Si l’expérience morale est conscience absolue, elle est ainsi une sensibilité éthique, ce qui veut dire qu’avant toutes les morales, il y a la perception des sens. Toute morale authentique provient nécessairement de la compassion or celle-ci n’est rien d‘autre que la devise de l’amour :
L’amour ne compte pas, il partage et l’offrande de son amour est en soi absolue. Seul l’amour se complet lui-même en deçà de toute logique.
La perception de l’amour seule peut accorder l’apologie finale au devoir tout en ne blessant pas la sensibilité de celui qui l’effectue. Dans l’ardeur de l’amour, le devoir oublie son aspect honteux. Seul l’amour redonne au devoir son autonomie car il résulte alors de l’allégresse primaire de celui qui donne.
L’amour est une propension à estimer plus encore ce qui demeure à la base d’une conduite prolifique. Incontestablement les actions se hissent à partir du palier de la nécessité et elles sont le moyen d’exaucer nos besoins tout comme il est indispensable qu’elles retrouvent le bonheur. Mais la conduite suprême est conçue sur la genèse du don, on ne peut octroyer que ce que l’on possède, le cœur réclamerait d’être béant afin de pouvoir offrir.
L’amour peut concerner un être imparfait mais apte à devenir plus exemplaire avec le temps, point de cruauté chez lui pour blâmer les hommes devant une exigence morale qu’ils ne pourraient parvenir à satisfaire.
L’amour va au-delà des faiblesses et des vices et il peut accomplir ce miracle de dépasser l’égocentrisme. Nos maitres ont continuellement répété que cette introduction était fondamentale à la Torah: «l’Ethique précèdera la pratique religieuse».
Maïmonide souligne le fait que Moïse nous présenta les ordonnances de la Torah ainsi que celles qui nous furent assignées précédemment comme la circoncision et l’interdiction de consommer le nerf sciatique. Toutefois, nous honorons ces commandements car acquis de notre maître Moïse, tandis que les «midots», les vertus, sont l’apanage des caractères édifiants mis en valeur chez Abraham, Isaac et Jacob. La conviction et l’éthique sont les justes mesures sur l’échelle des vertus de nos Patriarches, quant aux lois elles font référence à Moise.
Le comportement de Joseph est et demeure mémorable face à ses propres frères qui le vendirent comme un vulgaire objet à des nomades étrangers, sans nulle inquiétude pour son devenir. Lorsque il les rencontre à nouveau, devenu entre-temps Prince d’Egypte, il n’a aucune rancœur et ne se venge point mais tient à témoigner: «Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu en Egypte. Et maintenant, ne vous affligez point, ne soyez pas irrités contre vous-mêmes de m’avoir vendu à ce pays car c’est pour le salut que D.ieu m’y a envoyé avant vous. En effet, voici deux années que la famine règne au sein de la contrée et durant cinq années encore, il n’y aura ni culture ni moisson. L’Eternel m’a envoyé avant vous pour vous préparer une ressource dans ce pays, et pour vous sauver la vie par une conservation merveilleuse» (Genèse XLV, 4-7).
Il eut été aisé de penser que la noble et indulgente réaction de Joseph soit conséquente, peut-être, de la déférence dû par un fils au vivant de son père. Les frères le ressentirent ainsi et c’est pourquoi à la mort de Jacob, ceux-ci s’affolèrent, prirent peur et se confessèrent à Joseph: «Pardonne, de grâce, l’offense de tes frères et leur faute, et le mal qu’ils t’ont fait. Maintenant donc, pardonne leurs torts aux serviteurs du D.ieu de ton père» quand ils s’épanchèrent ainsi, les larmes de Joseph s’écoulèrent.
Ensuite les frères s’approchèrent d’eux-mêmes et s’effondrèrent à ses pieds, tout en déclarant: «Nous sommes prêts à devenir tes esclaves.» Et Joseph leur répondit: «Soyez sans crainte car suis-je à la place de D.ieu ? Vous, vous aviez médité contre moi le mal: D.ieu l’a combiné pour le bien, afin qu’il arrivât ce qui arrive aujourd’hui, qu’un peuple nombreux soit sauvé. Donc, soyez sans crainte: j’aurai soin de vous et de vos familles, et il les rassura, et il parla à leur cœur.» (Ibid., 17-21).
Nous n’avions rien connu de semblable auparavant, cet homme fut seul capable de réhabiliter son prochain, l’obligeance dont Joseph témoigne dans cet entretien avec ses frères est unique, pas une critique de sa part, mais bien au contraire, c’est lui-même qui réconforte et encourage ses frères. Il est vrai que durant ces jeunes années Joseph avait mal agi envers eux, puisqu’il: «racontait sur leur compte des médisances à son père » (Genèse XXXVII, 2), mais désormais, Joseph a entièrement assimilé les leçons des Patriarches: il devient, indulgence et loyauté tandis que ses rapports avec autrui sont estampés d’une élégance que les adversités les plus fâcheuses ne contrediront jamais. Il nous faut conclure ce Livre de la Genèse et signifier la victoire des vertus d’Abraham, d’Isaac et de Jacob menant à la prospérité de l’Humanité, si seulement celle-ci le désire, vers plus de «bien d’être» et de rencontres avec le et la «bonne-heure»: «les faits de nos Pères restant un indice pour les progénitures».
La droiture de l’acte engage nos penchants à réaliser les choix les plus éminents, les choix par lesquels l’homme sera suffisamment compétent pour démontrer l’excellence de ce qu’il est.
Bien sûr, rien à voir avec le désir de puissance et d’assujettissement à l’égard de son propre genre et à l’égard de la création. L’excellence de l’homme se révèle dans le caractère d’une conscience plus digne et l’excellence engage à une modification des pratiques ne réduisant pas la vie, mais l’intensifiant et l’exaltant.
Cela suffit d’appréhender le concept de l’action dans des formules univoques de rationalité instrumentale et de soumettre nos menées et nos desseins à la seule valeur d’une économie de marché.
Il reste tout de même qu’au fond de nous l’être éthique est omniprésent, il aspire d’abord à une transparence totale, à un bien idéal, à un amour et un don de soi infini. L’être éthique est mû par un espoir dominant, au sein d’un cœur prêt à engendrer encore et toujours plus de volonté à la perfectibilité, un appel à la conscience de la personne. La réalisation la plus remarquable de l’éthique c’est la modification intime de la volonté, celle-ci devenant parfaitement lucide d’elle-même, et offrant au champ de l’expérience morale l’accès à une réelle connaissance des relations humaines.