂ©peignaient briĂšvement et principalement les Juifs comme des victimes malheureuses, « HĂ©ritiers de la Terre » va beaucoup plus loin.

Elle montre un juif apprenant le massacre des juifs Ă  Valence en 1391, alors mĂȘme qu’il maintient sa confiance dans le gouvernement et dans le roi, qui, Ă  l’époque, intervenait parfois pour protĂ©ger les juifs du lynchage, mais parfois il les ignorait ou les a encouragĂ©s.

Jucef Crescas , un personnage vaguement basé sur le philosophe juif réel Hasdai Crescas et son élÚve Joseph Albo , adopte des coutumes chrétiennes externes, comme porter une croix, et change son nom en Raymond. Mais il ne se consacre pas à la théologie chrétienne ou juive, mais à la science.

Une autre protagoniste, Regina Llor, est une mĂ©decin juive qui souhaite sincĂšrement se convertir pour obtenir l’acceptation qu’elle a toujours voulue et Ă©pouser Hugo, le protagoniste, qui n’est pas juif.

« En plus d’ĂȘtre juif, je suis une personne. Une femme. Un docteur. J’en ai marre d’ĂȘtre ignorĂ©. Qu’ils me crachent dessus dans la rue. Être humiliĂ©. J’en ai marre d’ĂȘtre juive », dĂ©clare Regina, jouĂ©e par la cĂ©lĂšbre actrice espagnole MarĂ­a RodrĂ­guez Soto, dans une scĂšne mĂ©morable.

Ailleurs, Dolça, une femme juive qui fut le premier amour d’Hugo, choisit la mort plutĂŽt que la conversion. Elle est exĂ©cutĂ©e par une foule de lyncheurs dans l’une des nombreuses scĂšnes sanglantes qui ont valu Ă  cette sĂ©rie une note mature. Dans une scĂšne prĂ©cĂ©dente, elle qualifie un non-juif de maniĂšre dĂ©sobligeante de « juste un chrĂ©tien », une reconnaissance de l’isolationnisme juif et des sentiments de supĂ©rioritĂ©.

La scĂšne de l’exĂ©cution Ă©tait « la premiĂšre fois que cette partie tragique de l’histoire juive Ă©tait montrĂ©e Ă  la tĂ©lĂ©vision » de cette maniĂšre en Espagne, selon Reconnect, une organisation Ă  but non lucratif qui cherche Ă  connecter les personnes d’origine sĂ©farade avec le judaĂŻsme. .

S’appuyant sur de multiples consultants et experts de l’histoire sĂ©farade, la sĂ©rie tente Ă©galement d’explorer de maniĂšre rĂ©aliste la maniĂšre dont les non-juifs traitaient les juifs Ă  l’époque. MĂȘme le protagoniste courageux et noble, jouĂ© par la superstar Yon Gonzalez, dit Ă  un moment donnĂ© de son ex-femme, qui s’était convertie principalement pour pouvoir l’épouser, « J’aurais aimĂ© que cette foutue juive soit restĂ©e en dehors de ma vie. »

Il tente Ă©galement de capter les communautĂ©s juives et les cercles professionnels de l’époque, des mĂ©decins juifs pratiquant des avortements sur les femmes chrĂ©tiennes (permettant la position plus permissive du judaĂŻsme sur l’interruption des grossesses) Ă  la production de vin casher exclusivement avec de la main-d’Ɠuvre juive, comme l’exige la loi juive.

(Il y a aussi quelques dérapages, comme plusieurs scÚnes dans lesquelles des juifs soi-disant dévots disent publiquement « Jéhovah », quelque chose de hautement interdit dans leurs cercles.)
Frades a dĂ©clarĂ© que la nouvelle sĂ©rie essaie de faire pour l’Inquisition ce que « La liste de Schindler » a fait pour l’Holocauste.

« Je dois admettre que j’ai trouvĂ© des rĂ©fĂ©rences pour expliquer ce qui s’est passĂ© Ă  ce moment-lĂ  dans ce que l’on peut voir dans ‘La liste de Schindler' », a-t-il dĂ©clarĂ©.

La rĂ©ception pour « Heirs of the Earth » a Ă©tĂ© bonne, a dĂ©clarĂ© Frades. Depuis sa premiĂšre le 15 avril, la sĂ©rie s’est glissĂ©e dans la liste des 10 Ă©missions les plus regardĂ©es de Netflix dans 50 pays, dont IsraĂ«l et la France, a-t-il dĂ©clarĂ©, citant des informations qui lui ont Ă©tĂ© fournies par Netflix.

« Je trouve cela incroyable car il y a eu trĂšs peu de promotion active et la sĂ©rie a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e avec un trĂšs petit budget », a dĂ©clarĂ© Frades. Il n’a pas voulu rĂ©vĂ©ler le budget, mais il a dit que « c’est beaucoup moins que ce que ‘Game of Thrones’ a payĂ© pour la restauration ».

Hatchwell, cofondateur du MusĂ©e juif de Madrid, n’est pas surpris de l’intĂ©rĂȘt du public pour la sĂ©rie.

La loi votĂ©e en 2013 en Espagne accordant la citoyennetĂ© aux descendants de juifs sĂ©farades a « braquĂ© les projecteurs sur l’Inquisition », a dĂ©clarĂ© Hatchwell. Le Portugal a Ă©galement adoptĂ© une telle loi en 2013. Des dizaines de milliers de descendants de Juifs sĂ©farades ont Ă©tĂ© naturalisĂ©s dans les deux pays en vertu de ces lois.

La promotion par le gouvernement des sites du patrimoine juif pourrait Ă©galement alimenter l’intĂ©rĂȘt pour le spectacle, a-t-il ajoutĂ©.

« Il y a une prise de conscience croissante que l’hĂ©ritage sĂ©farade est un hĂ©ritage espagnol », a dĂ©clarĂ© Hatchwell, citant une Ă©tude de 2008 dans laquelle des gĂšnes sĂ©farades ont Ă©tĂ© observĂ©s chez environ 20% des quelque 1 000 hommes espagnols testĂ©s.

L’étude de l’ascendance juive en Espagne, qui Ă©tait tabou jusqu’à la mort du dictateur pro-fasciste Francisco Franco en 1975, a Ă©tĂ© facilitĂ©e par l’avĂšnement d’Internet et des mĂ©dias sociaux.

Pour Hatchwell, l’intĂ©rĂȘt actuel pour l’Inquisition s’inscrit dans un intĂ©rĂȘt plus large pour l’histoire Ă  une Ă©poque oĂč l’Espagne est « expĂ©rimentĂ©e avec une question d’identité », alimentĂ©e par des tensions autour du sĂ©paratisme en Catalogne et des crises autour du nationalisme basque.

L’apparition de thĂšmes juifs dans la culture populaire espagnole est potentiellement un avantage pour des groupes comme Reconectar, qui tentent de jeter des ponts entre les descendants de juifs sĂ©farades et le monde juif.

« Une pĂ©riode importante de l’histoire est popularisĂ©e et n’a pas Ă©tĂ© pleinement discutĂ©e en raison de circonstances historiques », a dĂ©clarĂ© Ashley Perry (Perez), prĂ©sidente de Reconnect. Cette tendance profite Ă  de multiples initiatives, telles que la numĂ©risation des archives de l’époque de l’Inquisition pour la recherche gĂ©nĂ©alogique et l’adhĂ©sion de l’Espagne au Portugal pour Ă©tablir une journĂ©e nationale de commĂ©moration des victimes de l’Inquisition.

La politique intĂ©resse peu Frades, qui prĂ©tend que ses motivations sont purement narratives. « Il s’agit de dĂ©composer un grand rĂ©cit politique, une statistique, en histoires individuelles », a-t-il dĂ©clarĂ©.

« Il y a un dicton juif qui dit qu’il faut sauver le monde en sauvant une personne », a ajoutĂ© Frades. « Eh bien, dans le mĂȘme sens : si vous racontez l’histoire d’une personne, vous racontez l’histoire de tout un monde. »


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