Essayons d’entendre et de comprendre la corrélation entre deux concepts qui ne manquent guère d’actualité : la liberté et l’identité.

Pour cela, citons l’ouvrage d’Isaiah Berlin, philosophe anglais d’origine russe, écrit en 1958 : « deux conceptions de la liberté ». Il soumet à son lecteur une éventuelle distinction entre deux idées de la liberté, l’une qu’il qualifie d’une raison libérale et l’autre d’une raison romantique. La première est dite négative, la seconde est dite positive.

Le droit négatif se concentre autour d’une interrogation élémentaire qui fait valoir précisément le tourment incessant du libéralisme : « au sein de quel contexte l’individu-sujet pourrait-il agir ou se réaliser comme il l’entend et surtout sans l’immixtion des tiers ? » C’est le droit non-ingérant.

Différemment, toute la liberté positive se trouve ancrée au sein de la personne humaine comme entité créatrice, elle résulte d’une sincère aspiration de l’Homme à devenir le sujet de son verbe. C’est-à-dire d’être à même de se concevoir par sa propre conscience, s’émanciper des marges de l’ignorance et des libidos névrosées. C’est vouloir offrir toute latitude à l’innée de ses talents.
La notion d’un possible jugement autonome, chez le Rav Kook, n’a de pertinence morale qu’au moment où l’homme est impliqué dans l’étude plurielle et cohérente des idées, alors son choix devient exigence. Toutefois, au moment où l’on habite une vie imprégnée d’émotion épidermique et de sentiments matérialistes beaucoup plus qu’une vie fondée sur la réflexion et la création, on se retrouve inévitablement pris au piège des opinions préconçues. Peu importe, à cet instant, si nos idées sont oui ou non totalement ou partiellement emplies de préjugés ou de pensées conventionnelles. Il est un fait indéniable et avéré : le principe d’une éventuelle indépendance de l’esprit concernant la réflexion des masses est un leurre, un concept dénué de sens.

Ici le Rav Kook affirme sans ambages qu’il n’y a pas d’homme libre autre que celui qui s’engage dans l’étude pluraliste, concrète et réalisatrice de la Torah. La disponibilité de la pensée dont il nous entretient dans nombre de ces ouvrages concerne un pouvoir, celui de saisir tout le contexte culturel, historique philosophique et ésotérique. La faculté de méditer sur tout dessein, d’exprimer tout entendement, sans limitation aucune, suscite un ressenti au niveau moral et spirituel, une sorte de généreuse délivrance.

En vérité et néanmoins, Rav Kook pense que notre liberté ne serait en fait que l’expression faible et superficielle de la nature causale de la création. Si nous voulions un tant soit peu clarifier l’essence de ce concept dans la pensée du Maître, nous formulerions cela ainsi : elle est la toute-puissante manifestation d’une volonté foncière et des plus authentiques de Dieu au sujet de son œuvre créatrice. Elle constitue l’aveu le plus indubitable de l’esprit de soi, elle ne dépend pas d’une masse de ressources, elle est par-delà les choix et au-delà de toute théorie du droit comme du devoir.

Ma liberté sera la volition (le dessein) de ma volonté mise au face à face des velléités (tentations) du monde !

J’ai conscience des conséquences de l’inconsistance humaine, c’est-à-dire de ces situations conflictuelles où chaque-un se retrouve confronté aux terribles alternatives des exigences de son choix intime. Trop souvent, malheureusement, les gens provoquent leurs seuls instincts primaires et se dirigent, par ce qu’ils croient être leur libre arbitre, vers les méandres d’un quotidien bien éloigné de leur liberté fondamentale, plus brièvement, isolé de leur identité juste. Certes cela n’entraine pas nécessairement une pleine soumission des pouvoirs, même si dans son essai, Berlin avait sagement voulu nous mettre en garde, justement, contre toute éventuelle hégémonie concédée au seul droit positif.

Toutefois, nous devons aussi prendre en considération l’expression exacerbée de la liberté qui, en tant que droit négatif, est susceptible d’agir non seulement à travers une omission de l’identité intérieure, mais de contrarier également son possible devenir. Nous savons pertinemment qu’elle peut se transformer en un dispositif d’autodestruction personnelle et nationale. Face à une telle situation, explique le Rav Kook, une telle faculté de pensée démesurée, sans garde-fou, serait fatidique pour le genre humain.

Une université de la raison et de l’esprit demeure une condition essentielle si l’on aspire réellement à élaborer une personnalité et composer une identité humaine. Si jamais la pensée n’est pas désintéressée, que la personne soit soumise aux influences extérieures et doctrinaires, tout cela la détournera, sans aucun doute, d’elle-même. Bien qu’il s’agisse de deux conceptions différentes de la liberté, l’une est en fait le précurseur de l’autre. L’avertissement, si nécessaire, du Rav Kook concerne d’abord et avant tout le maintien d’une autonomie qui permette d’éviter un quelconque éloignement de son être soi.

Si la quintessence de l’être est son indépendance, celle-ci deviendra réellement sienne aux seuls vu et su d’une pleine et totale reconnaissance de lui-même. A l’inverse, toute démarche vers soi, vaine et puérile, extérieure, demeure captive et asservie à son déterminisme. Il est permis de penser à une volonté d’autant plus libre qu’elle prenne sa source à la profondeur de l’être sublimé et ce, afin de mieux révéler l’âme dans son ensemble. Ce mouvement d’une quête de soi, confession active et évolutive de l’homme plein de grâce, attentionné et fidèle, assure à l’existence son entière majesté.

Acceptons l’indépendance offerte par le Créateur, le Rav Kook la considère comme l’intégrité de l’être, un pur projet sorti de l’antre foncièrement intime de la personne. A son aurore elle fait déjà briller ce qu’il y a de plus Divin en elle, bien au-delà des vicissitudes et autres turpitudes des quotidiens qui l’attendent, elle s’épanche et fournit à l’Humanité un possible et perpétuel libre devenir.
L’évolution fanée de la volonté est généralement le fruit pourri d’une carence de la communication avec soi-même et par conséquent du crépuscule de sa propre vitalité.

Je vais tenter de résumer tout cela en essayant de saisir le postulat du Rav Kook et pouvoir clarifier sa position entre les deux propositions de liberté énoncées plus haut.
Selon la pensée libérale, l’autonomie de l’individu est la valeur suprême. D’une part, la liberté est un milieu existentiel non coercitif dans lequel une personne peut faire ses choix, émettre ses opinions et agir à sa guise à travers l’ensemble des potentialités offertes.

D’autre part, la pensée classique la conçoit comme une valeur suprême, mais dans un autre ordre de définition, il s’agit pour elle d’un «bien» spécifique, une essence qui ne se démarque point et avant tout de l’état essentiel de l’être, du culte de Dieu, etc… ici la liberté n’a aucune valeur ou, tout au plus, une valeur instrumentale car elle sert une essence idéale qui se trouve au-delà de… Elle valorise l’existence et les choix de l’individu en rapport à son propre sens.

En tant que penseur religieux, le Rav Kook aurait dû s’identifier à la pensée classique, mais aussi interpellé par le monde des idées, dont il fait pleinement partie, il sublime la liberté comme assise patente et vertueuse de l’Histoire. Elle est un pouvoir qui souscrit au possible perfectionnement de l’homme vers l’idéal absolu et anime constamment la volonté et la vitalité du devenir existentiel. S’il s’agit bien, pour lui, d’une valeur omnipotente, il consacre celle-ci grâce aux chemins choisis pour sortir de cette mêlée de possibilités.

Elle est immanence, elle permet d’accéder à une connaissance Divine à travers la déférence aux ambitions libres et naturelles du caractère comme de la connaissance, en tant que telles, elles sont les preuves émérites de la providence Divine offerte à l’Homme. Présence et vie d’une nature, de ces attributs ou de ces valeurs propres et nécessaires à l’être qui mobilise et engage l’ensemble des propriétés constitutives de la créature humaine. Une pleine et entière reconnaissance de la liberté comme expression spontanée de soi, en d’autres termes, nulle essence transcendante à laquelle celle-ci pourrait être soumise.

Mais de préférence, ce que le Rav exprime naturellement, une quintessence inhérente à l’histoire, c’est-à-dire une identité de la nation ou de l’individu que seul ce principe vital pourrait être à même de dévoiler et de propager. Selon Rav Kook, la liberté n’est pas seule, elle est une fonction du «Moi».
L’opportunité offerte à chaque-un de pouvoir d’être et devenir est le plus grand espoir de la vie.

En conséquence de quoi, l’affranchissement de tout esclavage, de toute servitude relève de la vertu la plus efficiente, la plus sérieusement empreinte dans la mémoire sainte et collective d’Israël. Le jour du Jubilé, selon le texte biblique, fait suite aux sept cycles de sept ans, ainsi la cinquantième année sera non seulement une année de jachère mais qui plus est, la rétrocession des terrains expropriés et la libération des esclaves. Ces derniers étaient aux temps bibliques des Hébreux endettés qui ne pouvaient guère rembourser, ou bien coupables d’un forfait pour lequel l’indemnisation dépassait leur propre finance. Ainsi la justice sociale en Israël aurait-elle pu parvenir aux sommets de la probité et de l’équité au sein d’une existence nationale.

La «Liberté naturelle» est une référence à la vertu intime gravée en notre âme, volonté juste et irréversible du Créateur. Ce trait imprimé en notre âme et conscience jamais ne s’enfuit, il résiste à toute les pressions et oppressions rien ne peut pas le faire désespérer. Car la volonté de puissance spirituelle, préservée dans la genèse de sa nature, est suffisamment résistante aux contraintes extérieures.