Me reprocheriez-vous d’aimer?! – Par Rony Akrich

J’aimerais vous conter un rĂ©cit plein d’enseignement et tirĂ© du midrash Raba: » Rabbi Abahou et Rech Lakich, deux des Ă©minences grises de l’époque du Talmud, se trouvaient d’aventure dans la ville de CĂ©sarĂ©e.
Rabbi Abahou demanda à son ami: «pour quelles raisons sommes-nous venus dans cette localité si dépravée? »
Rech Lakich descendit alors de son Ăąne, saisit Ă  pleine main une poignĂ©e de sable, l’introduisit dans la bouche de Rabbi Abahou et lui tint ce propos: «D.ieu n’apprĂ©cie guĂšre que l’on diffame son peuple!! » (Midrach Chir Hachirim Rabba 1, 39).

Cet avertissement, sans ambiguĂŻtĂ© aucune, rapportĂ© par nos maitres, demeure essentiel au devenir de la nation d’IsraĂ«l. Qui plus est aujourd’hui, alors que le peuple juif rĂ©alise et concrĂ©tise peu Ă  peu les prophĂ©ties millĂ©naires Ă  travers la crĂ©ation de son Etat indĂ©pendant et souverain. C’est au quotidien, chaque matin, que nos medias Ă©crits, parlĂ©s ou visuels nous rabattent rebattent les oreilles des querelles intestines, des divergences d’opinion et des querelles d’intĂ©rĂȘt. On mĂ©dit, on diffame. La calomnie, omniprĂ©sente, entraine lentement mais inĂ©vitablement notre sociĂ©tĂ© vers la division.
C’est une vraie menace car elle sape les fondements de notre identitĂ© morale d’ĂȘtre HĂ©breu.
Nul doute que, chaque jour, le fossĂ© se creuse un peu plus entre les fractions divergentes de notre nation. Nous sommes trop souvent, Ă  mon goĂ»t, les tĂ©moins de dĂ©bordements intempestifs de la part de personnalitĂ©s d’un monde tant sĂ©culier que religieux. Leurs propos impitoyables et venimeux se dĂ©versent quelquefois sur les citoyens des implantations, les habitants impies aux mƓurs dĂ©pravĂ©es de Tel-Aviv, je ne peux, bien sĂ»r, tous les citer tant la liste est longue.
Notre maniĂšre de vivre dans le besoin Ă©ternellement insatisfait de l’avoir rend difficile l’apprĂ©ciation objective des ĂȘtres. Notre jugement est souvent erronĂ© et nous empĂȘche de ressentir les maux engendrĂ©s par nos faits et gestes.
Oui nous faisons du mal à nos proches, à nos prochains, souvent par mégarde mais aussi parfois par vengeance ou par rancune, le mal existe et il est pernicieux.
Le Texte biblique est clair, il condamne sans appel toute diffamation d’IsraĂ«l, il reprochera d’ailleurs au prophĂšte IsaĂŻe ses propos malveillants vis Ă  vis du peuple. Personnage emblĂ©matique parmi les prophĂštes, il fut pourtant l’un des plus grands Ă  palpiter d’un amour sincĂšre et incommensurable pour son peuple. MalgrĂ© cela, voici qu’un jour oĂč l’Eternel dĂ©sirant lui confier une prophĂ©tie entendit IsaĂŻe lui rĂ©pliquer: « Je suis un homme aux lĂšvres impures, qui vit au milieu d’un peuple aux lĂšvres impures. » (IsaĂŻe 4). D.ieu lui rĂ©torqua alors: « Tu peux dĂ©clarer possĂ©der des lĂšvres impures, mais comment peux-tu oser affirmer que mon peuple tout entier a des lĂšvres impures ? »
AussitĂŽt et suite Ă  cet Ă©change, la Bible relate qu’un ange s’approcha et brĂ»la les lĂšvres d’IsaĂŻe, D.ieu dĂ©crĂ©ta: « Il faut brĂ»ler aux lĂšvres celui qui dira du mal de mes enfants » (Chir Hachirim Rabba).
Toutefois, de prime abord, il ne s’agit pas de la formule la plus dĂ©plaisante prononcĂ©e par le prophĂšte contre son propre peuple. Au premier chapitre de son livre, il admoneste et hĂšle la foule de JudĂ©e: « Peuple pĂ©cheur, lourd d’iniquitĂ©, race de malfaiteurs, fils destructeurs 
 « , un peu plus loin, il persiste et dĂ©nonce: « officiers de Sodome, peuple de Gomorrhe».
SincĂšrement, ces harangues outrageantes semblent bien plus sĂ©rieuses que celles que nous connaissons de nos jours. On aimerait ĂȘtre plus Ă©clairĂ© sur le sujet!
La vĂ©ritĂ© est qu’il existe une Ă©norme diffĂ©rence entre mĂ©dire d’une personne, et parler Ă  la personne concernĂ©e.
Vouloir rĂ©primander, remettre en cause, en question les paroles ou les actes d’autrui exige de soi une honnĂȘtetĂ© et une franchise vis-Ă -vis de cette personne. Ce fut prĂ©cisĂ©ment l’attitude et le comportement de nos prophĂštes, malgrĂ© des propos trĂšs durs et peu complaisants.
A l’opposĂ©, tout individu venant Ă  dĂ©blatĂ©rer sur son prochain finira nĂ©cessairement par enfreindre les lois les plus rudimentaires Ă  mĂȘme de le soutenir dans son combat contre la calomnie.
Disons-le, la critique est rarement là pour féliciter ou bénir.
L’Eternel perçoit cela comme un affront, aucune excuse, aucune justification, rien ne pourra rĂ©habiliter la dĂ©chĂ©ance. Ni l’anonyme, ni le cĂ©lĂšbre, ni le bĂ©ni ni le maudit, ni MoĂŻse, ni Elie n’échapperont Ă  la colĂšre divine. (Chir Hachirim Raba, ibid.). En consĂ©quence de quoi, l’Eternel chĂątiera sĂ©vĂšrement IsaĂŻe en lui brĂ»lant les lĂšvres.
MaĂŻmonide, dans son Epitre sur la sanctification du Nom de Dieu, commente les Ă©vĂšnements concernant IsraĂ«l Ă  l’époque d’IsaĂŻe: «le peuple Ă©tait Ă  ce moment-lĂ  composĂ© en majoritĂ© de paĂŻens et mĂȘme de criminels qui capitalisaient les dĂ©lits et dĂ©daignaient les prescriptions divines».
La Bible relate la fin tragique du prophĂšte, IsaĂŻe ne s’acquittera de son dĂ©lit qu’à travers une mort terrible. C’est son petit-fils lui-mĂȘme, le roi MenachĂ©, qui ordonnera la mise Ă  mort de son grand pĂšre en le sciant vivant aprĂšs que celui-ci se soit cachĂ© dans le tronc d’un cĂšdre.
Ce terrible rĂ©cit relatĂ© dans la correspondance du Rambam fut Ă©crit Ă  une pĂ©riode particuliĂšre de la vie de l’auteur. Il venait tout juste de quitter l’Espagne vers l’Afrique du Nord et ce, au moment mĂȘme oĂč des musulmans fanatiques dĂ©crĂ©taient des lois inhumaines. Ils sommaient les Juifs de se convertir publiquement tout en les autorisant Ă  poursuivre leurs pratiques religieuses dans l’intimitĂ© de leur foyer.
Si jamais certains d’entre eux refusaient de se soumettre au dĂ©cret, alors ils mourraient et leur progĂ©niture serait abandonnĂ©e Ă  des maisons d’enfants oĂč ils deviendraient de bons musulmans.
L’Histoire nous laissa des traces de ces marranes de l’islam qui comme leurs frĂšres de demain, sous l’emprise de l’inquisition, continueront et prĂ©serveront une vie juive cachĂ©e. Pourtant nombre d’entre eux cĂšderont Ă  la tentation.
C’est au cours de cet Ă©pisode difficile Ă  vivre qu’un « rabbin » ne trouva rien de mieux Ă  faire que de s’en prendre Ă  ces malheureux « marranes ». Il les critiqua et les traita de renĂ©gats affirmant que leur pratique ne servait Ă  rien. On posa donc la question, sur ce sujet Ă©pineux, au grand maitre MaĂŻmonide; la tension montait et fut Ă  son comble lorsque la rĂ©ponse fatidique parvint au demandeur. Suite Ă  une mure rĂ©flexion, le Rambam prononça son verdict : il condamna et rĂ©primanda le Rabbin de maniĂšre trĂšs vive quant Ă  son attitude et ses propos. «D’oĂč tenez-vous l’autorisation de juger et de condamner des Juifs ?» Afin de soutenir ses dires, il mentionna la pĂ©ripĂ©tie d’IsaĂŻe: «Si des maitres du peuple juif tels qu’IsaĂŻe furent durement chĂątiĂ©s pour avoir profĂ©rĂ© des propos diffamants Ă  l’égard d’IsraĂ«l. À fortiori est-il inacceptable que leurs Ă©lĂšves, qui ne possĂšdent nullement ni leur saintetĂ© ni leur savoir, se concĂšdent le droit de calomnie !»

Rabbi Menahem Mendel de Vitebsk fit son alyah vers Eretz Israel en 1777 et eut le privilĂšge d’y fonder la premiĂšre communautĂ© de Hassidim. Dans la premiĂšre missive qu’il rĂ©digea aprĂšs son arrivĂ©e en IsraĂ«l, il se confie ainsi : pour vous Ă©loigner du pĂ©chĂ©, je tiens Ă  vous prĂ©venir: ne vous moquez pas des personnes qui ont abandonnĂ© la Torah, et n’affichez pas de mĂ©pris envers elles. On pourrait penser que ces personnes, qui sont dans l’erreur, sont responsables des maux du peuple juif. C’est justement le contraire qui est vrai. Il est clair que ce sont les critiques Ă©mises Ă  leur Ă©gard qui sont la cause de nos malheurs. Ce sont justement ceux qui les mĂ©prisent en se fondant sur la Torah qui sont Ă  l’origine de nos douleurs. En effet, il est Ă©crit: « Vous ĂȘtes des enfants du Seigneur» (Devarim, XIV). Dans le TraitĂ© talmudique Kidouchin (36a), nos Sages s’interrogent : Sommes-nous les enfants du Seigneur uniquement lorsque nous avons une bonne conduite? Rabbi Méïr rĂ©pond: «MĂȘme si nous sommes des pĂ©cheurs, nous sommes tout de mĂȘme appelĂ©s des enfants de Dieu! »

Certains s’attĂšlent Ă  la tĂąche et tentent par tous les moyens de calomnier, de mĂ©dire et de diffamer.
Ils prétendent que nous sommes au bord du gouffre national et que trÚs bientÎt le peuple ne sera plus un mais deux.
Ils allĂšguent que le nouveau schisme est Ă  notre porte, qu’eux resteront, comme de bien entendu, la portion congrue d’IsraĂ«l, les Juifs certifiĂ©s et fidĂšles Ă  l’hĂ©ritage de leur peuple. Les sĂ©culiers ne sont que des infidĂšles ou des rĂ©sidus de notre peuple, ils se fourvoient dans les errances de l’illusion.
Selon Rabbi Menahem Mendel, si vous pensez ainsi, vous suivez la mauvaise voie car c’est prĂ©cisĂ©ment l’inverse qui est juste et vrai.
En abominant ces Juifs, qui ne conçoivent pas la vie telle que vous la concevez, en les bannissant hors de votre congrĂ©gation, vous vous dĂ©tournez de l’ensemble de votre peuple. Toute entitĂ© particuliĂšre qui viendrait Ă  mĂ©priser les autres composantes de l’ensemble parviendra tĂŽt ou tard Ă  une sĂ©paration de corps.
Elle se dissociera de l’alliance nationale et n’aura plus sa part Ă  l’ombre de la LumiĂšre divine qui la submergeait. On trouve ici le rappel d’un concept biblique, si prĂ©cieux, dans le verset: « Je rĂ©side au sein de Mon peuple ».
Les opinions, les divergences doivent s’exprimer mais en aucun cas remettre en cause l’appartenance identitaire au peuple d’IsraĂ«l. L’Eternel demeure, envers et contre tous les alĂ©as de notre Histoire, attachĂ© Ă  Son peuple et Ă  Ses crĂ©atures dans leur ensemble et non pas seulement Ă  ceux et Ă  celles qui honoreraient Ă  la lettre Ses prĂ©ceptes.

Mais si l’en est ainsi, comment mettre en garde contre le mal, et faire en sorte que les gens ne soient pas entraĂźnĂ©s vers leurs mauvais penchants?
Rabbi Yitzhak de Komarna Ă©tait lui aussi un Hassid qui Ă©voquait, en les expliquant, les paroles de Rabbi Menahem Mendel de Vitebsk: «MĂȘme lorsqu’un sage Ă©minent s’exprime sur ce sujet, il doit le faire selon les rĂšgles de la biensĂ©ance et de l’éthique, l’identitĂ© morale de l’ĂȘtre HĂ©breu concerne tout un chacun quel qu’il soit, sinon il cause une grande douleur Ă  la « Chehina » – la prĂ©sence divine (Notser ‘hessed sur PirkĂ© Avot VI)».

L’exemple rapportĂ© ici, dans le cas d’IsaĂŻe, engage au quotidien chacun de nous Ă  prĂȘter garde de ne pas condamner les incriminables selon leurs seules faiblesses mais aussi selon leurs mĂ©rites. Soyons de ceux qui invitent et revendiquent le devoir et surtout la vertu de poursuivre le bien et non le mal au sein de notre peuple, la lumiĂšre et non l’obscuritĂ©. Il est nĂ©cessaire d’accroĂźtre la perception des qualitĂ©s et de rĂ©duire celle des dĂ©fauts. C’est lĂ  la vision que nous devons Ă©ternellement projeter sur notre prochain, c’est cette grandeur d’ñme qui nous permettra de garantir Ă  jamais l’unitĂ© de notre nation et qui nous galvanisera dans ce Verbe divin immuable: «Vous ĂȘtes tous Mes enfants ».


RĂ©daction francophone Infos Israel News pour l’actualitĂ© israĂ©lienne
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